Arnaud Tournant, sacré kilométreur !
Il fut le sprinter français le plus titré dans l’histoire de la piste. C’était, dans tous les sens du terme, un géant. Portrait d’Arnaud Tournant, Nordiste et gladiateur…
« Sans doute le plus grand ''kilomètreur” de tous les temps », écrivait à son sujet Philippe Bouvet en mars 2014.[1] Un compliment formidable, que les chiffres officiels ont souvent corroboré. Arnaud Tournant ne demeure-t-il pas, avec dix-neuf médailles au niveau des séniors, dont quatorze en or, le cycliste français le plus récompensé dans les championnats du monde sur piste ? Sans oublier qu’il augmenta cette impressionnante moisson de quatre médailles olympiques, dont une en or, en 2000, dans la vitesse par équipe. Et qu’il a glané aussi, à partir de 1997, sept titres de champion de France du kilomètre et le titre de champion de France de vitesse en 2005. Bref ! une réussite exceptionnelle à laquelle il convient d’ajouter les lauriers conquis chez les jeunes. N’est-ce pas en effet dans les rangs des juniors, sur l’anneau de Novo Mesto, que ce garçon taillé en Hercule goûta à la gloire ? « Mon premier titre de champion du monde. En vitesse par équipe… Ce n’est pas parce que je l’ai obtenu à dix-huit ans qu’il ne compte pas dans mon palmarès ! C’est mon premier maillot irisé, ma première Marseillaise. Je m’en souviendrai à vie. Pour moi, il compte autant que les quatorze autres », devait-il confier, des années plus tard, à Hervé Bombrun.[2] Manière d’avouer — et son interlocuteur n’en serait pas dupe — qu’il avait été bien davantage qu’une simple machine à gagner. Non, cet enfant de la balle, né le 5 avril 1978 à Roubaix, avait jadis connu le doute… Pour tout dire, il était monté sur une selle par hasard, afin d’imiter son père, passionné de cyclisme. Puis il avait continué, manifestement attiré par la proximité du célèbre vélodrome où Merckx, De Vlaeminck, Moser, Hinault, Museeuw avaient triomphé. « J’ai découvert le pignon fixe, les virages. C’était une ambiance entre potes. Ça m’a plu tout de suite », rapporterait-il.[3] Avant d’ajouter une précision qui allait de soi : « Je gagne la course aux points et je termine deuxième en vitesse. »[4] Un prodige s’annonçait.
Un prodige, oui. Telle était du moins l’idée que s’en faisait Gérard Quintyn, entraîneur national de la piste, lorsqu’il appela ce junior première année en équipe de France. C’était en 1995, à l’occasion des championnats du monde de Forli. Inexpérimenté mais puissant, Arnaud Tournant y décrocha une prometteuse cinquième place en vitesse. Puis ce fut donc l’épopée slovène de Novo Mesto, en 1996 : un frisson immense, une fierté indescriptible. Ne ramenait-il pas à Roubaix, au milieu de sa famille et parmi ses copains, non seulement le titre mondial de la vitesse par équipe, mais aussi la médaille d’argent de la vitesse individuelle ? Autrement dit, la preuve que ce gladiateur d’1 mètre 80 pouvait, à son tour, rêver d’un destin…
Pourtant, que d’embûches sur sa route… Il l’a raconté : plusieurs fois, l’adolescent qu’il était crut qu’il laisserait tomber, vexé par les brimades de ceux qui le regardaient comme un rival dangereux. Mais, son naturel de compétiteur avait repris le dessus ; il s’était acharné, se conciliant peu à peu le respect du numéro un de l’époque, l’Orléanais Florien Rousseau. La suite ? Son premier titre mondial chez les séniors, en 1997, avec justement Florian Rousseau et Vincent Le Quellec, en vitesse par équipe. Puis, l’année d’après, à Bordeaux, le premier de ses quatre titres mondiaux dans le kilomètre — la fameuse « borne », épreuve mythique. « Phénoménal Tournant ! », admira du reste le quotidien L’Équipe en gros caractères. Et Philippe Bouvet, l’envoyé spécial, d’expliquer : « Avec un kilomètre parcouru en 1 mn 1 sec 879, soit une moyenne de 58,178 kilomètres/heure (y compris le départ arrêté), Arnaud Tournant est l’homme le plus rapide de tous les temps sur la distance au niveau de la mer. »[5] En clair, un exploit, signé par un athlète de tout juste vingt ans. Son génie serait de confirmer, de gagner encore, de lutter toujours…
