UNCP UNCP
L'UNCP est le syndicat professionnel des coureurs cyclistes français.
Syndicat de service et de dialogue constructif.
Créé il y a plus de 60 ans, il a pour vocation la représentation des coureurs et la défense de leurs intérêts collectifs et individuels.
contact@uncp.net . Comité Directeur . UNCP 161 Chemin du Buisson – 38110 DOLOMIEU
  • Route Pro Championnats de France Cassel 2023 - Photo Bruno Bade
  • Route Pro Photo Bruno Bade
  • Route d’Occitanie 2020 Photo Bruno Bade
  • Tro Bro Leon 2019 Photo Bruno Bade
  • Paris Camembert 2020 Photo Bruno Bade
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Le billet de Marc FAYET : Départ fictif, départ réel. 

C’était il y a presque un an, je quittais le Championnat de France où Lannilis consacrait Arthur Vichot le promettant ainsi à un bel et envieux avenir tricolore durant douze mois au moins, c’est-à-dire trois cent soixante-cinq jours, c’est-à-dire des milliers d’heures à rêver en bleu, en blanc et en rouge, c’est-à-dire presque une éternité. Plein de toutes les images de cette fête du vélo, j’attendais un train en Gare de Brest lorsque j’ai vu pénétrer dans le hall plusieurs générations de mâles d’une même famille. Il s’agissait de toute évidence d’une jolie brochette de beaux spécimens Bretons fiers et volontaires qui arrivaient là comme en terrain conquis. Il y en avait un tout jeune d’une dizaine d’années, joli blondinet énergique bavard et joyeux, un autre d’une vingtaine d’années, élancé mais plus réservé, un autre encore affichant ses quarante ans passés avec charme et élégance, un dernier pour finir, mon équivalent en âge, qui promenait sans coquetterie ses cinquante ans passés presque sans s’en préoccuper. Il se dégageait de cette petite bande une dynamique fraternelle qui ne laissait aucun doute sur les liens familiaux qui les unissait. Il me fallut peu de temps pour reconnaître les représentants masculins du clan Menthéour avec Pierre-Henri faisant office d’aîné et de guide. Je m’approchais de lui rapidement car il était de mes amis et il me présentait ainsi Erwan son jeune frère, puis ses deux enfants. Eux aussi revenaient comme moi de cette journée de cyclisme dans le Finistère et comme la complicité fut rapidement établie, le petit, les yeux brillants, me brandit alors avec une immense fierté un maillot déchiré et ensanglanté qu’un des coureurs de la FDJ.fr lui avait offert à l’issue de l’épreuve. A voir la joie de l’enfant exhibant cette relique j’imaginais ce que le cyclisme pouvait représenter pour cette famille et la place qu’il tenait dans leur vie, j’en étais même à vrai dire, très surpris tant je croyais que la notion de sacré avait disparue pour les deux anciens champions, en raison de leur relation qui fut très houleuse avec cette toujours soupçonnable discipline. La raison de cet étonnement tenait à l’histoire non confidentielle de Pierre-Henri et Erwan, de la manière dont ils approchèrent et vécurent leur carrière respective. Si Erwan sorte d’enfant terrible de la fin des années 90 avait su défrayer la chronique par ses aveux spectaculaires, Pierre-Henri, moins expansif, acteur plus discret des années 80, s’était contenté lui de renoncer après carrière à quelques titres d’importance, les considérant volés et usurpés en raison des dérives dopantes qui lui permirent de les conquérir. L’un comme l’autre avaient besoin de se laver de toutes les turpitudes passées, de retrouver une certaine forme de pureté face à leurs nouveaux défis de la vie. On connaît la suite, Erwan après une brève carrière de chanteur a entamé une brillante reconversion dans la mise et remise en forme, à l’aide d’un concept novateur dans la recherche de l’équilibre diététique et physique. Pierre-Henri lui, s’est imposé en tant que grand reporter caméraman spécialiste de l’Afghanistan ainsi que sur d’autres terres de conflits d’où il a ramené des documentaires exceptionnels plusieurs fois remarquablement primés. Il y avait dans ces nouveaux départs quelque chose d’exemplaire et cet éloignement de leur passion initiale auraient pu sembler rédhibitoire tant il en avaient goûté les plus détestables aspects aux plus mauvais moments.

