André Leducq, pour la France, pour les dames...
En son temps, il eut la popularité d’un jeune dieu. C’était un sprinter hors de pair, vainqueur de vingt-cinq étapes dans le Tour de France. Et c’était un routier solide, deux fois maillot jaune à Paris. Portrait du Parisien André Leducq…
Pour les dames, il était le « beau Dédé », garçon jovial et libre qui se faisait fort d’être le meilleur « emballeur » du peloton. Et parce qu’il y a prescription, nous ne tairons point qu’en 1928, à la veille de son Paris-Roubaix victorieux, lui et [s]a « compagne » cédèrent à « de tendres retrouvailles »[1]. « Oui, mesdames, messieurs, la veille de mon Paris-Roubaix victorieux ! », insista-t-il dans son livre de souvenirs[2]. Et pour nous ôter le moindre doute, il ajouta, vexé, qu’« Achille Souchard, quand [il] lui en fi[t] la confidence, se refusa à le croire ». Or, c’était vrai, sûrement. Comme il était vrai, sûrement, qu’en 1978, deux ans avant sa disparition — un accident de plongée en Méditerranée — André Leducq se sentait « encore plein de sève ». « Bon pied, bon œil et le reste, oui Mesdames ! », devait-il claironner sur un ton qui rappelait François Faber. Car, bel et bien, il y avait du Faber dans Leducq ! Même bonne humeur, même popularité, même solidité, même pointe de vitesse et même passion pour le Tour de France, la grande affaire de sa vie. Pourtant, chacun le pensait destiné aux classiques et aux courses d’un jour… N’avait-il pas décroché, en 1922, sous le prestigieux maillot blanc et noir du Vélo-Club de Levallois, le titre national des juniors ? Puis d’enchaîner chez les amateurs avec deux doublés retentissants, le championnat de France et le championnat du monde sur route en 1924, le championnat de France sur route et championnat de France militaire la saison suivante. Bref ! un joyau que son chaperon, l’inimitable Paul Ruinart, polissait semaine après semaine, avec un sens affirmé des valeurs, qui inspirerait le vertueux Antonin Magne. De son côté, André Leducq avait retenu une chose : ne jamais vendre sa chance ! C’était un conseil soufflé autant par Ruinart que par Achille Souchard, autre caïd de l’époque. Dédé ne l’oublierait pas.
Donc, on l’imaginait capable de conquérir Paris-Roubaix et Paris-Tours, les deux mondaines du calendrier tricolore. Avec son entrain coutumier, le Parisien se dépêcha d’annoncer la couleur, Paris-Le Havre le 1er avril 1928 puis, le dimanche d’après, s’offrant une spectaculaire édition de celle qu’on surnommait la « Pascale ». Souvent, il a raconté dans le détail sa chevauchée, pas peu fier d’avoir bouclé les deux cent soixante bornes à 33,597 kilomètres-heure de moyenne. Devant Roger Bastide, il expliquerait : « C’est [Ronsse] qui a lancé l’emballage… La faute… Il a cru que je surveillais Meunier. Mais j’ai eu le temps de sauter dans sa roue… J’ai déboîté. Je l’ai débordé à cinquante mètres de la ligne. (…) C’est seulement sous la douche que j’ai réalisé : la prime de victoire pour Paris-Roubaix, chez Alcyon, était de cinq mille francs… Douce perspective. Mais cela venait après. En passant la ligne, je n’avais éprouvé qu’un sentiment d’orgueil immense : tu as gagné Paris-Roubaix, tu as gagné la plus belle ! »[3]
Tout était dit : l’orgueil, immense. Sous ses airs de joyeux drille, en effet, le titi parisien, né à Saint-Ouen en 1904, masquait une volonté farouche ; et la belle vie qu’il rêvait, les belles filles qu’il aimait, il ne voulait les devoir qu’à lui seul. D’où une approche raisonnée de son métier. Avant d’opter pour tel ou tel braquet, il s’inquiétait des conditions météorologiques. Il épiait le vent, sondait le visage de ses adversaires, prévoyait des stratégies. Son principe ? Progresser, à sa mesure. C’est ainsi qu’en 1927, il aurait volontiers décliné sa sélection pour son premier Tour de France, se jugeant un peu jeune. Puis son optimisme naturel l’avait entraîné ; dans le feu de l’action, il avait raflé une étape, puis une deuxième, puis une troisième, démontrant une impressionnante santé. Sans compter que le gaillard, d’abord tenu pour un simple routier-sprinter, élargissait son registre jusqu’à terminer quatrième au classement général ! « André Leducq, révélation française de la course », affichait L’Auto à la « une », dans son numéro du 18 juillet. Douze mois plus tard, Leducq, deuxième à Paris, confirmait haut la main.
