Raymond Poulidor, devenu vieux briscard...
Supérieure à celle d'Eugène Christophe ou de Charles Pélissier, sa popularité reste sans égale dans l'histoire du cyclisme. Il faut dire que c'était un véritable champion, qui avait contre lui les meilleurs. Portrait du légendaire Raymond Poulidor...
Qui pourra jamais expliquer par quel ressort il est devenu Raymond Poulidor, c'est-à-dire un champion sans pareil - non pas un mythe, mais une icône, une image chérie, incroyablement populaire ? Pour la manière dont il est devenu ' Poupou ', on sait : une idée du journaliste Émile Besson qui titra un beau soir, dans les colonnes de L'Écho du Centre : ' Vas-y Poupou ! '1 Aussitôt, l'expression fut reprise par différents confrères, puis Jacques Goddet la répéta joyeusement dans l'Équipe, lui donnant une consécration officielle. C'était, notons-le, en juillet 1962, tandis que Jacques Anquetil, vainqueur pour la troisième fois, rejoignait Louison Bobet dans les annales du Tour... Autant dire que la France ne manquait pas de vedettes. Elle comptait dans ses rangs, outre les deux précités, des hommes comme Charles Bozon, Michel Jazy, André et Guy Boniface, bientôt Éric Tabarly... Pourquoi, diable ! s'enticha-t-elle de ce paysan de la Creuse - lui, plutôt que Jean Stablinski, un chic type qui avait rampé dans les mines, avant tenter l'aventure sur les routes ?... Si l'on en croit ' Poupou ' lui-même, tout daterait de ce fameux Tour 1962 qu'il avait abordé la main dans le plâtre, un auriculaire cassé. Face à lui, Van Looy et Anquetil, pétant de santé ! Bref, David contre Goliath, mais dans une mise en scène revue, avec David qui s'incline au terme d'un courageux baroud en Chartreuse. Évidemment, les foules applaudissent, ne sachant si elles doivent rire ou pleurer. C'est le scénario parfait, signé par une pieuvre qui se fera très vite reconnaître : la malchance...
Antoine Blondin l'a subtilement compris : ' Où Anquetil incarnait la partie libre de l'homme, Raymond Poulidor incarne sa partie fatale. '2 Ce qui revient à écrire que le Limousin, né à Masbarraud-Merignat le 15 avril 1936, n'aura dansé qu'un été. Pour le reste, une carrière à son image, littéralement sans pareille. La preuve ? Il est monté huit fois sur le podium du Tour de France, ce qui constitue un record. La première, c'était donc en 1962 ; la dernière, en 1976, après qu'il eut passé quarante ans ! Mais, par un curieux mystère, jamais cet athlète complet, capable d'épater Anquetil dans un contre-la-montre, ou de battre Gaul et Bahamontès en montagne, ne put changer en or ses cinq places de troisième et ses trois places de deuxième. Pis, marqué par un inconcevable guignon, il ne porta jamais le maillot jaune, ne fût-ce qu'une étape ! Il ne décrocha pas non plus le titre mondial qu'il avait dans les jambes, finissant cinquième en 1960, troisième en 1961, cinquième en 1963, troisième en 1964, troisième en 1966, deuxième en 1974. En fait, au long de son fabuleux parcours, il égrena chichement les jours de grâce, gagnant beaucoup au début (Milan-San Remo et le championnat de France en 1961, la Flèche Wallonne et le Grand Prix des Nations en 1963, le Tour d'Espagne et le Super-Prestige Pernod en 1964), puis régnant de moins en moins, sans toutefois perdre la flamme. Pourtant, que d'échecs, et que d'injustices ! La plus criante ? Celle du Tour 1968, lorsqu'un motard inattentif, percutant son vélo, le fit rouler sur l'asphalte au moment où se dessinait sa victoire. La plus symbolique ? Le prologue du Tour de France 1971, à Scheveningen, quand il rata le maillot jaune pour 79/100e de seconde. D'autres ne s'en seraient pas relevés ; lui poursuivit d'un pas serein, son perpétuel sourire sur les lèvres...
Oh ! l'étrange et singulier personnage... À essayer son portrait, un grand peintre se serait usé ; pour rendre la globalité de cet homme, il aurait fallu le meilleur Mauriac, ou le Balzac d'Eugénie Grandet. Car tel était Raymond Poulidor : un Candide qui s'étonnait de son rôle, regardant sans cesse en arrière pour mesurer le chemin accompli. Lui revenaient alors les rudes journées de l'adolescence à gratter des bouts de terre, dans l'attente d'un salaire de misère. Lui revenait aussi cette révélation capitale : un seul Grand Prix régional suffisait, en 1956, pour amasser plus d'argent qu'en ' six années de travail à la ferme. '3 Moyennant quoi, ce garçon solide, timide, discret et naturellement posé s'évertua dans le cyclisme qu'il avait découvert à seize ans, à la suite de ses frères, pour égayer les dimanches. Bien entendu, peu rapide au sprint - une lacune trop chère payée ; elle tronqua son palmarès -, il termina sixième des six échappés. Mais il avait pesé sur la course, imposant un rythme terrible dans les bosses. C'était annoncer le quart de siècle à venir !