Las ! Loin d’en condamner l’ensemble de ce sport, ils en gardaient encore, et le regard du bambin en était la preuve, quelque chose de viscéral qui devait les rendre heureux tant ils retrouvaient dans l’émerveillement de l’enfant ce qu’ils avaient ressentis eux-mêmes avant que d’en emprunter le chemin le plus noir et le plus condamnable, celui qui fait perdre toutes ses illusions. Alors que toutes ces pensées m’envahissait et après cet échange joyeux entre hommes passionnés, Pierre-Henri m’attira à part afin de me communiquer une information qu’il tenait à m’offrir à l’écart. C’est avec un sourire triste et avec la même tonicité combative et Bretonne que je lui connaissais qu’il me dit simplement « Marc, je suis malade » Ces quatre mots simplement dits me firent l’effet d’un électrochoc car en dépit de l’aspect évasif de sa formulation il affichait en fait sa teneur presque gravissime et définitive. « Et c’est pas un coup de fringale » ajouta-t-il tout à coup comme pour adoucir l’atmosphère. Il est étonnant parfois de constater comment un mot choisit pour sa représentativité générique n’en cache en fait qu’un seul, celui que tout le monde connaît et redoute, celui qui veut dire que la lutte sera rude et peut-être inégale mais qu’elle mérite cependant d’être engagée. C’est dans cet esprit résolu que Pierre-Henri me le représentait et qu’il m’avouait, usant encore de la métaphore cycliste, sa volonté farouche de tenter une échappée victorieuse espérant que toute l’équipe se mettrait à son service pour avorter les tentatives de ses adversaires directs d’organiser une chasse derrière lui. La force, la lucidité et l’humour parfois provocateur de cet homme que j’admirais déjà m’ébranla encore davantage et je me suis senti alors tout petit face à lui dont le courage était déjà reconnu de tous. Notre train arrivait à quai, Pierre-Henri retrouva son plus jeune enfant, toujours aussi excité et volubile, embrassa son aîné qui restait sur Brest et avec Erwan, discrètement resté à l’écart de notre petite entrevue confidentielle, ils saisirent chacun une main de l’enfant pour gravir les marches de leur voiture. Ce trio ainsi lié, que je voyais de dos, revêtait un symbole tout à fait particulier, il était la synthèse de nos contradictions humaines où comment, dans les méandres de nos démons, nous cultivons tous un unique espoir, celui de tenir la main des jeunes générations que nous souhaitons forcément plus raisonnable, moins naïves et plus responsables. Puis ils se retournèrent pour me faire un dernier signe d’adieu, le regard légèrement attristé d’Erwan m’indiquait en outre qu’il connaissait la gravité du mal de son grand frère et qu’il me savait désormais pareillement dépositaire de cet aveu encore confidentiel. Avec un immense sourire le jeune enfant déplia à nouveau le maillot râpé et taché de sang du martyr à vélo qui avec beaucoup de blanc, un peu bleu et des tâches de rouge revêtait ainsi un triple sens saisissant propre à émouvoir : La puissance, la souffrance, la blessure.

Toujours soucieux d’informer toute sa sphère amicale et familiale, Pierre-Henri inondait nos téléphones mobiles de textos explicatifs très clairs sur l’avancée de son combat. Sa seule prière connue fut celle que me lira un jour Emmanuel Hubert la voix encombrée par l’émotion : « Pense à moi juste une minute par jour. Passe-moi un long relais d’une minute par jour en m’aimant et me protégeant pour me faire gagner la course. » Ce n’était qu’une vaine stratégie de course car Pierre-Henri a finalement déclaré forfait pour cette dernière épreuve qui par force est devenue la nôtre.

Marc Fayet 
Avril 2014

Le billet de Marc FAYET : Départ fictif, départ réel. 

C’était il y a presque un an, je quittais le Championnat de France où Lannilis consacrait Arthur Vichot le promettant ainsi à un bel et envieux avenir tricolore durant douze mois au moins, c’est-à-dire trois cent soixante-cinq jours, c’est-à-dire des milliers d’heures à rêver en bleu, en blanc et en rouge, c’est-à-dire presque une éternité. Plein de toutes les images de cette fête du vélo, j’attendais un train en Gare de Brest lorsque j’ai vu pénétrer dans le hall plusieurs générations de mâles d’une même famille. Il s’agissait de toute évidence d’une jolie brochette de beaux spécimens Bretons fiers et volontaires qui arrivaient là comme en terrain conquis. Il y en avait un tout jeune d’une dizaine d’années, joli blondinet énergique bavard et joyeux, un autre d’une vingtaine d’années, élancé mais plus réservé, un autre encore affichant ses quarante ans passés avec charme et élégance, un dernier pour finir, mon équivalent en âge, qui promenait sans coquetterie ses cinquante ans passés presque sans s’en préoccuper. Il se dégageait de cette petite bande une dynamique fraternelle qui ne laissait aucun doute sur les liens familiaux qui les unissait. Il me fallut peu de temps pour reconnaître les représentants masculins du clan Menthéour avec Pierre-Henri faisant office d’aîné et de guide. Je m’approchais de lui rapidement car il était de mes amis et il me présentait ainsi Erwan son jeune frère, puis ses deux enfants. Eux aussi revenaient comme moi de cette journée de cyclisme dans le Finistère et comme la complicité fut rapidement établie, le petit, les yeux brillants, me brandit alors avec une immense fierté un maillot déchiré et ensanglanté qu’un des coureurs de la FDJ.fr lui avait offert à l’issue de l’épreuve. A voir la joie de l’enfant exhibant cette relique j’imaginais ce que le cyclisme pouvait représenter pour cette famille et la place qu’il tenait dans leur vie, j’en étais même à vrai dire, très surpris tant je croyais que la notion de sacré avait disparue pour les deux anciens champions, en raison de leur relation qui fut très houleuse avec cette toujours soupçonnable discipline. La raison de cet étonnement tenait à l’histoire non confidentielle de Pierre-Henri et Erwan, de la manière dont ils approchèrent et vécurent leur carrière respective. Si Erwan sorte d’enfant terrible de la fin des années 90 avait su défrayer la chronique par ses aveux spectaculaires, Pierre-Henri, moins expansif, acteur plus discret des années 80, s’était contenté lui de renoncer après carrière à quelques titres d’importance, les considérant volés et usurpés en raison des dérives dopantes qui lui permirent de les conquérir. L’un comme l’autre avaient besoin de se laver de toutes les turpitudes passées, de retrouver une certaine forme de pureté face à leurs nouveaux défis de la vie. On connaît la suite, Erwan après une brève carrière de chanteur a entamé une brillante reconversion dans la mise et remise en forme, à l’aide d’un concept novateur dans la recherche de l’équilibre diététique et physique. Pierre-Henri lui, s’est imposé en tant que grand reporter caméraman spécialiste de l’Afghanistan ainsi que sur d’autres terres de conflits d’où il a ramené des documentaires exceptionnels plusieurs fois remarquablement primés. Il y avait dans ces nouveaux départs quelque chose d’exemplaire et cet éloignement de leur passion initiale auraient pu sembler rédhibitoire tant il en avaient goûté les plus détestables aspects aux plus mauvais moments.