Au meilleur de sa forme, ce sprinter rémunéré par Cofidis, son indéfectible sponsor, pesait quatre-vingt-dix kilos. Uniquement du muscle, évidemment, forgé jour après jour sous le joug têtu de l’entraînement, du courage, de l’orgueil et de l’abnégation. Ainsi arriva-t-il, de victoire en victoire, et malgré deux défaites cuisantes dans sa discipline fétiche, le kilomètre, aux Jeux Olympiques de Sydney et d’Athènes (en 2000 et 2004), ainsi arriva-t-il à cette saison 2001, quand il sembla porté par une force supplémentaire. Le résultat écœura les Kelly, Gané, Rousseau, Fiedler, Hoy, ses habituels adversaires : trois titres mondiaux, sur le kilomètre, en vitesse par équipe, en vitesse individuelle, conquis au mois de septembre, sur la piste d’Anvers. Puis, le 10 octobre, un record du monde historique puisqu’il devenait, à 3 650 mètre d’altitude, dans l’air exténué de La Paz, le premier homme à boucler le kilomètre en moins d’une minute. Exactement 58 sec et 875 millièmes ! Départ arrêté, Arnaud Tournant avait enroulé son gigantesque braquet de 53 x 14 à la vitesse de 61,146 kilomètres/heure ! Ce fut, au sens propre, son sommet. « Souvent, les gens me demandent pourquoi j’étais si fort, et pourquoi je n’ai jamais retrouvé cette force… Je n’en sais rien. J’ai eu l’impression de toucher le ciel. C’était comme une grâce », soufflerait-il en 2010.[6]
Il était entré dans la légende, celle du sport et celle de l’évolution biomécanique dont il incarnait désormais une strate. Aussi attendait-il, en guerrier exemplaire et farouche, le tribut de ses exploits — et, concrètement, d’être sacré du titre honorifique, décerné par L’Équipe, de « Champion des champions français » pour 2001. Hélas, la distinction méritée lui échappa, le laissant dans l’idée, point fausse, que les prouesses d’un pistard roubaisien ne pèseraient jamais lourd aux yeux d’une coterie parisienne. D’où l’amertume qui fut longtemps la sienne et ses nombreux coups de gueule à l’encontre de la presse. Mais, répétons-le, n’était-il pas dans son droit de guerrier exemplaire et farouche ? « J’ai tenu douze ans chez les élites, décrochant quatorze titres mondiaux entre 1997 et 2008, alors que le niveau ne cessait de s’élever », aimait-il à marteler.[7]
Devant cet extraordinaire champion, et devant ce colosse discrètement blessé, Antoine Blondin n’aurait eu qu’un mot : « Admirable ».
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Arnaud Tournant en bref
Né le 5 avril 1978 à Roubaix.
Professionnel chez Cofidis de 1997 à 2008.
Principales victoires : Junior : Championnat du monde de vitesse par équipe 1996. Élite : Championnat du monde de vitesse par équipe 1997, 1998, 1999, 2000, 2001, 2004, 2006, 2007, 2008) ; Championnat du monde du kilomètre 1998, 1999, 2000, 2001 ; Championnat du monde de vitesse 2001 ; Vitesse par équipe aux Jeux Olympiques 2000).
[1] In L’Équipe.
[2] In La France Cycliste, décembre 2008.
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] L’Équipe du 27 août 1998.
[6] In Le Prix Pierre Chany, Ed. Cristel, 2010, p. 153.
[7] Ibid.
