UNCP UNCP
L'UNCP est le syndicat professionnel des coureurs cyclistes français.
Syndicat de service et de dialogue constructif.
Créé il y a plus de 60 ans, il a pour vocation la représentation des coureurs et la défense de leurs intérêts collectifs et individuels.
contact@uncp.net . Comité Directeur . UNCP 161 Chemin du Buisson – 38110 DOLOMIEU
  • Route Pro Championnats de France Cassel 2023 - Photo Bruno Bade
  • Route Pro Photo Bruno Bade
  • Route d’Occitanie 2020 Photo Bruno Bade
  • Tro Bro Leon 2019 Photo Bruno Bade
  • Paris Camembert 2020 Photo Bruno Bade
jquery slider by WOWSlider.com v7.6

Gabriel Poulain, si haut, si haut...
 
Au plus haut niveau de la piste, il réalisa une carrière sans pareille, étalée sur deux décennies. Trois fois champion de France, une fois champion du monde, il fut aussi un soldat héroïque et un étonnant aviateur. Portrait du fabuleux Gabriel Poulain… 
 
Ne craignons pas de l’écrire : il fut l’un des plus grands de l’histoire du cyclisme ! Au sens propre, une légende — on veut dire : un être si fabuleux qu’il faut se pincer pour comprendre qu’il a réellement existé… Ainsi, par exemple, de l’Américain Arthur-Augustus Zimmermann, qui bouclait en 1893 le deux cents mètres lancés en douze secondes, sans cale-pieds, sur une machine dépassant onze kilos ! « Ce serait faire injure à sa mémoire que de demander si sa valeur a été égalée. Elle ne le fut jamais », devait expliquer, après sa mort en 1936, donc après l’avènement de Binda, un certain Henri Desgrange[1]… L’intéressant serait maintenant d’imaginer quelle épitaphe le même Desgrange eût réservé à Gabriel Poulain, s’il avait eu l’heur de lui survivre. Mais Poulain, né de père anglais sur l’île de Jersey le 14 février 1884, poursuivit son incroyable destin jusqu’en 1953 — précisément, il est décédé le 9 janvier à Nice, alors que le fondateur du Tour de France, de dix-neuf ans son aîné, disparut en 1940. On ne saura donc pas ce qu’il aurait exactement affirmé, mais on peut supposer qu’il l’aurait salué comme il avait salué un autre précurseur, Charles Terront : « c’était, pour l’époque dont je vous parle, un 'type' gigantesque et incommensurable… »[2] En somme, non pas le meilleur, non pas Zimmerman, mais un coureur exceptionnel, qui majorait son formidable talent d’une longévité phénoménale, que l’on peine à concevoir en ce vingt et unième siècle. Ne s’était-il pas imposé dès 1902, en triomphant dans le Grand Prix d’Angers de vitesse ? Puis, rapidement, il avait enchaîné les succès, jusqu’à remporter le championnat de France du sprint professionnel en 1905, devant Victor Dupré et Émile Friol, deux futurs champions du monde. Ensuite, il persévéra, devenant lui-même champion du monde, puis, au terme d’une longue parenthèse, redevenant deux fois champion de France, la première en 1922, la seconde en 1924, au temps de Maurice Schilles, Lucien Faucheux et Lucien Michard, trois vedettes consacrées ! Bref, une carrière ahurissante, toujours célébrée parmi les as, à guichets fermés. On le répète : il faut se pincer pour y croire !
