UNCP UNCP
L'UNCP est le syndicat professionnel des coureurs cyclistes français.
Syndicat de service et de dialogue constructif.
Créé il y a plus de 60 ans, il a pour vocation la représentation des coureurs et la défense de leurs intérêts collectifs et individuels.
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  • Route Pro Championnats de France Cassel 2023 - Photo Bruno Bade
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Christophe Lavainne, frondeur et bon soldat

Il a gagné son premier Tour du Luxembourg à vingt ans et le second à vingt-six ans, après avoir décroché deux titres nationaux en cyclo-cross. Bref, un vrai champion, qui était aussi bon équipier. Portrait de Christophe Lavainne...


Oh ! qu'il a savouré cet instant, les bras levés sous un ciel clair, tandis que la foule renvoyait l'écho de son nom. C'était à Épinal, en juillet 1987, au soir de la sixième étape d'un Tour de France promis à Stephen Roche. Trois heures plus tôt, son chef, Laurent Fignon, lui avait intimé l'ordre de suivre chaque échappée ; en bon soldat, il avait obtempéré - mais dans la souffrance, car les efforts de la veille pesaient sur ses jambes... Quoi qu'il en fût, lorsque Jean-Claude Bagot prit l'avantage, filé aussitôt par Duclos-Lassalle, Devos, Ruttimann, Dominguez et le Mexicain Raul Alcala, Christophe Lavainne sauta dans le train. Alentour, un décor de montagnes douces, coupé de routes nerveuses et de faux plats. En somme, un terrain pour hommes forts, ou du moins pour hommes frais... Parce qu'il était ni le plus fort ni le plus frais, celui qui portait le dossard 64 tenta une sortie solitaire, pour voir et pour être vu. Comme c'était son jour, il s'octroya rapidement une minute et demie d'avance. Ensuite, en athlète musculeux, posé haut sur sa machine, il se défendit pied à pied, ne cédant rien à Raul Alcala parti en contre. Qu'on se figure la scène : Lavainne devant, taillé en bouledogue ; Alcala derrière, aussi fin qu'un lévrier. L'épilogue fut digne de La Fontaine : pour avoir réagi trop tard, lévrier et consorts rendirent les armes. L'élève de Cyrille Guimard les avaient tous bluffés !

Bien entendu, la presse réclama des faits, des dates. Le bon soldat se montra bon conteur, expliquant qu'il était né à Châteaudun en décembre 1963, et avait gagné Paris-Rouen en 1982, à dix-huit ans. Autrement dit, un exploit hors du commun, qui confirmait une progression prometteuse et constante. N'avait-il pas remporté une victoire en minime, puis trois victoires en cadet première année, six en cadet deuxième année, treize en junior première année, vingt-deux en junior deuxième année ? Pour autant, nul n'aurait pu deviner quel coureur il ferait... Un rouleur, sans aucun doute, puisqu'il avait terminé, en 1981, deuxième des championnats de France contre-la-montre par équipe chez les juniors. Mais, en parallèle, il avait également brillé sur les pistes, raflant la troisième place du championnat de France de poursuite olympique et la cinquième du championnat du monde de la course aux points. Bref ! un cycliste complet, dont on murmurait qu'il aimait beaucoup le cyclo-cross... Voilà dans quel contexte tomba sa victoire à Rouen. Il s'en fallut de peu pour qu'on évoquât un prodige...

Des photographes l'ont saisi à l'époque : un jeune mâle solide au poil noir, au sourire franc mais frondeur. Si Gavroche avait grandi, il est probable qu'il aurait eu cet air-là... Heureusement, Lavainne n'était pas Gavroche ; gravement blessé dans une chute lors du Tour du Vaucluse 1983 - on craignit qu'il ne fût paralysé -, il se retapa crânement et rejoignit, en janvier 1984, l'école Renault délaissée par Hinault. ' Tu vas abandonner dans 80 % de tes courses la première année ', lui prédit alors Guimard, pourtant sûr d'avoir embauché un garçon d'avenir1. En fait, malgré plusieurs coups de fatigue, le néophyte tira très habilement son épingle du jeu, terminant quatrième du championnat de France de cyclo-cross puis s'imposant, sur route, dans le réputé Tour du Luxembourg, devant Tackaert et Dhaenens. À vingt ans, il était prêt pour faire carrière.

