Paul Néri, son titre, sa femme et son chien
Il fut une véritable figure de légende. Deux fois, il a remporté le championnat de France en étant Italien. Portrait de l’inimitable Paul Néri, qui servait le pastis, vendait des Gauloises, aimait sa femme et son chien…
Oh ! putain (entendre putaigne, avé l’assent), il n’était pas Français ! Il avait pourtant été sacré champion de France amateur en septembre 1942. De mémoire d’homme, une consécration propre, acquise à Lyon devant Louis Turmel et René Cador. Puis, sous l’inoubliable maillot bleu et blanc de la maison France-Sport, il avait reconduit son bail — mais cette fois chez les professionnels, le 22 juin 1947 ! Là encore, un engagement total, une course parfaite ponctuée, sur le circuit de Montlhéry, par une victoire au sprint. La suite ? Des baisers, du pastis et des accolades à n’en point finir, car son directeur sportif, le volubile Fred Oliveri, avait recruté de nombreux Méridionaux. Bref, une joie fraîche et collective à l’idée que le méritant Paul Néri débuterait le premier Tour de France d’après-guerre, le premier depuis 1939, moulé dans une superbe tunique tricolore… Puis, le coup du sort, imprévisible… Il était peut-être 23 heures quand Fred Oliveri décrocha le téléphone. Au bout du fil, la voix nerveuse de Jacques Goddet, patron de L’Équipe en un temps de forte concurrence sur le marché de l’information sportive. Aussi voulait-il en avoir le cœur net : Néri était-il Français ou était-il Italien ? Parce qu’Antonin Magne, l’entraîneur de Joseph Dessertine, deuxième de l’épreuve, avait déposé une réclamation, affirmant que Paul Néri, né à Reggio di Calabria en Italie, n’avait pas le droit de courir de championnat, n’ayant jamais été naturalisé ! Une bombe, dont on connaît chaque détail par le récit qu’en a donné Fred Oliveri :
« Paul, je lui fais, avoue que tu es Italien !
— Mais, non, Fred, je suis Français.
— À moi seul, dis-le : tu es Italien…
— Non, je suis Français. Vérifiez mes papiers… »
Sur le bahut, il y avait son portefeuille. Je l’ai ouvert, j’ai regardé la carte d’identité. C’était bien marqué : Paul Néri. Nationalité : Française. J’ai pris la carte et je suis allé trouver Jacques Goddet :
« Tenez, Jacques. Maintenant, qu’est-ce que vous dites ?
— Je vous soutiens. Je passe la publicité. »[1]
À cette époque, une victoire dans le championnat de France était très importante. On faisait beaucoup de publicité. Il y avait des millions en jeu ! Et moi, sincèrement, je croyais que Paul était Français. Pardi ! il avait déjà été champion de France amateur ! »
L’histoire ne s’arrêta pas là. Poussé par un Antonin Magne plutôt mal inspiré, un journaliste partit enquêter à la préfecture de Marseille. Sa conclusion ? Un scoop énorme ! Non, le double champion de France n’était pas Français ! De bonne foi, dans le cadre du remariage de sa mère, il avait cru s’appeler Paul Néri, mais, en réalité, il était né sous le nom de Paul Falduto et, faute de régularisation administrative, demeurait Italien. Inutile d’écrire que l’intéressé tomba de nues… Un témoin capital, Jacques Augendre, s’en ferait l’écho dans un livre de souvenirs : « Me voilà devant lui, quelques jours plus tard, envoyé spécial de L’Équipe à Aix-en-Provence où il tenait un bureau de tabac… Je le sais blessé par cette affaire, j’essaie donc de commencer gentiment : ‘Quoi ! Paul, il paraît que tu nous fais des cachotteries. Tu n’es pas Français ?’ Alors il me regarde et me répond du tac au tac, sur le ton qu’aurait pris Raimu chez Pagnol : ‘Toute la journée, je sers le pastis, je vends des Gauloises, je roule en Peugeot. Et je ne suis pas Francé, moi ?!’ »[2]
