Eddy Seigneur, né en 1969
Il fit un magnifique vainqueur d’étape sur les Champs-Élysées. Il remporta le titre de champion de France sur route et quatre titres dans l’épreuve du contre-la-montre. Portrait d’Eddy Seigneur, qui roulait la tête haute…
Il paraît que tout a commencé en 1980, lorsqu’il découvrit sur grand écran les images de La Course en tête, irrésistible film dédié à la gloire d’Eddy Merckx. On devine ses yeux de gamin … Quand il sortit de la salle, Eddy Seigneur, onze ans, n’en doutait plus : il deviendrait cycliste ! Peut-être pas un champion, car il était d’une nature modeste, mais un dur au mal, sûr ! Et puis, confusément, il sentait qu’il serait un coureur probe puisque son éducation tendait vers cela. Sa mère, une veuve, ne lui répétait-elle pas que dans la vie, il faut savoir se tenir. Passé professionnel, Eddy Seigneur saurait s’en souvenir…
Parce que, bel et bien, il passa professionnel ! Et de quelle manière ! D’abord, il domina la catégorie des juniors, décrochant un titre de champion de France par équipe et le titre de vice-champion de France sur route individuel en 1988. Puis, pour ses débuts chez les séniors, nouveau titre de vice-champion de France espoir, en cyclo-cross cette fois. Bref, un jeune homme particulièrement doué que nul ne s’étonna de retrouver sous le maillot Z-Peugeot en septembre 1991. Et nul ne s’étonna non plus de le voir remporter, en septembre 1992, le prologue du Tour de l’Avenir. Depuis sa quatrième place dans le championnat du monde par équipe, avec Harel, Garel et Faivre-Pierret, en 1990, chacun constatait qu’il excellait dans les contre-la-montre…
Il convient de s’arrêter sur ce prologue disputé à Rennes. On l’a dit : Seigneur s’y était imposé, bouclant les 4,5 kilomètres en 5mn 9sec. Son dauphin ? Léon Van Bon, un rouleur, battu de deux secondes. Le troisième ? Jean-Philippe Dojwa. Quatrième ? Laurent Brochard. Cinquième ? Didier Rous. Venaient ensuite des garçons comme Lance Armstrong, Evgueni Berzin, Viatcheslav Bobrik, sans oublier un certain Axel Merckx, le fils de son idole… Avec leur jeunesse, leurs envies, leur morgue, leurs secrets, tous annonçaient le décor de sa future carrière. De gré ou de force, Eddy Seigneur, né à Beauvais en 1969, devrait compter avec eux …
La vérité est qu’il s’en tira plutôt bien. Continuant sur sa lancée, il réussit en effet une formidable saison 1993, s’adjugeant cinq victoires et cumulant quatorze podiums, dont une deuxième place dans le Tour de l’Oise et le Grand Prix d’Isbergues, une troisième dans les Quatre Jours de Dunkerque et le Grand Prix des Nations. Puis il donna le sentiment de franchir un troisième échelon l’année suivante en triomphant au classement final des Quatre Jours de Dunkerque — son « meilleur souvenir », raconterait-il longtemps après[1]. « Gilbert Duclos-Lassalle, Greg LeMond, François Lemarchand, Thierry Gouvenou ont roulé pour moi alors que j’étais encore un jeune coureur. On a défendu le maillot bec et ongles pendant les quatre jours. Pour moi, le collectif prime sur l’individuel… »[2] Jolie façon d’expliquer qu’il n’avait gâté aucun des enseignements de sa mère, et que s’il entendait progresser, il le ferait vertueusement, sans laisser des cadavres derrière lui… Or, au temps dont nous parlons, que de vices et de misères dans la lie du peloton ! C’était à qui trouverait la pastille miracle, à qui s’injecterait le plus d’EPO… Comment réagit notre soldat ? La rumeur affirme qu’il garda la tête