Gabriel Poulain… On aimerait tout connaître de lui, mais sa vie garde des mystères. Où passa-t-il son enfance ? Où découvrit-il le cyclisme ? Chose sûre, à dix-huit ans, le 22 juin 1902, il quitta Saint-Nazaire, où il habitait, pour se rendre à Rennes, au vélodrome de Laennec. Quelques heures après, il s’adjugeait le championnat de Bretagne, mais aussi, ce qui aurait dû alerter, la course internationale. Se faisant l’écho de cette période, le Miroir des Sports raconterait joliment, à propos de ces premiers pas vers la gloire : « se tenant en Bretagne et en Normandie comme une araignée au centre de sa toile, il attend les champions parisiens qu’il bat régulièrement avec le sourire. »[3] Cela étant, Paris lui donna bientôt du fil à retordre puisque l’ensemble du gotha se rassemblait sur l’anneau du Parc des Princes. Et quand on parle de gotha : Friol et Dupré, auxquels il fallait ajouter Jacquelin, Hourlier, Ellegaard, Kramer, Rütt, Mayer, Meyers et Pouchois, tous champions du monde ou vainqueurs du Grand Prix de Paris, ce qui revenait au même ! Dans ces conditions, il va de soi que Gabriel Poulain dut souvent partager les lauriers. Mais il obtint sa part, gagnant de nombreux grands prix et terminant deuxième du championnat du monde en 1906, 1908 et 1909. Son secret ? Beaucoup d’intelligence, beaucoup d’intuition, et des nerfs solides, qui lui permirent d’infliger un jour à l’Allemand Mayer, sur la piste de Vincennes, le plus long sur-place de l’histoire. Un sur-place si long — deux cent seize minutes — que juges et spectateurs désertèrent les travées ! Pas fous, les deux adversaires convirent alors de se partager la prime de 2 000 francs or. Messieurs, nous mettons chapeau bas !
Manifestement, Gabriel Poulain était un original, un esprit curieux que les progrès technologiques passionnaient (il se reconvertirait comme garagiste, près du Vel’ d’Hiv’). Il n’ignorait pas qu’un de ses prédécesseurs, Henri Farman, avait brillé en demi-fond, et qu’il brillait désormais au firmament de l’aviation balbutiante. Fut-ce là le déclic ? En 1910, il choisit d’abandonner momentanément la compétition pour décrocher son brevet international de pilote. Et, deux ans plus tard, il créait l’Aviette, étrange vélo muni d’ailes qu’il propulsait nettement au-dessus du sol le 2 juin 1912, raflant au passage le prix de 1 000 francs alloué par Robert Peugeot. Puis, le 9 juillet 1921, à bord d’une nouvelle Aviette pesant quatre-vingt onze kilos, il réalisait le prodige de s’élever, par la seule force de ses muscles, à un mètre et demi du sol, et de planer sur une distance de 11,59 mètres ! Autrement dit, malgré la tension de la Première Guerre mondiale — il s’y était comporté héroïquement, d’abord dans l’infanterie coloniale puis dans l’aviation —, cet ancien officier n’avait rien perdu de sa forme… D’où l’idée qu’il eut de reprendre une licence, avec la réussite que l’on sait : deux couronnes nationales, en 1922 et 1924, complétées d’une troisième place en 1926, et, surtout, une extraordinaire médaille d’argent dans le championnat du monde de vitesse 1923, disputé à Zurich. Match tendu, hallucinant, entre un quasi quadragénaire unanimement admiré et le tenant du titre, le géant hollandais Piet Moeskops. Dans la furie du sprint final, ce dernier quitta sa ligne, s’attirant la colère du public et d’une partie du jury. Déclassé ? La question se posa ; néanmoins, il conserva la victoire. Poulain haussa les épaules, à peine dépité. Il en avait déjà tellement vu. Il en avait tellement fait… C’était une idole, un mythe. Depuis des années, la presse le surnommait « l’archange Gabriel ».
 

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.

  Poulain en bref 

  • Né en 14 février 1884 à Saint-Hélier (Jersey). Décédé le 9 janvier 1953 à Nice.
  • Principales victoires : Championnat du monde 1905 (deuxième en 1906, 1908, 1909 et 1923) ; champion de France 1905, 1922, 1924 ; Grand Prix d’Angers 1902, 1914 et 1921 ; Grand Prix de Bordeaux 1904 et 1909 ; Grand Prix de l’U.V.F. 1906 ; Grand Prix d’Anvers 1906.