Tout était dit. Sur le bon sens du personnage, d’abord, garçon loyal et solide qui concevait le cyclisme professionnel, non pas comme un destin, mais comme une façon virile d’assurer ses arrières. Moyennant quoi, sans perdre de vue le bar-tabac familial, il s’était évertué sur les routes, s’offrant durant la guerre, en 1941, le Souvenir Laffon organisé chez lui, à Aix, ainsi que Marseille-Toulon. Puis ce furent, en 1942, sa deuxième place dans Marseille-Toulon-Marseille et son fameux championnat de France amateur… La preuve, en somme, que ce routier, excellent nulle part mais capable de tout, possédait les jambes pour tenter sa chance au plus haut niveau. On le retrouva donc sans surprise chez Erka Dunlop en 1944 et 1945, puis chez France-Sport en 1946 et 1947, et enfin chez La Perle où il achèverait sa carrière en 1951. Une carrière estimable, il va de soi, qui aurait pu rebondir le 15 mai 1949, lorsque Paul Néri sprinta pour la victoire dans Paris-Tours. Malheureusement, le Belge Albert Ramon le laissa à trois franches longueurs. C’était raté.
Il ne décrocherait jamais le succès qui l’aurait vengé d’un maillot tricolore d’autant plus injustement retiré qu’il finirait pas obtenir sa naturalisation en bonne et due forme. Mais il connut d’authentiques consolations puisqu’il s’adjugea Marseille-Toulon-Marseille en 1944, le Grand Prix d’Issoire en 1945, Paris-Camembert, le Grand Prix de Cannes et Saint-Raphaël-Marseille en 1946, le Prix de Saint-Cloud en 1947, la Ronde d’Aix-en-Provence en 1948, le Grand Prix de Nice en 1949, une étape et le classement général du Grand Prix de Constantine et des Zibans en 1951. Il eut également le loisir de disputer le Tour de France à quatre reprises, terminant trente-septième en 1948 mais écourtant les trois autres (abandon dans la troisième étape en 1947, éliminé dans la deuxième étape en 1949, abandon dans la quatrième l’année suivante). Pour quelles raisons renonçait-il si vite ? La vérité est qu’il aimait trop sa femme et son chien, ce dont Jacques Augendre a aussi témoigné : « Néri, le Provençal, avec son accent, téléphonant d’un hôtel à sa femme : ‘ Tu n’est pas en short, dis-moi ? Non ?... Parce que je ne veux pas que tu te promènes en short pendant que je fais le Tour de France…’ Après quoi, Néri lui demandait de parler au chien, et son chien aboyait à l’autre bout du fil, ce qui rendait Néri de bonheur… »[3]
Une femme, un bon chien, un peu de vélo… Paul Néri savait vivre.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Paul Néri en bref
Né le 26 mars 1917 à Reggio di Calabria en Italie. Naturalisé Français le 5 août 1955. Décédé à Marseille le 28 janvier 1979.
Champion de France amateur en 1942. Professionnel Erka-Dunlop (1944 et 1945), France-Sport (1946 et 1947), La Perle (1948 à 1951).
Principales victoires : Marseille-Toulon-Marseille 1944 ; G. P. d’Issoire 1945 ; Paris-Camembert 1946 ; G. P. de Cannes 1946 ; Saint-Raphaël-Marseille 1946 ; Prix de Saint-Cloud 1947 ; Ronde d’Aix-en-Provence 1948 ; G. P. de Nice 1949 ; G. P. de Constantine et des Zibans 1951.
[1] In Fred Oliveri, les fabuleux souvenirs du plus vieux cycliste du monde, Éd. Cristel, 2005, p. 68.
[2] In Jacques Augendre, la mémoire du Tour de France, Éd. Cristel, 2001, p. 52.
[3] Ibid., p. 51.