Mais quelle carrière ? Celle d'un modeste leader, capable de régner sur les courses d'un jour ou les courses d'une semaine ? Celle d'un équipier de luxe, au temps où Fignon, LeMond, Barteau, Jules, Mottet et Marc Madiot tenaient la vedette ? Celle d'un cyclo-crossman authentique ? Finalement, pour n'avoir pas à choisir, Christophe Lavainne choisit de faire feu de tout bois. De cette façon, en 1987, il décrocha son inoubliable étape dans le Tour de France. Auparavant, il avait enchaîné classiques, Tour d'Espagne, Tour de Suisse. Il avait même franchi un nouveau palier en cyclo-cross, seulement battu par Yvon Madiot dans le championnat de France, et par Thaler et De Bie dans le championnat du monde. On le constate : un programme chargé, qu'il supportait avec une éternelle belle humeur. Sans se prendre jamais au sérieux, ce titan couvrait cinquante mille kilomètres par saison !

Il était entré dans ses meilleures années, et il le prouva à Munster, le 10 janvier 1988, en dominant l'un des plus passionnants championnats de France que le cyclo-cross ait connus. Contre lui, en effet, ses anciens camarades de la légion ' Guimard ', comprenez Marc et Yvon Madiot, ainsi que Martial Gayant, lequel avait juré de ne pas quitter sa roue, puis de le ' cueillir ' dans le final. Mais, au bras de fer, Christophe Lavainne ne redoutait personne. Dès le départ, il voltigea, obligeant Gayant à une première poursuite. Pris de cours, le tenant du titre, Yvon Madiot, perdit sur le champ quinze secondes, son frère vingt-cinq. Quant à Gayant, désormais contraint au corps à corps, il fut mis dix fois au supplice. Il attaqua néanmoins, sans parvenir à creuser l'écart. Au sprint, Christophe Lavainne lui imposa sa force brute. ' J'étais le meilleur. J'ai gagné. C'est normal ', témoigna-t-il sobrement2.

Les suiveurs savent comment s'acheva l'histoire : avec, en 1990, un second titre national de cyclo-cross et un second succès dans le Tour du Luxembourg. Sans compter, toujours en cyclo-cross, deux médailles de bronze au championnat du monde... La preuve était faite que ce frondeur avait su vaincre et durer. Et puis (ce qui ne gâte rien), à la ville, un chic type. Ils ont été nombreux à le dire.

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.



Lavainne en bref

* Né le 22 décembre 1963 à Châteaudun.
* Professionnel chez Renault (1984 et 1985), Système U (1986 à 1989), Castorama (1990 à 1992).
* Principales victoires : Championnat de France de cyclo-cross 1988 et 1990 (4e en 1984, 1991 et 1992, 2e en 1987, 3e en 1989) ; Tour du Luxembourg 1984 et 1990 ; une étape du Tour de France 1987. 3e du championnat du monde de cyclo-cross en 1987 et 1989 (5e en 1988).



1 Jacques Colin, Paroles de peloton, Solar, 2001, p. 268.
2 Miroir du cyclisme n° 403. Février 1988.

Christophe Lavainne, frondeur et bon soldat

Il a gagné son premier Tour du Luxembourg à vingt ans et le second à vingt-six ans, après avoir décroché deux titres nationaux en cyclo-cross. Bref, un vrai champion, qui était aussi bon équipier. Portrait de Christophe Lavainne...


Oh ! qu'il a savouré cet instant, les bras levés sous un ciel clair, tandis que la foule renvoyait l'écho de son nom. C'était à Épinal, en juillet 1987, au soir de la sixième étape d'un Tour de France promis à Stephen Roche. Trois heures plus tôt, son chef, Laurent Fignon, lui avait intimé l'ordre de suivre chaque échappée ; en bon soldat, il avait obtempéré - mais dans la souffrance, car les efforts de la veille pesaient sur ses jambes... Quoi qu'il en fût, lorsque Jean-Claude Bagot prit l'avantage, filé aussitôt par Duclos-Lassalle, Devos, Ruttimann, Dominguez et le Mexicain Raul Alcala, Christophe Lavainne sauta dans le train. Alentour, un décor de montagnes douces, coupé de routes nerveuses et de faux plats. En somme, un terrain pour hommes forts, ou du moins pour hommes frais... Parce qu'il était ni le plus fort ni le plus frais, celui qui portait le dossard 64 tenta une sortie solitaire, pour voir et pour être vu. Comme c'était son jour, il s'octroya rapidement une minute et demie d'avance. Ensuite, en athlète musculeux, posé haut sur sa machine, il se défendit pied à pied, ne cédant rien à Raul Alcala parti en contre. Qu'on se figure la scène : Lavainne devant, taillé en bouledogue ; Alcala derrière, aussi fin qu'un lévrier. L'épilogue fut digne de La Fontaine : pour avoir réagi trop tard, lévrier et consorts rendirent les armes. L'élève de Cyrille Guimard les avaient tous bluffés !