Éternel Poulidor. Indépendant, il croisa le fer avec Geminiani et Bobet, puis il fit sentir le vent du boulet à Bernard Hinault, dans le Tour de Lombardie 1976 ! Entre temps, fidèle au groupe Mercier, il avait bataillé contre Jacques Anquetil et contre Eddy Merckx, et même contre Felice Gimondi, un autre prodige ! Qu'on imagine la scène : des Goliath chaque matin, qu'il affrontait un à un, sans folle audace mais sans démériter - et toujours se retournant, n'osant croire qu'il était si riche, si célèbre, si aimé. Parce qu'il faut le souligner : l'élan populaire de 1962 n'était point retombé ; dans tous les villages de France, chacun rimait des odes à sa gloire, faisant de ' Poupou ' non seulement un refrain, mais une vertu nationale. On l'admirait pour sa force tranquille, sa modestie sincère et sa bonhomie qui lui permettait d'accueillir les défaites avec élégance, les victoires avec gourmandise. Car des victoires, il y en eut, jusqu'à cent quatre-vingt-neuf selon le compte définitif, critériums compris... Mais point de sacre suprême, ce qui valut à Raymond Poulidor le surnom simplificateur d'' éternel second '. On devine qu'il en souriait, comme il souriait si l'on évoquait sa légendaire malchance. La vérité est que Dieu l'avait pétri ainsi, très doux, très sage, et certain d'avoir été comblé.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Raymond Poulidor en bref
* Né le 15 avril 1936 à Masbarraud-Merignat.
* Professionnel chez Mercier (1960-1969), Fagor-Mercier (1970-1971), Gan-Mercier (1972-1976), Miko-Mercier (1977).
* 189 victoires dont : Milan-San Remo 1961, ch. de France 1961, Flèche Wallonne 1963, G.P. des Nations 1963, T. d'Espagne 1964, Crit. National 1964, 1966, 1968, 1971, 1972, Dauphiné-Libéré 1966, Midi-Libre 1973, Super-Prestige Pernod 1964, Prestige Pernod 1964, 1966, 1969, 1972.
1 Christophe Penot, J'écris ton nom Tour de France, Ed. Cristel, 2002, p. 34.
2 Préface à La Fabuleuse Histoire du Cyclisme, Ed. de La Martinière, 1997, p. 9.
3 Raymond Poulidor, La Gloire sans maillot jaune, J'ai Lu, 1977, p. 44.
Raymond Poulidor, devenu vieux briscard...
Supérieure à celle d'Eugène Christophe ou de Charles Pélissier, sa popularité reste sans égale dans l'histoire du cyclisme. Il faut dire que c'était un véritable champion, qui avait contre lui les meilleurs. Portrait du légendaire Raymond Poulidor...
Qui pourra jamais expliquer par quel ressort il est devenu Raymond Poulidor, c'est-à-dire un champion sans pareil - non pas un mythe, mais une icône, une image chérie, incroyablement populaire ? Pour la manière dont il est devenu ' Poupou ', on sait : une idée du journaliste Émile Besson qui titra un beau soir, dans les colonnes de L'Écho du Centre : ' Vas-y Poupou ! '1 Aussitôt, l'expression fut reprise par différents confrères, puis Jacques Goddet la répéta joyeusement dans l'Équipe, lui donnant une consécration officielle. C'était, notons-le, en juillet 1962, tandis que Jacques Anquetil, vainqueur pour la troisième fois, rejoignait Louison Bobet dans les annales du Tour... Autant dire que la France ne manquait pas de vedettes. Elle comptait dans ses rangs, outre les deux précités, des hommes comme Charles Bozon, Michel Jazy, André et Guy Boniface, bientôt Éric Tabarly... Pourquoi, diable ! s'enticha-t-elle de ce paysan de la Creuse - lui, plutôt que Jean Stablinski, un chic type qui avait rampé dans les mines, avant tenter l'aventure sur les routes ?... Si l'on en croit ' Poupou ' lui-même, tout daterait de ce fameux Tour 1962 qu'il avait abordé la main dans le plâtre, un auriculaire cassé. Face à lui, Van Looy et Anquetil, pétant de santé ! Bref, David contre Goliath, mais dans une mise en scène revue, avec David qui s'incline au terme d'un courageux baroud en Chartreuse. Évidemment, les foules applaudissent, ne sachant si elles doivent rire ou pleurer. C'est le scénario parfait, signé par une pieuvre qui se fera très vite reconnaître : la malchance...