[1] In Jean Bobet, Cyclisme de plaisance, Prosport, p. 176.
[2]L’Auto, 2 novembre 1932.
[3]In Jean Bobet, Rennes au temps des vélodromes, Éd. Cristel, p. 66.

Gabriel Poulain, si haut, si haut...
 
Au plus haut niveau de la piste, il réalisa une carrière sans pareille, étalée sur deux décennies. Trois fois champion de France, une fois champion du monde, il fut aussi un soldat héroïque et un étonnant aviateur. Portrait du fabuleux Gabriel Poulain… 
 
Ne craignons pas de l’écrire : il fut l’un des plus grands de l’histoire du cyclisme ! Au sens propre, une légende — on veut dire : un être si fabuleux qu’il faut se pincer pour comprendre qu’il a réellement existé… Ainsi, par exemple, de l’Américain Arthur-Augustus Zimmermann, qui bouclait en 1893 le deux cents mètres lancés en douze secondes, sans cale-pieds, sur une machine dépassant onze kilos ! « Ce serait faire injure à sa mémoire que de demander si sa valeur a été égalée. Elle ne le fut jamais », devait expliquer, après sa mort en 1936, donc après l’avènement de Binda, un certain Henri Desgrange[1]… L’intéressant serait maintenant d’imaginer quelle épitaphe le même Desgrange eût réservé à Gabriel Poulain, s’il avait eu l’heur de lui survivre. Mais Poulain, né de père anglais sur l’île de Jersey le 14 février 1884, poursuivit son incroyable destin jusqu’en 1953 — précisément, il est décédé le 9 janvier à Nice, alors que le fondateur du Tour de France, de dix-neuf ans son aîné, disparut en 1940. On ne saura donc pas ce qu’il aurait exactement affirmé, mais on peut supposer qu’il l’aurait salué comme il avait salué un autre précurseur, Charles Terront : « c’était, pour l’époque dont je vous parle, un 'type' gigantesque et incommensurable… »[2] En somme, non pas le meilleur, non pas Zimmerman, mais un coureur exceptionnel, qui majorait son formidable talent d’une longévité phénoménale, que l’on peine à concevoir en ce vingt et unième siècle. Ne s’était-il pas imposé dès 1902, en triomphant dans le Grand Prix d’Angers de vitesse ? Puis, rapidement, il avait enchaîné les succès, jusqu’à remporter le championnat de France du sprint professionnel en 1905, devant Victor Dupré et Émile Friol, deux futurs champions du monde. Ensuite, il persévéra, devenant lui-même champion du monde, puis, au terme d’une longue parenthèse, redevenant deux fois champion de France, la première en 1922, la seconde en 1924, au temps de Maurice Schilles, Lucien Faucheux et Lucien Michard, trois vedettes consacrées ! Bref, une carrière ahurissante, toujours célébrée parmi les as, à guichets fermés. On le répète : il faut se pincer pour y croire !
Gabriel Poulain… On aimerait tout connaître de lui, mais sa vie garde des mystères. Où passa-t-il son enfance ? Où découvrit-il le cyclisme ? Chose sûre, à dix-huit ans, le 22 juin 1902, il quitta Saint-Nazaire, où il habitait, pour se rendre à Rennes, au vélodrome de Laennec. Quelques heures après, il s’adjugeait le championnat de Bretagne, mais aussi, ce qui aurait dû alerter, la course internationale. Se faisant l’écho de cette période, le Miroir des Sports raconterait joliment, à propos de ces premiers pas vers la gloire : « se tenant en Bretagne et en Normandie comme une araignée au centre de sa toile, il attend les champions parisiens qu’il bat régulièrement avec le sourire. »[3] Cela étant, Paris lui donna bientôt du fil à retordre puisque l’ensemble du gotha se rassemblait sur