UNCP UNCP
L'UNCP est le syndicat professionnel des coureurs cyclistes français.
Syndicat de service et de dialogue constructif.
Créé il y a plus de 60 ans, il a pour vocation la représentation des coureurs et la défense de leurs intérêts collectifs et individuels.
contact@uncp.net . Comité Directeur . UNCP 161 Chemin du Buisson – 38110 DOLOMIEU
  • Route Pro Championnats de France Cassel 2023 - Photo Bruno Bade
  • Route Pro Photo Bruno Bade
  • Route d’Occitanie 2020 Photo Bruno Bade
  • Tro Bro Leon 2019 Photo Bruno Bade
  • Paris Camembert 2020 Photo Bruno Bade
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Roger Walkowiak, sans bruit mais sans hésitation...
  
Entre Louison Bobet et Jacques Anquetil, il eut le génie d’accrocher son nom au palmarès du Tour de France. C’était en 1956, au terme d’une course splendide. Portrait de Roger Walkowiak, qui paya au centuple sa gloire soudaine…
 
La chose est entendue : en montagne, Roger Walkowiak ressemblait à l’aîné des Bobet. Ce qui ne signifie pas qu’il en avait les tripes ; non, il en possédait le style, notamment cette façon nerveuse d’avancer dans les cols, les mains serrées sur le guidon, au plus près de la potence. Moyennant quoi, il jouait régulièrement du bec de selle, comme s’il souffrait, lui aussi, des fameux furoncles… Mais, chacun sait aujourd’hui que son mal était d’une nature différente, liée moins à la chair qu’à sa psychologie singulière… Comment dire ? sinon que Roger Walkowiak était un garçon simple, brave, volontaire, sensible. La question fut souvent posée de savoir s’il était fait pour ce métier particulièrement rude ? Question somme toute incongrue, qui néglige une vérité essentielle : il a duré dix ans ! Oui, dix années de professionnalisme, chez Gitane, en 1951 et 1952, puis chez Peugeot et Saint-Raphaël, au temps de ce que les livres appellent « l’âge d’or du cyclisme »… Pour ne parler que du Tour 1951, s’alignaient en effet, outre un Koblet saisi par la grâce, Coppi, Bartali, Bobet, Magni, Ockers, Géminiani, Robic, Van Este ! On se figure notre néophyte dans ce peloton d’élite, ouvrant de grands yeux. Il portait le maillot de l’équipe Ouest-Sud-Ouest. Il finirait cinquante-septième à Paris.
Découragé ? Ce serait mal le connaître. Et ce serait oublier qu’il progressait de saison en saison. Ainsi termina-t-il deuxième du Tour de l’Ouest 1952, seulement battu par Ugo Anzille. Puis deuxième, encore, de Paris-Nice 1953 et huitième, dans la foulée, de Milan-San Remo. Puis troisième du Tour de l’Ouest 1954 et deuxième du Critérium du Dauphiné 1955 où il donna plusieurs fois la réplique à Louison Bobet. C’est du reste en les voyant grimper côte à côte que les suiveurs remarquèrent combien le cadet s’apparentait physiquement au Breton. Mais de là à parier que Walkowiak lui succéderait au palmarès du Tour de France, il y avait un gouffre ! Or, l’inimaginable survint. En 1956, après 4 527 bornes homériques, un régional presque inconnu triompha dans la plus grande épreuve du monde.
Que d’encre a coulé sur cette victoire ! Il y eut d’abord cette formule : « un Tour à la Walko », laquelle désignait, dans l’esprit de Jacques Goddet, une course tendue, généreuse, indécise, belle et passionnante chaque jour — bref ! le Tour 1956 tel qu’il s’était exactement déroulé, avec ses neuf leaders successifs et ses routiers d’envergure, Gaul, Ockers, Nencini et Bahamontès, intenables dans les Alpes, mais aussi Bauvin, Adriaenssens, Defilippis et Wout Wagtmans, les meilleurs à Paris. C’est au point que cette édition fut disputée