Luc Leblanc, « le petit chose »…
Coureur au pire moment du cyclisme, il quitta les pelotons avec un titre de champion de France et un titre de champion du monde. Auparavant, il s’était révélé comme un prodige, singulier et attachant. Portrait de Luc Leblanc…
Ah ! s’il était né trente ans plus tôt… Qu’on imagine : Luc Leblanc à Sallanches, déposant Jan Janssen et Raymond Poulidor dans la dernière bosse. Ou Luc Leblanc sur le Tour, essayant de pousser Jacques Anquetil à la faute… Hélas, le Limougeaud est né le 4 août 1966, c’est-à-dire le pire moment pour des rêves cyclistes. N’aurait-il pas vingt ans à l’instant précis où Bernard Hinault, le géant des géants, lâcherait le timon ? N’en aurait-il pas trente lorsque des tricheurs inconscients souilleraient une aventure magnifique, qui passionnait les foules depuis 1869 ? D’où le mauvais songe qu’il dut faire, triomphant, non pas de Janssen, mais d’un troupeau stigmatisé, au terme du championnat du monde 1994… Et ce ne fut point Anquetil qu’il fit vaciller deux années plus tard, mais l’étrange Miguel Indurain, lauréat de cinq Tours de France aux premiers temps des hormones de croissance et de l’EPO… Que faudrait-il en conclure ? Ce que Bjarne Riis, bénéficiaire de ce Tour de France 1996, a lui-même conclu en conférence de presse, le 25 mai 2007 : « Mon maillot jaune est dans un carton dans mon garage et vous pouvez venir le chercher. »[1] Beaucoup y sont allés. Il suffisait d’avoir les mains sales.
Triste époque, en vérité, qui ne fera jamais chanter les hommes, du moins tant que les livres s’écriront. Parce qu’en dépit des fadaises dont quelques grêletssont friands, il est patent que l’histoire des courses s’est arrêtée dix, douze ou quinze saisons durant, à compter de 1990, pour ne repartir que mal épurée, comme la France de 1946… Mais le principal reste qu’elle soit repartie, déchirant au passage les masques prêts à tomber. Quelle stupeur, alors, de considérer ces visages nus, pareils aux écorchés que peignait Bernard Buffet... Parmi eux, celui de Luc Leblanc, qu’on dirait cristallin. D’abord son regard, d’un bleu troublant, et son sourire, modeste, timide. Qu’on est loin, en l’examinant, de l’assurance qu’affichait Bernard Hinault, champion de France junior ! Pourtant, chez les jeunes, le licencié de l’Union vélocipédique limousine écrasait, lui aussi, ses adversaires. Mais il le faisait avec application, semblable à l’Augustin Lagave que François Mauriac décrit dans Destins : un sérieux de séminariste, la joie contenue d’un boursier méthodique appelé à de hautes fonctions. Car il ne doutait pas de devenir l’un des meilleurs de la fin du siècle… À dix-neuf ans, n’avait-il pas battu les professionnels dans une étape du Circuit de la Sarthe ? Le fait est que la France avait rarement possédé un tel espoir. Il rejoignit l’équipe Toshiba en janvier 1987.
Quel gosse encore, singulier, attendrissant… Dans cette société d’adultes qu’était la compétition, il évoquait spontanément « le Petit Chose ». Un côté naïf, un manque de maturité qu’on percevait en l’écoutant raconter son enfance, et le drame terrible — un chauffard ivre — qui avait coûté la vie à son petit frère, le laissant pour sa part six mois dans un plâtre avec une double fracture tibia-péroné à la jambe gauche, et une fracture du rocher. Ainsi avait-il découvert le cyclisme, pour oublier son chagrin et accélérer sa convalescence. « On parlait souvent vélo à la maison : papa a fait des courses quand il était jeune, maman est aussi mordue que lui et mon frère aîné Éric voulait être coureur », se souvenait-il[2]. Et d’ajouter d’une voix tranquille, comme s’il s’agissait d’un constat naturel, qu’il avait l’ambition de « faire partie des cinq meilleurs coureurs du monde »[3] ! Ce qu’il traduisait de la sorte : « Gagner au moins un Tour de France, pourquoi pas un championnat du monde et aussi de belles classiques comme Milan-San Remo, le Tour de Lombardie et Liège-Bastogne-Liège. » Après quoi, devenu riche et célèbre, il devinait bien qu’il aurait à se méfier des « filles », à « maîtriser la gloire ». « Il faut être très vigilant », décidait-il[4]. Dans son dos, les vieux soldats s’étranglaient de rire. Rien ne les agaçait davantage que cette source fraîche, alliée à tant de talent.
