UNCP UNCP
L'UNCP est le syndicat professionnel des coureurs cyclistes français.
Syndicat de service et de dialogue constructif.
Créé il y a plus de 60 ans, il a pour vocation la représentation des coureurs et la défense de leurs intérêts collectifs et individuels.
contact@uncp.net . Comité Directeur . UNCP 161 Chemin du Buisson – 38110 DOLOMIEU
  • Route Pro Championnats de France Cassel 2023 - Photo Bruno Bade
  • Route Pro Photo Bruno Bade
  • Route d’Occitanie 2020 Photo Bruno Bade
  • Tro Bro Leon 2019 Photo Bruno Bade
  • Paris Camembert 2020 Photo Bruno Bade
jquery slider by WOWSlider.com v7.6

Roger Rondeaux, coq de combat


Court sur jambes comme son maître Jean Robic, il décrocha sept maillots tricolores et trois maillots arc-en-ciel. Dans les labours, il incarnait la maîtrise et le punch. Portrait de Roger Rondeaux, jadis le meilleur au monde...


C'était en février 1951, sous le soleil de Muhlenbach, dans la proximité de Luxembourg. Vingt-six coureurs représentant sept pays avaient rendez-vous pour succéder à Jean Robic, premier champion du monde officiel de l'histoire du cyclo-cross. Parmi eux, Roger Rondeaux, deuxième la saison précédente, et trois autres Français : André Dufraisse, Pierre Jodet, Georges Meunier. Sur le papier, Rondeaux, l'aîné de la bande, champion national en titre, conservait théoriquement l'avantage ; mais dans ce sport de funambules, il se souvenait de chutes impromptues et cuisantes. D'où son désir d'imposer immédiatement un rythme soutenu pour éreinter ses concurrents. Les caméras des ' Actualités françaises ' ont montré cet étonnant spectacle : Rondeaux fusant d'un sous-bois le vélo sur l'épaule, puis sautant sur un morceau d'asphalte. Dans son sillage, visiblement hors d'haleine, le Suisse Albert Meier et le Luxembourgeois Jean Kirchen. Puis, plus loin, la réserve française, prise de cours, déjà battue. Rondeaux, en puncheur, les avait tous sonnés !

Un puncheur, oui. Et, pour mieux dire, un coq de combat, puissant, précis, endurant et lucide, aux gestes parfaitement coordonnés. Du reste, ce styliste court sur jambes n'admit jamais qu'un seul maître : Jean Robic, le vainqueur du Tour de France 1947... On le sait : le génial grimpeur brillait également dans les labours où son sens de l'équilibre et sa hargne le transformaient en redoutable meneur. C'était au point que, d'un dimanche à l'autre, il prenait régulièrement le meilleur sur Rondeaux - chose curieuse, cet écorché vif dominait ici sans chercher à séduire, jugeant son dauphin, non pas comme un rival, mais comme un ami. Aussi lui glissa-t-il, au soir d'une énième victoire : ' Je te promets de ne plus courir les cyclo-cross, sauf si tu es battu ! Alors, je reviendrai... '1 Or on préparait la première édition du championnat du monde, réclamé de longue date par les spécialistes... Parce qu'il entendait voir flamboyer ses couleurs, Achille Joinard, le président de la Fédération française de cyclisme, sélectionna d'office le grimpeur breton. ' Je ne peux pas, répondit à quelques mots près l'intéressé. J'ai promis à mon copain Rondeaux de ne plus courir contre lui ! ' Et quand Robic promettait... Débuta une formidable scène de théâtre, Joinard et Rondeaux suppliant tour à tour le récalcitrant de reprendre sa parole. Finalement, pour un jour, pour l'honneur, l'inénarrable Robic accepta et triompha haut la main, suivi par Roger Rondeaux. La logique était respectée.

1951 modifia les règles. D'abord, Jean Robic repartit défier Koblet, Coppi, Kubler et Bobet ; au même moment, Roger Rondeaux se concentra exclusivement sur le cyclo-cross, conscient qu'il avait de grandes chances d'y marquer son époque. En somme, un choix réfléchi, intelligent, qui s'appuyait sur une totale compréhension de son propre talent. Pourtant, lui aussi avait rêvé d'une carrière de routier... C'était en 1938, du côté de Sainte-Ménehould, où il n'échappait à personne que ce fils de cultivateur, né en 1920 dans la Marne, franchissait prestement les bosses. Mais c'était 1938... Comme tous ceux de sa génération, il connut du cyclisme ce que la guerre voulut bien lui laisser. On ne le retrouva donc qu'en 1942, en zone occupée, finissant neuvième du championnat de France de cyclo-cross gagné par Robert Oubron. Puis vingt-huitième en 1943, et quatorzième en 1944. Puis - ce fut le déclic - troisième le 18 mars 1945, dans une France réunifiée, au terme d'une joute splendide remportée par Jean Robic devant Kléber Piot. Il ne lui restait plus qu'à attendre son heure...