Antoine Blondin l'a subtilement compris : ' Où Anquetil incarnait la partie libre de l'homme, Raymond Poulidor incarne sa partie fatale. '2 Ce qui revient à écrire que le Limousin, né à Masbarraud-Merignat le 15 avril 1936, n'aura dansé qu'un été. Pour le reste, une carrière à son image, littéralement sans pareille. La preuve ? Il est monté huit fois sur le podium du Tour de France, ce qui constitue un record. La première, c'était donc en 1962 ; la dernière, en 1976, après qu'il eut passé quarante ans ! Mais, par un curieux mystère, jamais cet athlète complet, capable d'épater Anquetil dans un contre-la-montre, ou de battre Gaul et Bahamontès en montagne, ne put changer en or ses cinq places de troisième et ses trois places de deuxième. Pis, marqué par un inconcevable guignon, il ne porta jamais le maillot jaune, ne fût-ce qu'une étape ! Il ne décrocha pas non plus le titre mondial qu'il avait dans les jambes, finissant cinquième en 1960, troisième en 1961, cinquième en 1963, troisième en 1964, troisième en 1966, deuxième en 1974. En fait, au long de son fabuleux parcours, il égrena chichement les jours de grâce, gagnant beaucoup au début (Milan-San Remo et le championnat de France en 1961, la Flèche Wallonne et le Grand Prix des Nations en 1963, le Tour d'Espagne et le Super-Prestige Pernod en 1964), puis régnant de moins en moins, sans toutefois perdre la flamme. Pourtant, que d'échecs, et que d'injustices ! La plus criante ? Celle du Tour 1968, lorsqu'un motard inattentif, percutant son vélo, le fit rouler sur l'asphalte au moment où se dessinait sa victoire. La plus symbolique ? Le prologue du Tour de France 1971, à Scheveningen, quand il rata le maillot jaune pour 79/100e de seconde. D'autres ne s'en seraient pas relevés ; lui poursuivit d'un pas serein, son perpétuel sourire sur les lèvres...
Oh ! l'étrange et singulier personnage... À essayer son portrait, un grand peintre se serait usé ; pour rendre la globalité de cet homme, il aurait fallu le meilleur Mauriac, ou le Balzac d'Eugénie Grandet. Car tel était Raymond Poulidor : un Candide qui s'étonnait de son rôle, regardant sans cesse en arrière pour mesurer le chemin accompli. Lui revenaient alors les rudes journées de l'adolescence à gratter des bouts de terre, dans l'attente d'un salaire de misère. Lui revenait aussi cette révélation capitale : un seul Grand Prix régional suffisait, en 1956, pour amasser plus d'argent qu'en ' six années de travail à la ferme. '3 Moyennant quoi, ce garçon solide, timide, discret et naturellement posé s'évertua dans le cyclisme qu'il avait découvert à seize ans, à la suite de ses frères, pour égayer les dimanches. Bien entendu, peu rapide au sprint - une lacune trop chère payée ; elle tronqua son palmarès -, il termina sixième des six échappés. Mais il avait pesé sur la course, imposant un rythme terrible dans les bosses. C'était annoncer le quart de siècle à venir !
Éternel Poulidor. Indépendant, il croisa le fer avec Geminiani et Bobet, puis il fit sentir le vent du boulet à Bernard Hinault, dans le Tour de Lombardie 1976 ! Entre temps, fidèle au groupe Mercier, il avait bataillé contre Jacques Anquetil et contre Eddy Merckx, et même contre Felice Gimondi, un autre prodige ! Qu'on imagine la scène : des Goliath chaque matin, qu'il affrontait un à un, sans folle audace mais sans démériter - et toujours se retournant, n'osant croire qu'il était si riche, si célèbre, si aimé. Parce qu'il faut le souligner : l'élan populaire de 1962 n'était point retombé ; dans tous les villages de France, chacun rimait des odes à sa gloire, faisant de ' Poupou ' non seulement un refrain, mais une vertu nationale. On l'admirait pour sa force tranquille, sa modestie sincère et sa bonhomie qui lui permettait d'accueillir les défaites avec élégance, les victoires avec gourmandise. Car des victoires, il y en eut, jusqu'à cent quatre-vingt-neuf selon le compte définitif, critériums compris... Mais point de sacre suprême, ce qui valut à Raymond Poulidor le surnom simplificateur d'' éternel second '. On devine qu'il en souriait, comme il souriait si l'on évoquait sa légendaire malchance. La vérité est que Dieu l'avait pétri ainsi, très doux, très sage, et certain d'avoir été comblé.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Raymond Poulidor en bref
* Né le 15 avril 1936 à Masbarraud-Merignat.
* Professionnel chez Mercier (1960-1969), Fagor-Mercier (1970-1971), Gan-Mercier (1972-1976), Miko-Mercier (1977).
* 189 victoires dont : Milan-San Remo 1961, ch. de France 1961, Flèche Wallonne 1963, G.P. des Nations 1963, T. d'Espagne 1964, Crit. National 1964, 1966, 1968, 1971, 1972, Dauphiné-Libéré 1966, Midi-Libre 1973, Super-Prestige Pernod 1964, Prestige Pernod 1964, 1966, 1969, 1972.
1 Christophe Penot, J'écris ton nom Tour de France, Ed. Cristel, 2002, p. 34.
2 Préface à La Fabuleuse Histoire du Cyclisme, Ed. de La Martinière, 1997, p. 9.
3 Raymond Poulidor, La Gloire sans maillot jaune, J'ai Lu, 1977, p. 44.
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