à la moyenne record de 36,512 kilomètres-heure ! Nul répit, aucune reddition ! Rien qui laissât jamais l’illusion d’une trêve, et moins encore, peut-être, quand il fallut atteindre Montluçon, où Walkowiak était né… Qu’on se représente la scène : toute l’Auvergne accourue dans sa ville, le bond d’Hassenforder, l’inquiétude puis la joie du public, et l’émotion de sa mère tandis que l’enfant du pays essuyait son visage rayé de sueur, de larmes, de poussière et d’effroi. À cet instant, une journée le séparait du sacre final ; il n’osait y penser, bouleversé par cette aventure extraordinaire qui le magnifiait. Comprenez-vous ? Lui, le modeste, le sans-grade, prolongeait la plus haute lignée qui fût, derrière Robic, Bartali, Coppi, Koblet, Kubler et Bobet… Lorsqu’il en prenait conscience, il frissonnait des pieds à la tête, obligé de se pincer pour y croire. Puis, revenant à la réalité, il songeait qu’une étape demeurait, forcément difficile. « Bauvin et Adriaenssens m’ont quand même attaqué vingt fois entre Étampes et le Parc », feindrait-il de s’étonner en recevant son dernier maillot jaune[1]. Sous son air d’aimable artisan, il sentait déjà gronder le reproche que les jaloux, bientôt, lui cracheraient : qu’il était trop maigre pour cette gloire, qu’il avait gagné sans panache, que son succès, fruit d’une régularité et d’un coup de chance, tachait l’immense fresque de juillet… Pour comble, l’horizon se boucha aussi vite qu’il s’était éclairé. En 1957, épuisé par une amibiase contractée au Tour du Maroc, il ne put s’offrir qu’un bouquet d’étape à la Vuelta. En 1958, il arracha le Prix de Pontivy et conclut le Tour de France en soixante-quinzième position. En 1959, il se traîna en queue de peloton. En 1960, amer, désabusé, il raccrocha après une troisième place au Tour de l’Aude et au Circuit d’Auvergne.
Amer, oui... Et profondément malheureux, comme le sont les honnêtes gens victimes d’une pitoyable spoliation. Sans bruit, mais sans hésitation, il partit reprendre sa vie d’ouvrier tourneur, fermant définitivement sa porte aux journalistes parisiens. « Ils m’ont volé mon Tour. Ce sont des salauds », se borna-t-il à expliquer en juillet 1985, au terme d’un traumatisant silence[2]. Puis de corriger, et de souffler : « Enfin, pas tous… » Car il gardait en mémoire des lignes chaleureuses de Pierre Chany, très épaté par sa course, et l’accolade enthousiaste de Jacques Goddet, jusqu’au bout son principal défenseur. Ce dernier ne confirmerait-il pas, dans ses souvenirs, à propos du Tour de France 1956 — et c’est splendide, et c’était tout dire : « J’ai aimé autant qu’admiré son vainqueur pour sa discrétion justement, comme pour son sens tactique, fait essentiellement de présence, d’obstination. Joli pédaleur de surplus, catalogué comme étant par la constitution athlétique, par la position, par le coup de pédale, un autre Louison. Je veux réhabiliter ici ce coureur de belle mentalité, à l’éducation exemplaire, qui souffrit si fort de la sorte de mépris entourant sa victoire qu’il disparut, pratiquement, de ce monde cycliste dont l’exigence peut le pousser jusqu’à l’injustice. »[3]
 

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.


Walkowiak en bref
  • Né le 2 mars 1927 à Montluçon.
  • Professionnel chez Gitane (1951, 1952), Peugeot (1953, 1954), Gitane (1955), Saint-Raphaël (1956), Peugeot (1957 à 1959), Saint-Raphaël (1960).
  • Principales victoires : Tour de France 1956 ; 6e étape du Tour de l’Ouest 1952 ; 13e étape B du Tour d’Espagne 1956 ; 8e étape du Tour d’Espagne 1957.