Elle sonna en 1947, lorsqu'il décrocha le premier de ses sept titres nationaux. Cependant, il continuait à ferrailler sur les routes, disputant le Circuit du mont-Ventoux, le Tour de l'Ouest, le Dauphiné-Libéré, le Tour de Romandie, le Critérium National, Paris-Roubaix et Paris-Tours : à la vérité, beaucoup trop d'épreuves, contraires à son tempérament. On l'a dit : Roger Rondeaux incarnait le coq de combat, petit et habile, doué pour la lutte rapide. Six ou huit heures de selle le mettaient au supplice, tandis qu'il excellait sur les sols défoncés, chargeant comme un hussard quatre-vingt-dix minutes durant. Son secret ? Les portions pédestres, qu'il engloutissait à la manière d'un coureur de demi-fond. Ensuite, d'un imperceptible mouvement, il reprenait possession de sa machine, assis très bas et tirant des braquets énormes qui lui permettaient de maintenir ses rivaux à distance. Car, forcément, le trou était fait ! Lauréat du Critérium international en 1948 et en 1949, puis champion du monde à trois reprises, en 1951, 1952, 1953, Roger Rondeaux réussit bientôt à éclipser la figure de Robic, devenant la référence suprême - en clair : le meilleur cyclo-crossman depuis Eugène Christophe... Soit dit en passant, il avait pour adversaires, non pas Firmin Van Kerrebroeck ou Georges Vandermeirsch, les deux Belges, ni Sergio Toigo, l'Italien, ni Jean Kirchen et Charly Gaul, les Luxembourgeois, mais des barons régionaux qui négociaient âprement leur allégeance, du moins s'il y avait allégeance ! C'était en effet le temps où l'école française, d'une richesse inouïe, écrasait toute la discipline. Derrière Roger Rondeaux piaffaient Jodet, Bauvin, Dufraisse, Meunier, Aubry qui cumuleraient dix-huit podiums mondiaux à eux cinq ! Voilà dans quel contexte devait régner le vainqueur de Muhlenbach : une hydre sans cesse combattue, sans cesse renaissante. Autant dire que son mérite n'était pas mince. Roger Rondeaux tint le timon tricolore jusqu'en 1954. Puis il passa le relais, sûr de ses greffons. Il avait été bon maître.

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.



Rondeaux en bref

* Né le 15 avril 1920 à Mareuil-le-Port. Décédé le 24 janvier 1999 à La Rochelle-Mireuil.
* Professionnel de 1945 à 1958, notamment chez Garin (1948, 1949), Riva Sport (1950), Terrot (1951 à 1956), La France (1957).
Principales performances en cyclo-cross : champion du monde 1951, 1952, 1953 (2e en 1950, 6e en 1955) ; champion de France 1947, 1948, 1949, 1951, 1952, 1953, 1954 (3e en 1945 et 1955). Vainqueur du Critérium International 1948, 1949 (2e en 1947).



1 Pierre Chany, La Fabuleuse histoire du cyclisme, O.D.I.L., 1975, p. 750.

Roger Rondeaux, coq de combat


Court sur jambes comme son maître Jean Robic, il décrocha sept maillots tricolores et trois maillots arc-en-ciel. Dans les labours, il incarnait la maîtrise et le punch. Portrait de Roger Rondeaux, jadis le meilleur au monde...


C'était en février 1951, sous le soleil de Muhlenbach, dans la proximité de Luxembourg. Vingt-six coureurs représentant sept pays avaient rendez-vous pour succéder à Jean Robic, premier champion du monde officiel de l'histoire du cyclo-cross. Parmi eux, Roger Rondeaux, deuxième la saison précédente, et trois autres Français : André Dufraisse, Pierre Jodet, Georges Meunier. Sur le papier, Rondeaux, l'aîné de la bande, champion national en titre, conservait théoriquement l'avantage ; mais dans ce sport de funambules, il se souvenait de chutes impromptues et cuisantes. D'où son désir d'imposer immédiatement un rythme soutenu pour éreinter ses concurrents. Les caméras des ' Actualités françaises ' ont montré cet étonnant spectacle : Rondeaux fusant d'un sous-bois le vélo sur l'épaule, puis sautant sur un morceau d'asphalte. Dans son sillage, visiblement hors d'haleine, le Suisse Albert Meier et le Luxembourgeois Jean Kirchen. Puis, plus loin, la réserve française, prise de cours, déjà battue. Rondeaux, en puncheur, les avait tous sonnés !