Luc Leblanc vécut des soirées difficiles. Il essuya des moqueries, mais demeura assez longtemps un athlète formidable — « ce coureur si attachant », écrivait Pierre Chany[5] —, qui confirma son potentiel en terminant deuxième de son premier championnat de France (1987), puis en s’adjugeant le Grand Prix de Plouay l’année suivante. Cependant, tout bon routier qu’il s’affirmait, les observateurs commençaient à penser qu’il devrait en rabattre. Certes, sous l’aile de Cyrille Guimard, il enlevait le Tour du Haut-Var, le Grand Prix de Wallonie et une étape du Dauphiné-Libéré en 1990 ; il portait le maillot jaune et finissait cinquième du Tour de France en 1991 ; en 1992, sur le circuit d’Avise, il raflait le titre national ; mais rien n’indiquait qu’il se rapprochait du sommet, incarné par Indurain, Bugno, Rominger, Chiappucci ou Gorgio Furlan, surprenant vainqueur de la Flèche Wallonne puis du Tour de Suisse. Que se passait-il ? L’avènement, encore secret, d’un poison incontrôlable, nommé EPO… Qui en prenait déjà ? qui en prenait un peu ? qui en prenait sans cesse ? Le sûr est que les sprinters se mirent à grimper, les grimpeurs à rouler. Le diable seul put reconnaître les siens.
« Génération foutue… »[6] Voilà comment soupirait Luc Leblanc en juillet 1998, après que l’évidence d’un dopage généralisé eut atomisé le peloton. Entre-temps, lui-même avait « fait le métier » (expression consacrée), s’offrant le titre mondial en 1994, deux étapes du Tour de France et de nombreux accessits, dont une très symbolique deuxième place dans le championnat de France 1998, pour refermer sa carrière. À quoi songeait-il sur le podium, auprès de Laurent Jalabert et de Richard Virenque ? Personne ne le sut, mais des photographies l’ont figé sous un air grave, les yeux déçus. Ah ! si ce gosse singulier, au talent pur, était né trente ans plus tôt…
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Leblanc en bref
- Né le 4 août 1966 à Limoges.
- Professionnel chez Toshiba (1987, 1988), Histor (1989), Castorama (1990 à 1993), Festina (1994), Le Groupement (1995), Polti (septembre 1995 à 1998).
Principales performances : Champion du monde 1994 ; champion de France 1992.G.P. de Plouay 1988 ; Tour du Haut-Var 1990 ; G.P. de Wallonie 1990 ; G.P. du Midi-Libre 1992 ; Tour du Trentin 1997. Vainqueur d’une étape du Tour de France 1992 et 1996.
[1]In L’Équipe du 26 mai 2007
[2]In Sprint 2000 de mars-avril 1987.
[3]Ibid.
[4]Ibid.
[5] Pierre Chany, L’Album 92 du cyclisme, Éd. du Trophée, p. 124.
[6] Jean-François Quénet, Le Procès du dopage, Solar, p. 157.
Luc Leblanc, « le petit chose »…
Coureur au pire moment du cyclisme, il quitta les pelotons avec un titre de champion de France et un titre de champion du monde. Auparavant, il s’était révélé comme un prodige, singulier et attachant. Portrait de Luc Leblanc…
Ah ! s’il était né trente ans plus tôt… Qu’on imagine : Luc Leblanc à Sallanches, déposant Jan Janssen et Raymond Poulidor dans la dernière bosse. Ou Luc Leblanc sur le Tour, essayant de pousser Jacques Anquetil à la faute… Hélas, le Limougeaud est né le 4 août 1966, c’est-à-dire le pire moment pour des rêves cyclistes. N’aurait-il pas vingt ans à l’instant précis où Bernard Hinault, le géant des géants, lâcherait le timon ? N’en aurait-il pas trente lorsque des tricheurs inconscients souilleraient une aventure magnifique, qui passionnait les foules depuis 1869 ? D’où le mauvais songe qu’il dut faire, triomphant, non pas de Janssen, mais d’un troupeau stigmatisé, au terme du championnat du monde 1994… Et ce ne fut point Anquetil qu’il fit vaciller deux années plus tard, mais l’étrange Miguel Indurain, lauréat de cinq Tours de France aux premiers temps des hormones de croissance et de l’EPO… Que faudrait-il en conclure ? Ce que Bjarne Riis, bénéficiaire de ce Tour de France 1996, a lui-même conclu en conférence de presse, le 25 mai 2007 : « Mon maillot jaune est dans un carton dans mon garage et vous pouvez venir le chercher. »[1] Beaucoup y sont allés. Il suffisait d’avoir les mains sales.
Triste époque, en vérité, qui ne fera jamais chanter les hommes, du moins tant que les livres s’écriront. Parce qu’en dépit des fadaises dont quelques grêletssont friands, il est patent que l’histoire des courses s’est arrêtée dix, douze ou quinze saisons durant, à compter de 1990, pour ne repartir que mal épurée, comme la France de 1946… Mais le principal reste qu’elle soit repartie, déchirant au passage les masques prêts à tomber. Quelle stupeur, alors, de considérer ces visages nus, pareils aux écorchés que peignait Bernard Buffet... Parmi eux, celui de Luc Leblanc, qu’on dirait cristallin. D’abord son regard, d’un bleu troublant, et son sourire, modeste, timide. Qu’on est loin, en l’examinant, de l’assurance qu’affichait Bernard Hinault, champion de France junior ! Pourtant, chez les jeunes, le licencié de l’Union vélocipédique limousine écrasait, lui aussi, ses adversaires. Mais il le faisait avec application, semblable à l’Augustin Lagave que François Mauriac décrit dans Destins : un sérieux de séminariste, la joie contenue d’un boursier méthodique appelé à de hautes fonctions. Car il ne doutait pas de devenir l’un des meilleurs de la fin du siècle… À dix-neuf ans, n’avait-il pas battu les professionnels dans une étape du Circuit de la Sarthe ? Le fait est que la France avait rarement possédé un tel espoir. Il rejoignit l’équipe Toshiba en janvier 1987.