[1]In L’Équipe du 30 juillet 1956.
[2]In L’Équipe magazine, juillet 1985.
[3] Jacques Goddet, L’Équipée belle, Robert Laffont-Stock, 1991, p. 194.

Roger Walkowiak, sans bruit mais sans hésitation...
  
Entre Louison Bobet et Jacques Anquetil, il eut le génie d’accrocher son nom au palmarès du Tour de France. C’était en 1956, au terme d’une course splendide. Portrait de Roger Walkowiak, qui paya au centuple sa gloire soudaine…
 
La chose est entendue : en montagne, Roger Walkowiak ressemblait à l’aîné des Bobet. Ce qui ne signifie pas qu’il en avait les tripes ; non, il en possédait le style, notamment cette façon nerveuse d’avancer dans les cols, les mains serrées sur le guidon, au plus près de la potence. Moyennant quoi, il jouait régulièrement du bec de selle, comme s’il souffrait, lui aussi, des fameux furoncles… Mais, chacun sait aujourd’hui que son mal était d’une nature différente, liée moins à la chair qu’à sa psychologie singulière… Comment dire ? sinon que Roger Walkowiak était un garçon simple, brave, volontaire, sensible. La question fut souvent posée de savoir s’il était fait pour ce métier particulièrement rude ? Question somme toute incongrue, qui néglige une vérité essentielle : il a duré dix ans ! Oui, dix années de professionnalisme, chez Gitane, en 1951 et 1952, puis chez Peugeot et Saint-Raphaël, au temps de ce que les livres appellent « l’âge d’or du cyclisme »… Pour ne parler que du Tour 1951, s’alignaient en effet, outre un Koblet saisi par la grâce, Coppi, Bartali, Bobet, Magni, Ockers, Géminiani, Robic, Van Este ! On se figure notre néophyte dans ce peloton d’élite, ouvrant de grands yeux. Il portait le maillot de l’équipe Ouest-Sud-Ouest. Il finirait cinquante-septième à Paris.
Découragé ? Ce serait mal le connaître. Et ce serait oublier qu’il progressait de saison en saison. Ainsi termina-t-il deuxième du Tour de l’Ouest 1952, seulement battu par Ugo Anzille. Puis deuxième, encore, de Paris-Nice 1953 et huitième, dans la foulée, de Milan-San Remo. Puis troisième du Tour de l’Ouest 1954 et deuxième du Critérium du Dauphiné 1955 où il donna plusieurs fois la réplique à Louison Bobet. C’est du reste en les voyant grimper côte à côte que les suiveurs remarquèrent combien le cadet s’apparentait physiquement au Breton. Mais de là à parier que Walkowiak lui succéderait au palmarès du Tour de France, il y avait un gouffre ! Or, l’inimaginable survint. En 1956, après 4 527 bornes homériques, un régional presque inconnu triompha dans la plus grande épreuve du monde.
Que d’encre a coulé sur cette victoire ! Il y eut d’abord cette formule : « un Tour à la Walko », laquelle désignait, dans l’esprit de Jacques Goddet, une course tendue, généreuse, indécise, belle et passionnante chaque jour — bref ! le Tour 1956 tel qu’il s’était exactement déroulé, avec ses neuf leaders successifs et ses routiers d’envergure, Gaul, Ockers, Nencini et Bahamontès, intenables dans les Alpes, mais aussi Bauvin, Adriaenssens, Defilippis et Wout Wagtmans, les meilleurs à Paris. C’est au point que cette édition fut disputée à la moyenne record de 36,512 kilomètres-heure ! Nul répit, aucune reddition ! Rien qui laissât jamais l’illusion d’une trêve, et moins encore, peut-être, quand il fallut atteindre Montluçon, où Walkowiak était né… Qu’on se représente la scène : toute l’Auvergne accourue dans sa ville, le bond