haute, quitte à rater son premier Tour de France. Une longue souffrance, que le Picard résumerait d’une formule : « Trois semaines de galère » ! Cependant, il en voyait le bout. Une seule étape restait, la vingt et unième, tracée entre Disneyland et Paris sur 175 kilomètres. Quel ressort l’anima ? Dans un moment de grâce, devant une foule compacte, devant des millions de téléspectateurs, il suivit Andreu, Kasputis, Hamburger, Jörg Müller partis en conquête. Une échappée solide, appliquée, pointée avec quarante secondes d’avance au panneau des deux ultimes kilomètres. Puis l’Américain attaqua, creusant aussitôt un écart. Sous la flamme rouge, il avait course gagnée quand Eddy Seigneur, avec une exceptionnelle maîtrise, bondit à son tour pour signer un exploit d’une rare intensité. Un sprint d’un kilomètre, dans un style étourdissant, les mains non pas serrant le bas du guidon, mais posées en haut du cintre, tandis que ses épaules rythmaient sa folle pédalée. Aux cinq cents mètres, on croyait qu’il avait contré trop tard, qu’il ne reviendrait pas. Aux quatre cents mètres, oui ! c’était fichu. Mais il insistait, se rapprochait, lancé à la manière d’un boulet de canon… Aux trois cents mètres, il ne lui manquait presque rien. Il accéléra encore, passa sous le panneau des deux cents derniers mètres : Andreu semblait désormais l’aspirer ! Alors, il porta l’estocade. Un coup de rein l’isola le long des balustrades, sur le côté droit des Champs-Élysées ; puis il se redressa et leva les bras au ciel. Ce serait son chef d’œuvre.
Il connut un autre beau jour — le dimanche 25 juin 1995, à l’occasion du championnat de France. Sur le difficile circuit de La Cluse-et-Mijoux, il n’était certes pas favori, ayant peiné au printemps. Mais, une nouvelle fois, sauvé par la grâce, il écrasa l’épreuve, coupant la ligne largement détaché. D’aucuns parlèrent de maturité, de consécration. N’entrait-il pas, à vingt-six ans, dans ce qu’il regardait comme son plein épanouissement athlétique ? Sa désillusion fut brutale : dès les rendez-vous suivants, il n’avançait plus ! Il était sans cesse débordé, dans les grands Tours, dans les classiques, dans les courses d’une semaine ! Pourtant, il demeurait le même, c’est-à-dire un puissant rouleur d’un mètre 80 parfaitement posé sur sa selle… Mais rien n’y faisait, sauf dans le championnat de France du contre-la-montre individuel, discipline créée en 1995 et encore peu convoitée. En clair, moins d’enjeux, moins d’argent, moins de tricheurs ! En 1996, Eddy Seigneur y imposa son expérience et sa marque, avant de reconduire son succès en 2002, 2003 et 2004. Ce fut son réconfort, son très louable bonhomme de chemin.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Eddy Seigneur en bref
Né le 15 février 1969 à Beauvais.
Professionnel chez Z (à partir de septembre 1991 et 1992), Gan (1993 à 1996), La Française des Jeux (1997), Crédit Agricole (1998), Saint-Quentin-Oktos (1999), Jean Delatour (2000 à 2003), Ragt Semences (2004 et 2005).
Principales victoires : Champ. de France sur route 1995 ; Champ. de France du CLM 1996, 2002, 2003, 2004 ; prologue du Tour de l’Avenir 1992 et 1994 ; G. P. de Rennes 1993 ; 10e et 12e étapes du Tour de l’Avenir 1993 ; Quatre Jours de Dunkerque 1994 ; 21e étape du Tour de France ; Trio Normand 1995 ; Tour du Poitou-Charentes 1996 ; Circuit des Mines 1997 ; Duo Normand (avec F. Finot) 2004.
[1] Cyclism’Actu du 28 décembre 2012. Interview de Bertrand Latour.
[2] Ibid.