Désormais, il avait rang de vedette. Aussi nul ne fut étonné de le voir porter le maillot jaune, en 1930, lors d’un Tour historique puisque le premier disputé par équipe nationale. En d’autres termes, le « beau Dédé » avait contre lui, non pas Binda et Guerra, mais l’Italie, l’Allemagne, la Belgique et l’Espagne. Il en était là, défendant brillamment l’honneur de la France quand, le 21 juillet, dans la descente du Galibier, il manqua un virage et glissa sur le sol. Pierre Magne, son partenaire, le releva sonné, les genoux en sang. Il le remit néanmoins en selle — et bientôt survint l’incroyable : une seconde chute, sur bris de pédale, à la sortie de Valloire. Dégoûté, exsangue, et convaincu d’avoir perdu la partie, le champion sanglote nerveusement. « Maman ! maman ! », hoquette-t-il, tandis qu’autour de lui, Marcel Bidot et les frères Magne, aidés par Charles Pélissier et Jules Merviel, s’affairent pour retaper son vélo. À cet instant, Guerra, échappé avec plus de treize minutes d’avance, est leader de l’épreuve. Les six Français se jettent à ses trousses, déchaînés ! Ils veulent ce Tour, pour leur copain Dédé et pour la gloire du drapeau. Ils roulent, roulent, roulent comme jamais peut-être une équipe n’a roulé en vingt-quatre Tours de France. Au bout, Guerra est rejoint et Leducq survole le sprint. C’est un héros.
Héroïque, le Parisien Leducq le demeura jusqu’à sa vingt-cinquième victoire d’étape, durant le Tour de France 1938. Entre-temps, il avait ramené un deuxième maillot jaune et su triompher de Paris-Tours, l’autre grande dame. Bon pied, bon œil. Et le reste.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
André Leducq en bref
- Né le 27 février 1904 à Saint-Ouen. Décédé le 18 juin 1980 à Marseille.
- Professionnel chez Thomann (1926), Alcyon (1927 à 1934), Leducq-Mercier (1935 à 1939).
- Principales victoires — Amateur : Championnat de France 1924 et 1925 ; Championnat du monde 1925. Professionnel : Paris-Le Havre 1928 ; Paris-Roubaix 1928 ; Paris-Caen 1930 ; Tour de France 1930 et 1932 (+ vingt-cinq étapes (trois en 1927, quatre en 1928, cinq en 1929, deux en 1930, une en 1931, six en 1932, deux en 1933, une en 1935, une en 1938) ; Paris-Tours 1931 ; Critérium National 1933 ; Critérium des As en 1934.
[1] André Leducq, Une fleur au guidon, Presses de la Cité, 1978, p. 108.
[2]Ibid.
[3]Ibid., p. 107.
André Leducq, pour la France, pour les dames...
En son temps, il eut la popularité d’un jeune dieu. C’était un sprinter hors de pair, vainqueur de vingt-cinq étapes dans le Tour de France. Et c’était un routier solide, deux fois maillot jaune à Paris. Portrait du Parisien André Leducq…
Pour les dames, il était le « beau Dédé », garçon jovial et libre qui se faisait fort d’être le meilleur « emballeur » du peloton. Et parce qu’il y a prescription, nous ne tairons point qu’en 1928, à la veille de son Paris-Roubaix victorieux, lui et [s]a « compagne » cédèrent à « de tendres retrouvailles »[1]. « Oui, mesdames, messieurs, la veille de mon Paris-Roubaix victorieux ! », insista-t-il dans son livre de souvenirs[2]. Et pour nous ôter le moindre doute, il ajouta, vexé, qu’« Achille Souchard, quand [il] lui en fi[t] la confidence, se refusa à le croire ». Or, c’était vrai, sûrement. Comme il était vrai, sûrement, qu’en 1978, deux ans avant sa disparition — un accident de plongée en Méditerranée — André Leducq se sentait « encore plein de sève ». « Bon pied, bon œil et le reste, oui Mesdames ! », devait-il claironner sur un ton qui rappelait François Faber. Car, bel et bien, il y avait du Faber dans Leducq ! Même bonne humeur, même popularité, même solidité, même pointe de vitesse et même passion pour le Tour de France, la grande affaire de sa vie. Pourtant, chacun le pensait destiné aux classiques et aux courses d’un jour… N’avait-il pas décroché, en 1922, sous le prestigieux maillot blanc et noir du Vélo-Club de Levallois, le titre national des juniors ? Puis d’enchaîner chez les amateurs avec deux doublés retentissants, le championnat de France et le championnat du monde sur route en 1924, le championnat de France sur route et championnat de France militaire la saison suivante. Bref ! un joyau que son chaperon, l’inimitable Paul Ruinart, polissait semaine après semaine, avec un sens affirmé des valeurs, qui inspirerait le vertueux Antonin Magne. De son côté, André Leducq avait retenu une chose : ne jamais vendre sa chance ! C’était un conseil soufflé autant par Ruinart que par Achille Souchard, autre caïd de l’époque. Dédé ne l’oublierait pas.