Paul Néri, son titre, sa femme et son chien
Il fut une véritable figure de légende. Deux fois, il a remporté le championnat de France en étant Italien. Portrait de l’inimitable Paul Néri, qui servait le pastis, vendait des Gauloises, aimait sa femme et son chien…
Oh ! putain (entendre putaigne, avé l’assent), il n’était pas Français ! Il avait pourtant été sacré champion de France amateur en septembre 1942. De mémoire d’homme, une consécration propre, acquise à Lyon devant Louis Turmel et René Cador. Puis, sous l’inoubliable maillot bleu et blanc de la maison France-Sport, il avait reconduit son bail — mais cette fois chez les professionnels, le 22 juin 1947 ! Là encore, un engagement total, une course parfaite ponctuée, sur le circuit de Montlhéry, par une victoire au sprint. La suite ? Des baisers, du pastis et des accolades à n’en point finir, car son directeur sportif, le volubile Fred Oliveri, avait recruté de nombreux Méridionaux. Bref, une joie fraîche et collective à l’idée que le méritant Paul Néri débuterait le premier Tour de France d’après-guerre, le premier depuis 1939, moulé dans une superbe tunique tricolore… Puis, le coup du sort, imprévisible… Il était peut-être 23 heures quand Fred Oliveri décrocha le téléphone. Au bout du fil, la voix nerveuse de Jacques Goddet, patron de L’Équipe en un temps de forte concurrence sur le marché de l’information sportive. Aussi voulait-il en avoir le cœur net : Néri était-il Français ou était-il Italien ? Parce qu’Antonin Magne, l’entraîneur de Joseph Dessertine, deuxième de l’épreuve, avait déposé une réclamation, affirmant que Paul Néri, né à Reggio di Calabria en Italie, n’avait pas le droit de courir de championnat, n’ayant jamais été naturalisé ! Une bombe, dont on connaît chaque détail par le récit qu’en a donné Fred Oliveri :
« Paul, je lui fais, avoue que tu es Italien !
— Mais, non, Fred, je suis Français.
— À moi seul, dis-le : tu es Italien…
— Non, je suis Français. Vérifiez mes papiers… »
Sur le bahut, il y avait son portefeuille. Je l’ai ouvert, j’ai regardé la carte d’identité. C’était bien marqué : Paul Néri. Nationalité : Française. J’ai pris la carte et je suis allé trouver Jacques Goddet :
« Tenez, Jacques. Maintenant, qu’est-ce que vous dites ?
— Je vous soutiens. Je passe la publicité. »[1]
À cette époque, une victoire dans le championnat de France était très importante. On faisait beaucoup de publicité. Il y avait des millions en jeu ! Et moi, sincèrement, je croyais que Paul était Français. Pardi ! il avait déjà été champion de France amateur ! »
L’histoire ne s’arrêta pas là. Poussé par un Antonin Magne plutôt mal inspiré, un journaliste partit enquêter à la préfecture de Marseille. Sa conclusion ? Un scoop énorme ! Non, le double champion de France n’était pas Français ! De bonne foi, dans le cadre du remariage de sa mère, il avait cru s’appeler Paul Néri, mais, en réalité, il était né sous le nom de Paul Falduto et, faute de régularisation administrative, demeurait Italien. Inutile d’écrire que l’intéressé tomba de nues… Un témoin capital, Jacques Augendre, s’en ferait l’écho dans un livre de souvenirs : « Me voilà devant lui, quelques jours plus tard, envoyé spécial de L’Équipe à Aix-en-Provence où il tenait un bureau de tabac… Je le sais blessé par cette affaire, j’essaie donc de commencer gentiment : ‘Quoi ! Paul, il paraît que tu nous fais des cachotteries. Tu n’es pas Français ?’ Alors il me regarde et me répond du tac au tac, sur le ton qu’aurait pris Raimu chez Pagnol : ‘Toute la journée, je sers le pastis, je vends des Gauloises, je roule en Peugeot. Et je ne suis pas Francé, moi ?!’ »[2]