Arnaud Tournant, sacré kilométreur !
Il fut le sprinter français le plus titré dans l’histoire de la piste. C’était, dans tous les sens du terme, un géant. Portrait d’Arnaud Tournant, Nordiste et gladiateur…
« Sans doute le plus grand ''kilomètreur” de tous les temps », écrivait à son sujet Philippe Bouvet en mars 2014.[1] Un compliment formidable, que les chiffres officiels ont souvent corroboré. Arnaud Tournant ne demeure-t-il pas, avec dix-neuf médailles au niveau des séniors, dont quatorze en or, le cycliste français le plus récompensé dans les championnats du monde sur piste ? Sans oublier qu’il augmenta cette impressionnante moisson de quatre médailles olympiques, dont une en or, en 2000, dans la vitesse par équipe. Et qu’il a glané aussi, à partir de 1997, sept titres de champion de France du kilomètre et le titre de champion de France de vitesse en 2005. Bref ! une réussite exceptionnelle à laquelle il convient d’ajouter les lauriers conquis chez les jeunes. N’est-ce pas en effet dans les rangs des juniors, sur l’anneau de Novo Mesto, que ce garçon taillé en Hercule goûta à la gloire ? « Mon premier titre de champion du monde. En vitesse par équipe… Ce n’est pas parce que je l’ai obtenu à dix-huit ans qu’il ne compte pas dans mon palmarès ! C’est mon premier maillot irisé, ma première Marseillaise. Je m’en souviendrai à vie. Pour moi, il compte autant que les quatorze autres », devait-il confier, des années plus tard, à Hervé Bombrun.[2] Manière d’avouer — et son interlocuteur n’en serait pas dupe — qu’il avait été bien davantage qu’une simple machine à gagner. Non, cet enfant de la balle, né le 5 avril 1978 à Roubaix, avait jadis connu le doute… Pour tout dire, il était monté sur une selle par hasard, afin d’imiter son père, passionné de cyclisme. Puis il avait continué, manifestement attiré par la proximité du célèbre vélodrome où Merckx, De Vlaeminck, Moser, Hinault, Museeuw avaient triomphé. « J’ai découvert le pignon fixe, les virages. C’était une ambiance entre potes. Ça m’a plu tout de suite », rapporterait-il.[3] Avant d’ajouter une précision qui allait de soi : « Je gagne la course aux points et je termine deuxième en vitesse. »[4] Un prodige s’annonçait.
Un prodige, oui. Telle était du moins l’idée que s’en faisait Gérard Quintyn, entraîneur national de la piste, lorsqu’il appela ce junior première année en équipe de France. C’était en 1995, à l’occasion des championnats du monde de Forli. Inexpérimenté mais puissant, Arnaud Tournant y décrocha une prometteuse cinquième place en vitesse. Puis ce fut donc l’épopée slovène de Novo Mesto, en 1996 : un frisson immense, une fierté indescriptible. Ne ramenait-il pas à Roubaix, au milieu de sa famille et parmi ses copains, non seulement le titre mondial de la vitesse par équipe, mais aussi la médaille d’argent de la vitesse individuelle ? Autrement dit, la preuve que ce gladiateur d’1 mètre 80 pouvait, à son tour, rêver d’un destin…
Pourtant, que d’embûches sur sa route… Il l’a raconté : plusieurs fois, l’adolescent qu’il était crut qu’il laisserait tomber, vexé par les brimades de ceux qui le regardaient comme un rival dangereux. Mais, son naturel de compétiteur avait repris le dessus ; il s’était acharné, se conciliant peu à peu le respect du numéro un de l’époque, l’Orléanais Florien Rousseau. La suite ? Son premier titre mondial chez les séniors, en 1997, avec justement Florian Rousseau et Vincent Le Quellec, en vitesse par équipe. Puis, l’année d’après, à Bordeaux, le premier de ses quatre titres mondiaux dans le kilomètre — la fameuse « borne », épreuve mythique. « Phénoménal Tournant ! », admira du reste le quotidien L’Équipe en gros caractères. Et Philippe Bouvet, l’envoyé spécial, d’expliquer : « Avec un kilomètre parcouru en 1 mn 1 sec 879, soit une moyenne de 58,178 kilomètres/heure (y compris le départ arrêté), Arnaud Tournant est l’homme le plus rapide de tous les temps sur la distance au niveau de la mer. »[5] En clair, un exploit, signé par un athlète de tout juste vingt ans. Son génie serait de confirmer, de gagner encore, de lutter toujours…