Quel gosse encore, singulier, attendrissant… Dans cette société d’adultes qu’était la compétition, il évoquait spontanément « le Petit Chose ». Un côté naïf, un manque de maturité qu’on percevait en l’écoutant raconter son enfance, et le drame terrible — un chauffard ivre — qui avait coûté la vie à son petit frère, le laissant pour sa part six mois dans un plâtre avec une double fracture tibia-péroné à la jambe gauche, et une fracture du rocher. Ainsi avait-il découvert le cyclisme, pour oublier son chagrin et accélérer sa convalescence. « On parlait souvent vélo à la maison : papa a fait des courses quand il était jeune, maman est aussi mordue que lui et mon frère aîné Éric voulait être coureur », se souvenait-il[2]. Et d’ajouter d’une voix tranquille, comme s’il s’agissait d’un constat naturel, qu’il avait l’ambition de « faire partie des cinq meilleurs coureurs du monde »[3] ! Ce qu’il traduisait de la sorte : « Gagner au moins un Tour de France, pourquoi pas un championnat du monde et aussi de belles classiques comme Milan-San Remo, le Tour de Lombardie et Liège-Bastogne-Liège. » Après quoi, devenu riche et célèbre, il devinait bien qu’il aurait à se méfier des « filles », à « maîtriser la gloire ». « Il faut être très vigilant », décidait-il[4]. Dans son dos, les vieux soldats s’étranglaient de rire. Rien ne les agaçait davantage que cette source fraîche, alliée à tant de talent.
Luc Leblanc vécut des soirées difficiles. Il essuya des moqueries, mais demeura assez longtemps un athlète formidable — « ce coureur si attachant », écrivait Pierre Chany[5] —, qui confirma son potentiel en terminant deuxième de son premier championnat de France (1987), puis en s’adjugeant le Grand Prix de Plouay l’année suivante. Cependant, tout bon routier qu’il s’affirmait, les observateurs commençaient à penser qu’il devrait en rabattre. Certes, sous l’aile de Cyrille Guimard, il enlevait le Tour du Haut-Var, le Grand Prix de Wallonie et une étape du Dauphiné-Libéré en 1990 ; il portait le maillot jaune et finissait cinquième du Tour de France en 1991 ; en 1992, sur le circuit d’Avise, il raflait le titre national ; mais rien n’indiquait qu’il se rapprochait du sommet, incarné par Indurain, Bugno, Rominger, Chiappucci ou Gorgio Furlan, surprenant vainqueur de la Flèche Wallonne puis du Tour de Suisse. Que se passait-il ? L’avènement, encore secret, d’un poison incontrôlable, nommé EPO… Qui en prenait déjà ? qui en prenait un peu ? qui en prenait sans cesse ? Le sûr est que les sprinters se mirent à grimper, les grimpeurs à rouler. Le diable seul put reconnaître les siens.
« Génération foutue… »[6] Voilà comment soupirait Luc Leblanc en juillet 1998, après que l’évidence d’un dopage généralisé eut atomisé le peloton. Entre-temps, lui-même avait « fait le métier » (expression consacrée), s’offrant le titre mondial en 1994, deux étapes du Tour de France et de nombreux accessits, dont une très symbolique deuxième place dans le championnat de France 1998, pour refermer sa carrière. À quoi songeait-il sur le podium, auprès de Laurent Jalabert et de Richard Virenque ? Personne ne le sut, mais des photographies l’ont figé sous un air grave, les yeux déçus. Ah ! si ce gosse singulier, au talent pur, était né trente ans plus tôt…
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Leblanc en bref
- Né le 4 août 1966 à Limoges.
- Professionnel chez Toshiba (1987, 1988), Histor (1989), Castorama (1990 à 1993), Festina (1994), Le Groupement (1995), Polti (septembre 1995 à 1998).
Principales performances : Champion du monde 1994 ; champion de France 1992.G.P. de Plouay 1988 ; Tour du Haut-Var 1990 ; G.P. de Wallonie 1990 ; G.P. du Midi-Libre 1992 ; Tour du Trentin 1997. Vainqueur d’une étape du Tour de France 1992 et 1996.
[1]In L’Équipe du 26 mai 2007
[2]In Sprint 2000 de mars-avril 1987.
[3]Ibid.
[4]Ibid.
[5] Pierre Chany, L’Album 92 du cyclisme, Éd. du Trophée, p. 124.
[6] Jean-François Quénet, Le Procès du dopage, Solar, p. 157.
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