Eddy Seigneur, né en 1969
Il fit un magnifique vainqueur d’étape sur les Champs-Élysées. Il remporta le titre de champion de France sur route et quatre titres dans l’épreuve du contre-la-montre. Portrait d’Eddy Seigneur, qui roulait la tête haute…
Il paraît que tout a commencé en 1980, lorsqu’il découvrit sur grand écran les images de La Course en tête, irrésistible film dédié à la gloire d’Eddy Merckx. On devine ses yeux de gamin … Quand il sortit de la salle, Eddy Seigneur, onze ans, n’en doutait plus : il deviendrait cycliste ! Peut-être pas un champion, car il était d’une nature modeste, mais un dur au mal, sûr ! Et puis, confusément, il sentait qu’il serait un coureur probe puisque son éducation tendait vers cela. Sa mère, une veuve, ne lui répétait-elle pas que dans la vie, il faut savoir se tenir. Passé professionnel, Eddy Seigneur saurait s’en souvenir…
Parce que, bel et bien, il passa professionnel ! Et de quelle manière ! D’abord, il domina la catégorie des juniors, décrochant un titre de champion de France par équipe et le titre de vice-champion de France sur route individuel en 1988. Puis, pour ses débuts chez les séniors, nouveau titre de vice-champion de France espoir, en cyclo-cross cette fois. Bref, un jeune homme particulièrement doué que nul ne s’étonna de retrouver sous le maillot Z-Peugeot en septembre 1991. Et nul ne s’étonna non plus de le voir remporter, en septembre 1992, le prologue du Tour de l’Avenir. Depuis sa quatrième place dans le championnat du monde par équipe, avec Harel, Garel et Faivre-Pierret, en 1990, chacun constatait qu’il excellait dans les contre-la-montre…
Il convient de s’arrêter sur ce prologue disputé à Rennes. On l’a dit : Seigneur s’y était imposé, bouclant les 4,5 kilomètres en 5mn 9sec. Son dauphin ? Léon Van Bon, un rouleur, battu de deux secondes. Le troisième ? Jean-Philippe Dojwa. Quatrième ? Laurent Brochard. Cinquième ? Didier Rous. Venaient ensuite des garçons comme Lance Armstrong, Evgueni Berzin, Viatcheslav Bobrik, sans oublier un certain Axel Merckx, le fils de son idole… Avec leur jeunesse, leurs envies, leur morgue, leurs secrets, tous annonçaient le décor de sa future carrière. De gré ou de force, Eddy Seigneur, né à Beauvais en 1969, devrait compter avec eux …
La vérité est qu’il s’en tira plutôt bien. Continuant sur sa lancée, il réussit en effet une formidable saison 1993, s’adjugeant cinq victoires et cumulant quatorze podiums, dont une deuxième place dans le Tour de l’Oise et le Grand Prix d’Isbergues, une troisième dans les Quatre Jours de Dunkerque et le Grand Prix des Nations. Puis il donna le sentiment de franchir un troisième échelon l’année suivante en triomphant au classement final des Quatre Jours de Dunkerque — son « meilleur souvenir », raconterait-il longtemps après[1]. « Gilbert Duclos-Lassalle, Greg LeMond, François Lemarchand, Thierry Gouvenou ont roulé pour moi alors que j’étais encore un jeune coureur. On a défendu le maillot bec et ongles pendant les quatre jours. Pour moi, le collectif prime sur l’individuel… »[2] Jolie façon d’expliquer qu’il n’avait gâté aucun des enseignements de sa mère, et que s’il entendait progresser, il le ferait vertueusement, sans laisser des cadavres derrière lui… Or, au temps dont nous parlons, que de vices et de misères dans la lie du peloton ! C’était à qui trouverait la pastille miracle, à qui s’injecterait le plus d’EPO… Comment réagit notre soldat ? La rumeur affirme qu’il garda la tête haute, quitte à rater son