d’Hassenforder, l’inquiétude puis la joie du public, et l’émotion de sa mère tandis que l’enfant du pays essuyait son visage rayé de sueur, de larmes, de poussière et d’effroi. À cet instant, une journée le séparait du sacre final ; il n’osait y penser, bouleversé par cette aventure extraordinaire qui le magnifiait. Comprenez-vous ? Lui, le modeste, le sans-grade, prolongeait la plus haute lignée qui fût, derrière Robic, Bartali, Coppi, Koblet, Kubler et Bobet… Lorsqu’il en prenait conscience, il frissonnait des pieds à la tête, obligé de se pincer pour y croire. Puis, revenant à la réalité, il songeait qu’une étape demeurait, forcément difficile. « Bauvin et Adriaenssens m’ont quand même attaqué vingt fois entre Étampes et le Parc », feindrait-il de s’étonner en recevant son dernier maillot jaune[1]. Sous son air d’aimable artisan, il sentait déjà gronder le reproche que les jaloux, bientôt, lui cracheraient : qu’il était trop maigre pour cette gloire, qu’il avait gagné sans panache, que son succès, fruit d’une régularité et d’un coup de chance, tachait l’immense fresque de juillet… Pour comble, l’horizon se boucha aussi vite qu’il s’était éclairé. En 1957, épuisé par une amibiase contractée au Tour du Maroc, il ne put s’offrir qu’un bouquet d’étape à la Vuelta. En 1958, il arracha le Prix de Pontivy et conclut le Tour de France en soixante-quinzième position. En 1959, il se traîna en queue de peloton. En 1960, amer, désabusé, il raccrocha après une troisième place au Tour de l’Aude et au Circuit d’Auvergne.
Amer, oui... Et profondément malheureux, comme le sont les honnêtes gens victimes d’une pitoyable spoliation. Sans bruit, mais sans hésitation, il partit reprendre sa vie d’ouvrier tourneur, fermant définitivement sa porte aux journalistes parisiens. « Ils m’ont volé mon Tour. Ce sont des salauds », se borna-t-il à expliquer en juillet 1985, au terme d’un traumatisant silence[2]. Puis de corriger, et de souffler : « Enfin, pas tous… » Car il gardait en mémoire des lignes chaleureuses de Pierre Chany, très épaté par sa course, et l’accolade enthousiaste de Jacques Goddet, jusqu’au bout son principal défenseur. Ce dernier ne confirmerait-il pas, dans ses souvenirs, à propos du Tour de France 1956 — et c’est splendide, et c’était tout dire : « J’ai aimé autant qu’admiré son vainqueur pour sa discrétion justement, comme pour son sens tactique, fait essentiellement de présence, d’obstination. Joli pédaleur de surplus, catalogué comme étant par la constitution athlétique, par la position, par le coup de pédale, un autre Louison. Je veux réhabiliter ici ce coureur de belle mentalité, à l’éducation exemplaire, qui souffrit si fort de la sorte de mépris entourant sa victoire qu’il disparut, pratiquement, de ce monde cycliste dont l’exigence peut le pousser jusqu’à l’injustice. »[3]
 

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.


Walkowiak en bref
  • Né le 2 mars 1927 à Montluçon.
  • Professionnel chez Gitane (1951, 1952), Peugeot (1953, 1954), Gitane (1955), Saint-Raphaël (1956), Peugeot (1957 à 1959), Saint-Raphaël (1960).
  • Principales victoires : Tour de France 1956 ; 6e étape du Tour de l’Ouest 1952 ; 13e étape B du Tour d’Espagne 1956 ; 8e étape du Tour d’Espagne 1957.



[1]In L’Équipe du 30 juillet 1956.
[2]In L’Équipe magazine, juillet 1985.
[3] Jacques Goddet, L’Équipée belle, Robert Laffont-Stock, 1991, p. 194.