Au meilleur de sa forme, ce sprinter rémunéré par Cofidis, son indéfectible sponsor, pesait quatre-vingt-dix kilos. Uniquement du muscle, évidemment, forgé jour après jour sous le joug têtu de l’entraînement, du courage, de l’orgueil et de l’abnégation. Ainsi arriva-t-il, de victoire en victoire, et malgré deux défaites cuisantes dans sa discipline fétiche, le kilomètre, aux Jeux Olympiques de Sydney et d’Athènes (en 2000 et 2004), ainsi arriva-t-il à cette saison 2001, quand il sembla porté par une force supplémentaire. Le résultat écœura les Kelly, Gané, Rousseau, Fiedler, Hoy, ses habituels adversaires : trois titres mondiaux, sur le kilomètre, en vitesse par équipe, en vitesse individuelle, conquis au mois de septembre, sur la piste d’Anvers. Puis, le 10 octobre, un record du monde historique puisqu’il devenait, à 3 650 mètre d’altitude, dans l’air exténué de La Paz, le premier homme à boucler le kilomètre en moins d’une minute. Exactement 58 sec et 875 millièmes ! Départ arrêté, Arnaud Tournant avait enroulé son gigantesque braquet de 53 x 14 à la vitesse de 61,146 kilomètres/heure ! Ce fut, au sens propre, son sommet. « Souvent, les gens me demandent pourquoi j’étais si fort, et pourquoi je n’ai jamais retrouvé cette force… Je n’en sais rien. J’ai eu l’impression de toucher le ciel. C’était comme une grâce », soufflerait-il en 2010.[6]
Il était entré dans la légende, celle du sport et celle de l’évolution biomécanique dont il incarnait désormais une strate. Aussi attendait-il, en guerrier exemplaire et farouche, le tribut de ses exploits — et, concrètement, d’être sacré du titre honorifique, décerné par L’Équipe, de « Champion des champions français » pour 2001. Hélas, la distinction méritée lui échappa, le laissant dans l’idée, point fausse, que les prouesses d’un pistard roubaisien ne pèseraient jamais lourd aux yeux d’une coterie parisienne. D’où l’amertume qui fut longtemps la sienne et ses nombreux coups de gueule à l’encontre de la presse. Mais, répétons-le, n’était-il pas dans son droit de guerrier exemplaire et farouche ? « J’ai tenu douze ans chez les élites, décrochant quatorze titres mondiaux entre 1997 et 2008, alors que le niveau ne cessait de s’élever », aimait-il à marteler.[7]
Devant cet extraordinaire champion, et devant ce colosse discrètement blessé, Antoine Blondin n’aurait eu qu’un mot : « Admirable ».
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Arnaud Tournant en bref
Né le 5 avril 1978 à Roubaix.
Professionnel chez Cofidis de 1997 à 2008.
Principales victoires : Junior : Championnat du monde de vitesse par équipe 1996. Élite : Championnat du monde de vitesse par équipe 1997, 1998, 1999, 2000, 2001, 2004, 2006, 2007, 2008) ; Championnat du monde du kilomètre 1998, 1999, 2000, 2001 ; Championnat du monde de vitesse 2001 ; Vitesse par équipe aux Jeux Olympiques 2000).
[1] In L’Équipe.
[2] In La France Cycliste, décembre 2008.
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] L’Équipe du 27 août 1998.
[6] In Le Prix Pierre Chany, Ed. Cristel, 2010, p. 153.
[7] Ibid.
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