premier Tour de France. Une longue souffrance, que le Picard résumerait d’une formule : « Trois semaines de galère » ! Cependant, il en voyait le bout. Une seule étape restait, la vingt et unième, tracée entre Disneyland et Paris sur 175 kilomètres. Quel ressort l’anima ? Dans un moment de grâce, devant une foule compacte, devant des millions de téléspectateurs, il suivit Andreu, Kasputis, Hamburger, Jörg Müller partis en conquête. Une échappée solide, appliquée, pointée avec quarante secondes d’avance au panneau des deux ultimes kilomètres. Puis l’Américain attaqua, creusant aussitôt un écart. Sous la flamme rouge, il avait course gagnée quand Eddy Seigneur, avec une exceptionnelle maîtrise, bondit à son tour pour signer un exploit d’une rare intensité. Un sprint d’un kilomètre, dans un style étourdissant, les mains non pas serrant le bas du guidon, mais posées en haut du cintre, tandis que ses épaules rythmaient sa folle pédalée. Aux cinq cents mètres, on croyait qu’il avait contré trop tard, qu’il ne reviendrait pas. Aux quatre cents mètres, oui ! c’était fichu. Mais il insistait, se rapprochait, lancé à la manière d’un boulet de canon… Aux trois cents mètres, il ne lui manquait presque rien. Il accéléra encore, passa sous le panneau des deux cents derniers mètres : Andreu semblait désormais l’aspirer ! Alors, il porta l’estocade. Un coup de rein l’isola le long des balustrades, sur le côté droit des Champs-Élysées ; puis il se redressa et leva les bras au ciel. Ce serait son chef d’œuvre.
Il connut un autre beau jour — le dimanche 25 juin 1995, à l’occasion du championnat de France. Sur le difficile circuit de La Cluse-et-Mijoux, il n’était certes pas favori, ayant peiné au printemps. Mais, une nouvelle fois, sauvé par la grâce, il écrasa l’épreuve, coupant la ligne largement détaché. D’aucuns parlèrent de maturité, de consécration. N’entrait-il pas, à vingt-six ans, dans ce qu’il regardait comme son plein épanouissement athlétique ? Sa désillusion fut brutale : dès les rendez-vous suivants, il n’avançait plus ! Il était sans cesse débordé, dans les grands Tours, dans les classiques, dans les courses d’une semaine ! Pourtant, il demeurait le même, c’est-à-dire un puissant rouleur d’un mètre 80 parfaitement posé sur sa selle… Mais rien n’y faisait, sauf dans le championnat de France du contre-la-montre individuel, discipline créée en 1995 et encore peu convoitée. En clair, moins d’enjeux, moins d’argent, moins de tricheurs ! En 1996, Eddy Seigneur y imposa son expérience et sa marque, avant de reconduire son succès en 2002, 2003 et 2004. Ce fut son réconfort, son très louable bonhomme de chemin.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Eddy Seigneur en bref
Né le 15 février 1969 à Beauvais.
Professionnel chez Z (à partir de septembre 1991 et 1992), Gan (1993 à 1996), La Française des Jeux (1997), Crédit Agricole (1998), Saint-Quentin-Oktos (1999), Jean Delatour (2000 à 2003), Ragt Semences (2004 et 2005).
Principales victoires : Champ. de France sur route 1995 ; Champ. de France du CLM 1996, 2002, 2003, 2004 ; prologue du Tour de l’Avenir 1992 et 1994 ; G. P. de Rennes 1993 ; 10e et 12e étapes du Tour de l’Avenir 1993 ; Quatre Jours de Dunkerque 1994 ; 21e étape du Tour de France ; Trio Normand 1995 ; Tour du Poitou-Charentes 1996 ; Circuit des Mines 1997 ; Duo Normand (avec F. Finot) 2004.
[1] Cyclism’Actu du 28 décembre 2012. Interview de Bertrand Latour.
[2] Ibid.
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