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Dossier du mois : Quand la jeunesse prend le pouvoir
Le cyclisme change. Il casse les codes et remet en cause les règles répétées depuis des décennies quand il était admis qu’une carrière se construisait dans la durée et nécessitait un apprentissage rigoureux. Depuis quelques saisons et dans la foulée incontestable du Belge Remco Evenepoel, toutes ces données sont désuètes et les jeunes, dès la sortie des juniors, cartonnent. La France, dotée d’un réservoir impressionnant, est une bénéficiaire évidente de cette vague de jeunisme.
A la lecture des résultats de cette saison 2025, il suffit d’égrener les noms des performeurs français pour saisir l’importance de la vague en cours. Paul Magnier (21 ans) totalise dix-neuf succès. Lenny Martinez (22 ans), a décroché trois victoires en World Tour, Romain Grégoire (22 ans) a levé les bras à six reprises. Paul Seixas (19 ans) n’a pas gagné mais s’est bâti un avenir en or. Avec Aubin Sparfel, Noa Isidore, Thibaut Gruel, Léo Bisiaux, Matys Grisel, Maxime Decomble, Antoine l’Hôte, Mathys Rondel, beaucoup d’autres encore, les perspectives sont réjouissantes.
A écouter ces jeunes coureurs, ce changement est naturel et s’inscrit dans une approche évidente. Dès leur plus jeune âge, il a été question d’envisager le cyclisme comme le faisaient leurs idoles. Il y a peu, il était suffisant de regarder le poster du modèle dans sa chambre et de rêver. Désormais on pratique le cyclisme comme lui, à coups de capteur de puissance et de watts.

COMME UN PRO A 16 ANS
« J’ai commencé le vélo à sept ans, explique Romain Grégoire, je suis issu d’une famille de cyclosportifs. Je l’ai pratiqué sérieusement quand j’étais cadet 2 en profitant des facilités faites par le Lycée Jules Haag de Besançon pour organiser des entraînements stricts. J’étais presque un pro au sein de la formation juniors de ag2r La Mondiale. J’avais mon entraîneur à 16 ans. Je n’avais pas de connaissance sur la nutrition, sur les phases de récupération. J’ai optimisé en rejoignant la Conti de Groupama-FDJ mais je constate déjà un changement : pour les coureurs nés entre 2005 et 2007, et notamment pour mon frère Bapstiste, toutes ces connaissances ont été naturellement acquises. Il y a pour eux un énorme gain de temps. »
C’est une évidence, à la sortie des juniors, ces coureurs savent ce qu’est le professionnalisme et en profitent immédiatement.
« Quand on est sur lé velo, poursuit Romain Grégoire, on pense surtout à être le premier sur la ligne d’arrivée mais la densité des jeunes coureurs français provoque une émulation évidente, elle fait progresser. D’abord pour faire partie des meilleurs Français et ensuite pour être parmi les meilleurs mondiaux. Il nous arrive de battre de grands champions et cela nous paraît logique. Je me pose toutefois une question : sera-t-on toujours capable de gagner dans dix ans ? Je pense que nous atteindrons notre maturité à 25-27 ans et du coup, sera-t-on sur le déclin plus jeune ? »

RECONNAÎTRE LE TRAVAIL DE FORMATION
Parmi les coureurs français se faisant un nom, heureusement il en est qui échappent à cette nouvelle norme et reproduisent un schéma plus ‘’conventionnel’’ à l’image de Nicolas Prodhomme. A 28 ans, il a remporté six victoires dont une étape du Tour d’Italie et la Route d’Occitanie au cours de cette saison concrétisant sa progression linéaire depuis ses débuts en 2021. Cela témoigne aussi de la possibilité pour les ‘’vieux’’ de plus de 23 ans de faire une belle carrière.
« J’ai un bon exemple avec Jordan Jégat, assure Anthony Ravard, le patron de la formidable équipe CIC-U-Nantes qui a la particularité d’être, en 2025, la seule académie de formation en France. « Sans rire, quand Jordan était un Espoir deuxième année, il était un coureur lambda. En dépit de cela, je l’ai vu assez performant à la Ronde de l’Isard en 2021 et j’ai misé sur son potentiel. Il est passé dans notre équipe continentale, il s’est affûté et il est devenu un très bon coureur. A 26 ans, il a fini à la dixième place du dernier Tour de France. »
L’équipe nantaise évolue à l’échelon continental depuis 2022 et a formé une dizaine de coureurs ayant rejoint des équipes World Tour ou Pro Team. Louis Barré a été le premier, imité notamment par Noa Isidore, Clément Braz Afonso ou la saison prochaine par Yaël Joalland. Anthony Ravard a su adapter sa méthode aux caractéristiques de notre société qui va toujours plus vite.
« Il y a un changement évident, dit-il. Ce que font les juniors, en terme de charges de travail, moi je le faisais chez les Espoirs. On a gagné deux ans. Dans mon académie, les études sont obligatoires. Ils sont douze par classe. Ils apprennent vite et ont plus de temps à consacrer au cyclisme. En voyant nos jeunes faire carrière, nous sommes satisfaits parce que notre travail paie mais le système doit évoluer. Au sein de notre centre de formation, nous avons le jeune Souan Ruesche qui rejoint la Conti de Groupama-FDJ en 2026. Pour nous chaque jeune est un investissement, de l’ordre de 15.000 Euros par an même si leurs parents assument le prix de leurs études et de leur vêtements. Là, on n’aura aucun dédommagement, nous avons nos yeux pour pleurer. »
« La fédération française travaille sur un système d’indemnités, assure Anthony L’idée est que le junior qui refusera de rejoindre notre équipe pro, devra, par sa nouvelle équipe, dédommager le formateur. Notre travail doit être reconnu. Quand un gamin nous annonce son départ, on est fier mais le système nous empêche aussi d’évoluer. En fait, tous ces coureurs nous quittent trop tôt. S’ils restaient un an de plus, on aurait plus de résultats. Je vais travailler pour conserver notre académie mais à l’échéance 2028, le CIC-Nantes deviendra une Pro Team. Un projet logique pour tous ces jeunes que nous auront fait grandir. »
Crédits Photos : Romain Grégoire par Xavier Pereyron
Anthony Ravard - Photo libre de droits