Las ! Loin d’en condamner l’ensemble de ce sport, ils en gardaient encore, et le regard du bambin en était la preuve, quelque chose de viscéral qui devait les rendre heureux tant ils retrouvaient dans l’émerveillement de l’enfant ce qu’ils avaient ressentis eux-mêmes avant que d’en emprunter le chemin le plus noir et le plus condamnable, celui qui fait perdre toutes ses illusions. Alors que toutes ces pensées m’envahissait et après cet échange joyeux entre hommes passionnés, Pierre-Henri m’attira à part afin de me communiquer une information qu’il tenait à m’offrir à l’écart. C’est avec un sourire triste et avec la même tonicité combative et Bretonne que je lui connaissais qu’il me dit simplement « Marc, je suis malade » Ces quatre mots simplement dits me firent l’effet d’un électrochoc car en dépit de l’aspect évasif de sa formulation il affichait en fait sa teneur presque gravissime et définitive. « Et c’est pas un coup de fringale » ajouta-t-il tout à coup comme pour adoucir l’atmosphère. Il est étonnant parfois de constater comment un mot choisit pour sa représentativité générique n’en cache en fait qu’un seul, celui que tout le monde connaît et redoute, celui qui veut dire que la lutte sera rude et peut-être inégale mais qu’elle mérite cependant d’être engagée. C’est dans cet esprit résolu que Pierre-Henri me le représentait et qu’il m’avouait, usant encore de la métaphore cycliste, sa volonté farouche de tenter une échappée victorieuse espérant que toute l’équipe se mettrait à son service pour avorter les tentatives de ses adversaires directs d’organiser une chasse derrière lui. La force, la lucidité et l’humour parfois provocateur de cet homme que j’admirais déjà m’ébranla encore davantage et je me suis senti alors tout petit face à lui dont le courage était déjà reconnu de tous. Notre train arrivait à quai, Pierre-Henri retrouva son plus jeune enfant, toujours aussi excité et volubile, embrassa son aîné qui restait sur Brest et avec Erwan, discrètement resté à l’écart de notre petite entrevue confidentielle, ils saisirent chacun une main de l’enfant pour gravir les marches de leur voiture. Ce trio ainsi lié, que je voyais de dos, revêtait un symbole tout à fait particulier, il était la synthèse de nos contradictions humaines où comment, dans les méandres de nos démons, nous cultivons tous un unique espoir, celui de tenir la main des jeunes générations que nous souhaitons forcément plus raisonnable, moins naïves et plus responsables. Puis ils se retournèrent pour me faire un dernier signe d’adieu, le regard légèrement attristé d’Erwan m’indiquait en outre qu’il connaissait la gravité du mal de son grand frère et qu’il me savait désormais pareillement dépositaire de cet aveu encore confidentiel. Avec un immense sourire le jeune enfant déplia à nouveau le maillot râpé et taché de sang du martyr à vélo qui avec beaucoup de blanc, un peu bleu et des tâches de rouge revêtait ainsi un triple sens saisissant propre à émouvoir : La puissance, la souffrance, la blessure.

Toujours soucieux d’informer toute sa sphère amicale et familiale, Pierre-Henri inondait nos téléphones mobiles de textos explicatifs très clairs sur l’avancée de son combat. Sa seule prière connue fut celle que me lira un jour Emmanuel Hubert la voix encombrée par l’émotion : « Pense à moi juste une minute par jour. Passe-moi un long relais d’une minute par jour en m’aimant et me protégeant pour me faire gagner la course. » Ce n’était qu’une vaine stratégie de course car Pierre-Henri a finalement déclaré forfait pour cette dernière épreuve qui par force est devenue la nôtre.

Marc Fayet 
Avril 2014