Donc, on l’imaginait capable de conquérir Paris-Roubaix et Paris-Tours, les deux mondaines du calendrier tricolore. Avec son entrain coutumier, le Parisien se dépêcha d’annoncer la couleur, Paris-Le Havre le 1er avril 1928 puis, le dimanche d’après, s’offrant une spectaculaire édition de celle qu’on surnommait la « Pascale ». Souvent, il a raconté dans le détail sa chevauchée, pas peu fier d’avoir bouclé les deux cent soixante bornes à 33,597 kilomètres-heure de moyenne. Devant Roger Bastide, il expliquerait : « C’est [Ronsse] qui a lancé l’emballage… La faute… Il a cru que je surveillais Meunier. Mais j’ai eu le temps de sauter dans sa roue… J’ai déboîté. Je l’ai débordé à cinquante mètres de la ligne. (…) C’est seulement sous la douche que j’ai réalisé : la prime de victoire pour Paris-Roubaix, chez Alcyon, était de cinq mille francs… Douce perspective. Mais cela venait après. En passant la ligne, je n’avais éprouvé qu’un sentiment d’orgueil immense : tu as gagné Paris-Roubaix, tu as gagné la plus belle ! »[3]
Tout était dit : l’orgueil, immense. Sous ses airs de joyeux drille, en effet, le titi parisien, né à Saint-Ouen en 1904, masquait une volonté farouche ; et la belle vie qu’il rêvait, les belles filles qu’il aimait, il ne voulait les devoir qu’à lui seul. D’où une approche raisonnée de son métier. Avant d’opter pour tel ou tel braquet, il s’inquiétait des conditions météorologiques. Il épiait le vent, sondait le visage de ses adversaires, prévoyait des stratégies. Son principe ? Progresser, à sa mesure. C’est ainsi qu’en 1927, il aurait volontiers décliné sa sélection pour son premier Tour de France, se jugeant un peu jeune. Puis son optimisme naturel l’avait entraîné ; dans le feu de l’action, il avait raflé une étape, puis une deuxième, puis une troisième, démontrant une impressionnante santé. Sans compter que le gaillard, d’abord tenu pour un simple routier-sprinter, élargissait son registre jusqu’à terminer quatrième au classement général ! « André Leducq, révélation française de la course », affichait L’Auto à la « une », dans son numéro du 18 juillet. Douze mois plus tard, Leducq, deuxième à Paris, confirmait haut la main.
Désormais, il avait rang de vedette. Aussi nul ne fut étonné de le voir porter le maillot jaune, en 1930, lors d’un Tour historique puisque le premier disputé par équipe nationale. En d’autres termes, le « beau Dédé » avait contre lui, non pas Binda et Guerra, mais l’Italie, l’Allemagne, la Belgique et l’Espagne. Il en était là, défendant brillamment l’honneur de la France quand, le 21 juillet, dans la descente du Galibier, il manqua un virage et glissa sur le sol. Pierre Magne, son partenaire, le releva sonné, les genoux en sang. Il le remit néanmoins en selle — et bientôt survint l’incroyable : une seconde chute, sur bris de pédale, à la sortie de Valloire. Dégoûté, exsangue, et convaincu d’avoir perdu la partie, le champion sanglote nerveusement. « Maman ! maman ! », hoquette-t-il, tandis qu’autour de lui, Marcel Bidot et les frères Magne, aidés par Charles Pélissier et Jules Merviel, s’affairent pour retaper son vélo. À cet instant, Guerra, échappé avec plus de treize minutes d’avance, est leader de l’épreuve. Les six Français se jettent à ses trousses, déchaînés ! Ils veulent ce Tour, pour leur copain Dédé et pour la gloire du drapeau. Ils roulent, roulent, roulent comme jamais peut-être une équipe n’a roulé en vingt-quatre Tours de France. Au bout, Guerra est rejoint et Leducq survole le sprint. C’est un héros.
Héroïque, le Parisien Leducq le demeura jusqu’à sa vingt-cinquième victoire d’étape, durant le Tour de France 1938. Entre-temps, il avait ramené un deuxième maillot jaune et su triompher de Paris-Tours, l’autre grande dame. Bon pied, bon œil. Et le reste.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
André Leducq en bref
- Né le 27 février 1904 à Saint-Ouen. Décédé le 18 juin 1980 à Marseille.
- Professionnel chez Thomann (1926), Alcyon (1927 à 1934), Leducq-Mercier (1935 à 1939).
- Principales victoires — Amateur : Championnat de France 1924 et 1925 ; Championnat du monde 1925. Professionnel : Paris-Le Havre 1928 ; Paris-Roubaix 1928 ; Paris-Caen 1930 ; Tour de France 1930 et 1932 (+ vingt-cinq étapes (trois en 1927, quatre en 1928, cinq en 1929, deux en 1930, une en 1931, six en 1932, deux en 1933, une en 1935, une en 1938) ; Paris-Tours 1931 ; Critérium National 1933 ; Critérium des As en 1934.
[1] André Leducq, Une fleur au guidon, Presses de la Cité, 1978, p. 108.
[2]Ibid.
[3]Ibid., p. 107.
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