l’anneau du Parc des Princes. Et quand on parle de gotha : Friol et Dupré, auxquels il fallait ajouter Jacquelin, Hourlier, Ellegaard, Kramer, Rütt, Mayer, Meyers et Pouchois, tous champions du monde ou vainqueurs du Grand Prix de Paris, ce qui revenait au même ! Dans ces conditions, il va de soi que Gabriel Poulain dut souvent partager les lauriers. Mais il obtint sa part, gagnant de nombreux grands prix et terminant deuxième du championnat du monde en 1906, 1908 et 1909. Son secret ? Beaucoup d’intelligence, beaucoup d’intuition, et des nerfs solides, qui lui permirent d’infliger un jour à l’Allemand Mayer, sur la piste de Vincennes, le plus long sur-place de l’histoire. Un sur-place si long — deux cent seize minutes — que juges et spectateurs désertèrent les travées ! Pas fous, les deux adversaires convirent alors de se partager la prime de 2 000 francs or. Messieurs, nous mettons chapeau bas !
Manifestement, Gabriel Poulain était un original, un esprit curieux que les progrès technologiques passionnaient (il se reconvertirait comme garagiste, près du Vel’ d’Hiv’). Il n’ignorait pas qu’un de ses prédécesseurs, Henri Farman, avait brillé en demi-fond, et qu’il brillait désormais au firmament de l’aviation balbutiante. Fut-ce là le déclic ? En 1910, il choisit d’abandonner momentanément la compétition pour décrocher son brevet international de pilote. Et, deux ans plus tard, il créait l’Aviette, étrange vélo muni d’ailes qu’il propulsait nettement au-dessus du sol le 2 juin 1912, raflant au passage le prix de 1 000 francs alloué par Robert Peugeot. Puis, le 9 juillet 1921, à bord d’une nouvelle Aviette pesant quatre-vingt onze kilos, il réalisait le prodige de s’élever, par la seule force de ses muscles, à un mètre et demi du sol, et de planer sur une distance de 11,59 mètres ! Autrement dit, malgré la tension de la Première Guerre mondiale — il s’y était comporté héroïquement, d’abord dans l’infanterie coloniale puis dans l’aviation —, cet ancien officier n’avait rien perdu de sa forme… D’où l’idée qu’il eut de reprendre une licence, avec la réussite que l’on sait : deux couronnes nationales, en 1922 et 1924, complétées d’une troisième place en 1926, et, surtout, une extraordinaire médaille d’argent dans le championnat du monde de vitesse 1923, disputé à Zurich. Match tendu, hallucinant, entre un quasi quadragénaire unanimement admiré et le tenant du titre, le géant hollandais Piet Moeskops. Dans la furie du sprint final, ce dernier quitta sa ligne, s’attirant la colère du public et d’une partie du jury. Déclassé ? La question se posa ; néanmoins, il conserva la victoire. Poulain haussa les épaules, à peine dépité. Il en avait déjà tellement vu. Il en avait tellement fait… C’était une idole, un mythe. Depuis des années, la presse le surnommait « l’archange Gabriel ».
 

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.

  Poulain en bref 

  • Né en 14 février 1884 à Saint-Hélier (Jersey). Décédé le 9 janvier 1953 à Nice.
  • Principales victoires : Championnat du monde 1905 (deuxième en 1906, 1908, 1909 et 1923) ; champion de France 1905, 1922, 1924 ; Grand Prix d’Angers 1902, 1914 et 1921 ; Grand Prix de Bordeaux 1904 et 1909 ; Grand Prix de l’U.V.F. 1906 ; Grand Prix d’Anvers 1906.




[1] In Jean Bobet, Cyclisme de plaisance, Prosport, p. 176.
[2]L’Auto, 2 novembre 1932.
[3]In Jean Bobet, Rennes au temps des vélodromes, Éd. Cristel, p. 66.