Un puncheur, oui. Et, pour mieux dire, un coq de combat, puissant, précis, endurant et lucide, aux gestes parfaitement coordonnés. Du reste, ce styliste court sur jambes n'admit jamais qu'un seul maître : Jean Robic, le vainqueur du Tour de France 1947... On le sait : le génial grimpeur brillait également dans les labours où son sens de l'équilibre et sa hargne le transformaient en redoutable meneur. C'était au point que, d'un dimanche à l'autre, il prenait régulièrement le meilleur sur Rondeaux - chose curieuse, cet écorché vif dominait ici sans chercher à séduire, jugeant son dauphin, non pas comme un rival, mais comme un ami. Aussi lui glissa-t-il, au soir d'une énième victoire : ' Je te promets de ne plus courir les cyclo-cross, sauf si tu es battu ! Alors, je reviendrai... '1 Or on préparait la première édition du championnat du monde, réclamé de longue date par les spécialistes... Parce qu'il entendait voir flamboyer ses couleurs, Achille Joinard, le président de la Fédération française de cyclisme, sélectionna d'office le grimpeur breton. ' Je ne peux pas, répondit à quelques mots près l'intéressé. J'ai promis à mon copain Rondeaux de ne plus courir contre lui ! ' Et quand Robic promettait... Débuta une formidable scène de théâtre, Joinard et Rondeaux suppliant tour à tour le récalcitrant de reprendre sa parole. Finalement, pour un jour, pour l'honneur, l'inénarrable Robic accepta et triompha haut la main, suivi par Roger Rondeaux. La logique était respectée.

1951 modifia les règles. D'abord, Jean Robic repartit défier Koblet, Coppi, Kubler et Bobet ; au même moment, Roger Rondeaux se concentra exclusivement sur le cyclo-cross, conscient qu'il avait de grandes chances d'y marquer son époque. En somme, un choix réfléchi, intelligent, qui s'appuyait sur une totale compréhension de son propre talent. Pourtant, lui aussi avait rêvé d'une carrière de routier... C'était en 1938, du côté de Sainte-Ménehould, où il n'échappait à personne que ce fils de cultivateur, né en 1920 dans la Marne, franchissait prestement les bosses. Mais c'était 1938... Comme tous ceux de sa génération, il connut du cyclisme ce que la guerre voulut bien lui laisser. On ne le retrouva donc qu'en 1942, en zone occupée, finissant neuvième du championnat de France de cyclo-cross gagné par Robert Oubron. Puis vingt-huitième en 1943, et quatorzième en 1944. Puis - ce fut le déclic - troisième le 18 mars 1945, dans une France réunifiée, au terme d'une joute splendide remportée par Jean Robic devant Kléber Piot. Il ne lui restait plus qu'à attendre son heure...

Elle sonna en 1947, lorsqu'il décrocha le premier de ses sept titres nationaux. Cependant, il continuait à ferrailler sur les routes, disputant le Circuit du mont-Ventoux, le Tour de l'Ouest, le Dauphiné-Libéré, le Tour de Romandie, le Critérium National, Paris-Roubaix et Paris-Tours : à la vérité, beaucoup trop d'épreuves, contraires à son tempérament. On l'a dit : Roger Rondeaux incarnait le coq de combat, petit et habile, doué pour la lutte rapide. Six ou huit heures de selle le mettaient au supplice, tandis qu'il excellait sur les sols défoncés, chargeant comme un hussard quatre-vingt-dix minutes durant. Son secret ? Les portions pédestres, qu'il engloutissait à la manière d'un coureur de demi-fond. Ensuite, d'un imperceptible mouvement, il reprenait possession de sa machine, assis très bas et tirant des braquets énormes qui lui permettaient de maintenir ses rivaux à distance. Car, forcément, le trou était fait ! Lauréat du Critérium international en 1948 et en 1949, puis champion du monde à trois reprises, en 1951, 1952, 1953, Roger Rondeaux réussit bientôt à éclipser la figure de Robic, devenant la référence suprême - en clair : le meilleur cyclo-crossman depuis Eugène Christophe... Soit dit en passant, il avait pour adversaires, non pas Firmin Van Kerrebroeck ou Georges Vandermeirsch, les deux Belges, ni Sergio Toigo, l'Italien, ni Jean Kirchen et Charly Gaul, les Luxembourgeois, mais des barons régionaux qui négociaient âprement leur allégeance, du moins s'il y avait allégeance ! C'était en effet le temps où l'école française, d'une richesse inouïe, écrasait toute la discipline. Derrière Roger Rondeaux piaffaient Jodet, Bauvin, Dufraisse, Meunier, Aubry qui cumuleraient dix-huit podiums mondiaux à eux cinq ! Voilà dans quel contexte devait régner le vainqueur de Muhlenbach : une hydre sans cesse combattue, sans cesse renaissante. Autant dire que son mérite n'était pas mince. Roger Rondeaux tint le timon tricolore jusqu'en 1954. Puis il passa le relais, sûr de ses greffons. Il avait été bon maître.

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.



Rondeaux en bref

* Né le 15 avril 1920 à Mareuil-le-Port. Décédé le 24 janvier 1999 à La Rochelle-Mireuil.
* Professionnel de 1945 à 1958, notamment chez Garin (1948, 1949), Riva Sport (1950), Terrot (1951 à 1956), La France (1957).
Principales performances en cyclo-cross : champion du monde 1951, 1952, 1953 (2e en 1950, 6e en 1955) ; champion de France 1947, 1948, 1949, 1951, 1952, 1953, 1954 (3e en 1945 et 1955). Vainqueur du Critérium International 1948, 1949 (2e en 1947).



1 Pierre Chany, La Fabuleuse histoire du cyclisme, O.D.I.L., 1975, p. 750.