Tout était dit. Sur le bon sens du personnage, d’abord, garçon loyal et solide qui concevait le cyclisme professionnel, non pas comme un destin, mais comme une façon virile d’assurer ses arrières. Moyennant quoi, sans perdre de vue le bar-tabac familial, il s’était évertué sur les routes, s’offrant durant la guerre, en 1941, le Souvenir Laffon organisé chez lui, à Aix, ainsi que Marseille-Toulon. Puis ce furent, en 1942, sa deuxième place dans Marseille-Toulon-Marseille et son fameux championnat de France amateur… La preuve, en somme, que ce routier, excellent nulle part mais capable de tout, possédait les jambes pour tenter sa chance au plus haut niveau. On le retrouva donc sans surprise chez Erka Dunlop en 1944 et 1945, puis chez France-Sport en 1946 et 1947, et enfin chez La Perle où il achèverait sa carrière en 1951. Une carrière estimable, il va de soi, qui aurait pu rebondir le 15 mai 1949, lorsque Paul Néri sprinta pour la victoire dans Paris-Tours. Malheureusement, le Belge Albert Ramon le laissa à trois franches longueurs. C’était raté.
Il ne décrocherait jamais le succès qui l’aurait vengé d’un maillot tricolore d’autant plus injustement retiré qu’il finirait pas obtenir sa naturalisation en bonne et due forme. Mais il connut d’authentiques consolations puisqu’il s’adjugea Marseille-Toulon-Marseille en 1944, le Grand Prix d’Issoire en 1945, Paris-Camembert, le Grand Prix de Cannes et Saint-Raphaël-Marseille en 1946, le Prix de Saint-Cloud en 1947, la Ronde d’Aix-en-Provence en 1948, le Grand Prix de Nice en 1949, une étape et le classement général du Grand Prix de Constantine et des Zibans en 1951. Il eut également le loisir de disputer le Tour de France à quatre reprises, terminant trente-septième en 1948 mais écourtant les trois autres (abandon dans la troisième étape en 1947, éliminé dans la deuxième étape en 1949, abandon dans la quatrième l’année suivante). Pour quelles raisons renonçait-il si vite ? La vérité est qu’il aimait trop sa femme et son chien, ce dont Jacques Augendre a aussi témoigné : « Néri, le Provençal, avec son accent, téléphonant d’un hôtel à sa femme : ‘ Tu n’est pas en short, dis-moi ? Non ?... Parce que je ne veux pas que tu te promènes en short pendant que je fais le Tour de France…’ Après quoi, Néri lui demandait de parler au chien, et son chien aboyait à l’autre bout du fil, ce qui rendait Néri de bonheur… »[3]
Une femme, un bon chien, un peu de vélo… Paul Néri savait vivre.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Paul Néri en bref
Né le 26 mars 1917 à Reggio di Calabria en Italie. Naturalisé Français le 5 août 1955. Décédé à Marseille le 28 janvier 1979.
Champion de France amateur en 1942. Professionnel Erka-Dunlop (1944 et 1945), France-Sport (1946 et 1947), La Perle (1948 à 1951).
Principales victoires : Marseille-Toulon-Marseille 1944 ; G. P. d’Issoire 1945 ; Paris-Camembert 1946 ; G. P. de Cannes 1946 ; Saint-Raphaël-Marseille 1946 ; Prix de Saint-Cloud 1947 ; Ronde d’Aix-en-Provence 1948 ; G. P. de Nice 1949 ; G. P. de Constantine et des Zibans 1951.
[1] In Fred Oliveri, les fabuleux souvenirs du plus vieux cycliste du monde, Éd. Cristel, 2005, p. 68.
[2] In Jacques Augendre, la mémoire du Tour de France, Éd. Cristel, 2001, p. 52.
[3] Ibid., p. 51.
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