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Dossier du Mois : Contrats
Ici ou ailleurs, les deux options se valent !
Quel est le meilleur système pour le coureur français ? Avoir un contrat dans une équipe française et avoir l’assurance de travailler aussi pour son avenir par la prise en charge de toutes ses obligations sociales ou bien appartenir à une équipe étrangère pour qui le coureur est un travailleur indépendant devant lui-même faire face aux règles fiscales et sociales françaises ? Loin de nous l’idée de trancher mais Geoffrey Soupe (Team Total Energies) qui n’a jamais quitté la France et Julien Bernard (Lidl-Trek) qui a toujours couru pour une équipe étrangère nous proposent un éclairage intéressant : tous les deux sont très heureux de leur situation !
Julien Bernard

Julien Bernard : « J’ai appris la fiscalité, on n’apprend pas ça à l’école ! »
Julien Bernard est un coureur rare. Le fils de Jean-François est professionnel depuis 2016 et n’a, depuis, jamais quitté sa structure professionnelle, la Lidl-Trek autrefois alors Trek-Segafredo. Depuis ses débuts, l’ancien vainqueur du Mont-Faron est donc un travailleur indépendant devant lui-même régler toutes ses charges sociales. Sans hésiter une minute, le Dijonnais en retire surtout les bienfaits et notamment l’acquis d’un savoir financier qui lui facilitera la tâche quand il aura raccroché son vélo.
Julien, explique-nous le système juridique que tu as mis en place quand tu es devenu coureur professionnel ?
C’est vrai, depuis que je suis passé pro, je paie moi-même les charges liées à mon emploi de travailleur indépendant. Au fil du temps, c’est devenu un montage financier complexe mais je peux dire qu’une partie de mon contrat est pris en compte par ma société d’image. J’en tire une rémunération qui me permet de payer toutes les charges et assurances.
Tu as donc toujours échappé aux règles du système salarial français ?
En effet, cela a nécessité que je mette en place une organisation et dans le cadre de cette organisation, je suis un patron qui gère ses intérêts. On n’a pas le choix, il faut payer ses charges mais par cette façon de faire, on apprend le plus vite possible à optimiser la situation. Depuis dix ans, j’ai eu l’occasion de signer un contrat en France mais au fil des années, sans prétention, la partie salariale de mon job n’est pas le point le plus important dans le choix de mon équipe, dans le choix de rester ou de partir. Ou bien je serais peut être déjà parti…
Ton père Jean-François a connu les deux systèmes, en courant notamment pour l’Espagnole Banesto ?
Je dois reconnaître que je me suis servi de l’expérience de mon père, j’ai grandi avec son influence quand il fut coureur de Banesto. Pour moi, une expérience à l’étranger n’a jamais été anxiogène. Je comprends que cela ait pu être un frein pour beaucoup de mes collègues parce que ça sort du cadre français. Pour beaucoup d’entre eux cela a pu sembler plus compliqué de gérer la problématique des charges et je comprends qu’ils aient hésité à franchir le pas.
Hormis ton père, qui ont été tes premiers conseillers ?
Au début j’ai été aidé par les gens autour de moi, notamment Alain Gallopin, qui était alors directeur sportif de mon équipe. Moi même, j’ai fait appel aux compétences d’un avocat, d’un gestionnaire de patrimoine, d’un comptable pour faire le mieux possible et optimiser ma situation, pour me trouver dans une condition confortable. Du coup, je n’ai jamais eu le regret de ne pas courir en France. A bien réfléchir, ce n’est finalement pas beaucoup plus compliqué, je prends le salaire et je paie des charges. Cela demande une discipline précise,
je sais ce que je dois régler chaque année. Je peux même dire que cela m’aide dans ma vie de tous les jours.
Cela te permet d’avoir un regard précis sur la suite de ta vie ?
J’ai des amis gestionnaires d’entreprises et je comprends bien la vie en dehors du vélo. Je comprends la vie d’une personne qui est loin du sport de haut niveau. Dans ma situation, je suis resté connecté à la réalité. Je suis sûr que dans ma vie après le vélo, ça me servira. Je connais les règles du jeu. Je saurais les transposer. Je vis ma carrière comme une entreprise. Je connais la législation, je sais comment ca marche, les cotisations sociales les impôts, les dividendes… J’ai appris la fiscalité, on n’apprend pas ça à l’école. Je vais sortir de ma carrière en étant expérimenté.
A ce propos, il nous paraît improbable que tu arrêtes ta carrière avant d’avoir réussi, enfin, à être champion de France ! Tu as programmé ta sortie ?
Je sais quand cela va s’arrêter mais je viens de prolonger avec Lidl-Trek pour 2026 et 2027. Je me sens bien mais quand je vais tourner la page, je pense que je serai prêt à affronter la vie normale !
Geoffrey Soupe

Geoffrey Soupe: « j’ai choisi la sagesse »
Devenu coureur professionnel en 2011 au sein de l’équipe FDJ, Geoffrey Soupe a accompli toute sa carrière en France, ayant ensuite rejoint Cofidis et le Team Total Energies. Il évoque les caractéristiques sociales d’un coureur évoluant dans notre pays, abordant autant ce qu’il présente comme des avantages que les regrets que cela a peut-être engendré. Cependant, pour le solide équipier de l’équipe vendéenne, la balance penche en faveur du système français.
Geoffrey, peux-tu envisager pour nous ton statut social ?
Depuis que je suis passé pro en 2011 en portant successivement les maillots des équipes françaises FDJ, Cofidis et Total Energies, j’ai un statut de salarié. C’est un statut qui a évolué dans le temps en suivant les règles propres à la France mais je suis salarié comme n’importe quel travailleur d’une entreprise française. Un de mes amis est l’un de ceux-là et j’ai les mêmes réalités que lui : mon impôt est prélevé à la source, je suis assuré, j’ai la sécurité sociale, je cotise pour ma retraite. C’est étonnant, beaucoup de gens me posent encore des questions : comment suis-je payé ? Ce que je gagne me suffit-il pour vivre ? Je les rassure et je me sens crédible. Je suis un coureur professionnel, c’est mon métier mais je suis un salarié travaillant aussi pour son avenir comme tout citoyen français.
Cela m’a retiré de la pression : je vis ma passion en assurant mon avenir.
A quel point cela a-t-il influencé ton parcours ?
J’ai eu l’occasion de partir à l’étranger, en 2019, quand j’ai finalement opté pour l’équipe de Jean-René Bernaudeau. Je peux le dire, ce sont les garanties du système français qui m’ont fait reculer. J’ai eu peur de ne pas cotiser pour moi et ma famille comme je l’ai toujours fait. J’ai eu peur d’y perdre. Ce n’est pas évident même si les agents sont là aussi pour nous aiguiller mais j’ai trouvé ça trop perturbant. J’aurais aimé franchir le pas pour découvrir une autre culture du vélo. Cela me laisse une petite amertume que de n’avoir pas franchi le pas mais je manquais de recul. En tant que père de famille, avec un crédit maison en cours, j’ai choisi la sagesse.
Cela dit, le statut proposé par l’étranger peut être aussi très intéressant du point de vue des charges ?
Il est vrai que je ne touche pas le salaire d’une star même s’il est très convenable et notamment vis à vis de tous ceux qui travaillent en entreprise. En 2025, beaucoup de coureurs Français partent à l’étranger. Ils ont peut-être la fibre business et cela ne doit pas les déranger de penser à tout, de tout organiser. Certes il reçoivent un revenu en tant que travailleur indépendant mais je ne peux m’empêcher de penser que cela met de la pression. Bien s’assurer, la sécu, les charges, les impôts… Pour moi c’était une pression sur ma famille que je ne voulais pas engager.
En ce mois de septembre, Geoffrey, tu vis les derniers jours de ta carrière ?
Mon contrat s’arrête en effet fin 2025. J’aurais aimé continuer. Avec l’équipe Total Energies, c’est fini. Je suis le plus vieux de l’équipe (37 ans). Je ne me sens pas prêt à arrêter, j’aimerais encore faire un an mais le contexte est très compliqué cette année. Franchement, je ne suis pas à côté de mes pompes sur le vélo, je peux encore faire des choses sympa mais un jeune sera toujours préféré par un manager d’équipe. Ma dernière course sera donc le Tour de Kyushu au Japon (11-13 octobre), à l’endroit même où Julien Simon avait arrêté sa carrière l’an dernier.
Comment perçois-tu ton avenir ?
La reconversion j’y pense, mais je ne suis pas prêt. J’ai plutôt envie de rester dans le sport, pas forcément le cyclisme. Je vais donc suivre une formation qui touche au sport tout en gardant une hygiène de vie. Avant d’être pro, j’ai suivi un cursus étudiant, j’ai un Bac en électrotechnique et un DUT en génie thermique et énergie. C’est dans l’air du temps avec toutes les énergies renouvelables. Il y a du débouché mais je ne pense pas que je m’y sentirais dans mon élément. Là, je vais avoir besoin d’une envie, d’une passion. J’ai le souci d’être heureux dans ma famille et de faire quelque chose qui ait du sens.
Crédit Photo Julien Bernard : Xavier Pereyron
Crédit Photo Geoffrey Soupe : Marie Vaningelgem