Bien entendu, la presse réclama des faits, des dates. Le bon soldat se montra bon conteur, expliquant qu'il était né à Châteaudun en décembre 1963, et avait gagné Paris-Rouen en 1982, à dix-huit ans. Autrement dit, un exploit hors du commun, qui confirmait une progression prometteuse et constante. N'avait-il pas remporté une victoire en minime, puis trois victoires en cadet première année, six en cadet deuxième année, treize en junior première année, vingt-deux en junior deuxième année ? Pour autant, nul n'aurait pu deviner quel coureur il ferait... Un rouleur, sans aucun doute, puisqu'il avait terminé, en 1981, deuxième des championnats de France contre-la-montre par équipe chez les juniors. Mais, en parallèle, il avait également brillé sur les pistes, raflant la troisième place du championnat de France de poursuite olympique et la cinquième du championnat du monde de la course aux points. Bref ! un cycliste complet, dont on murmurait qu'il aimait beaucoup le cyclo-cross... Voilà dans quel contexte tomba sa victoire à Rouen. Il s'en fallut de peu pour qu'on évoquât un prodige...

Des photographes l'ont saisi à l'époque : un jeune mâle solide au poil noir, au sourire franc mais frondeur. Si Gavroche avait grandi, il est probable qu'il aurait eu cet air-là... Heureusement, Lavainne n'était pas Gavroche ; gravement blessé dans une chute lors du Tour du Vaucluse 1983 - on craignit qu'il ne fût paralysé -, il se retapa crânement et rejoignit, en janvier 1984, l'école Renault délaissée par Hinault. ' Tu vas abandonner dans 80 % de tes courses la première année ', lui prédit alors Guimard, pourtant sûr d'avoir embauché un garçon d'avenir1. En fait, malgré plusieurs coups de fatigue, le néophyte tira très habilement son épingle du jeu, terminant quatrième du championnat de France de cyclo-cross puis s'imposant, sur route, dans le réputé Tour du Luxembourg, devant Tackaert et Dhaenens. À vingt ans, il était prêt pour faire carrière.

Mais quelle carrière ? Celle d'un modeste leader, capable de régner sur les courses d'un jour ou les courses d'une semaine ? Celle d'un équipier de luxe, au temps où Fignon, LeMond, Barteau, Jules, Mottet et Marc Madiot tenaient la vedette ? Celle d'un cyclo-crossman authentique ? Finalement, pour n'avoir pas à choisir, Christophe Lavainne choisit de faire feu de tout bois. De cette façon, en 1987, il décrocha son inoubliable étape dans le Tour de France. Auparavant, il avait enchaîné classiques, Tour d'Espagne, Tour de Suisse. Il avait même franchi un nouveau palier en cyclo-cross, seulement battu par Yvon Madiot dans le championnat de France, et par Thaler et De Bie dans le championnat du monde. On le constate : un programme chargé, qu'il supportait avec une éternelle belle humeur. Sans se prendre jamais au sérieux, ce titan couvrait cinquante mille kilomètres par saison !

Il était entré dans ses meilleures années, et il le prouva à Munster, le 10 janvier 1988, en dominant l'un des plus passionnants championnats de France que le cyclo-cross ait connus. Contre lui, en effet, ses anciens camarades de la légion ' Guimard ', comprenez Marc et Yvon Madiot, ainsi que Martial Gayant, lequel avait juré de ne pas quitter sa roue, puis de le ' cueillir ' dans le final. Mais, au bras de fer, Christophe Lavainne ne redoutait personne. Dès le départ, il voltigea, obligeant Gayant à une première poursuite. Pris de cours, le tenant du titre, Yvon Madiot, perdit sur le champ quinze secondes, son frère vingt-cinq. Quant à Gayant, désormais contraint au corps à corps, il fut mis dix fois au supplice. Il attaqua néanmoins, sans parvenir à creuser l'écart. Au sprint, Christophe Lavainne lui imposa sa force brute. ' J'étais le meilleur. J'ai gagné. C'est normal ', témoigna-t-il sobrement2.

Les suiveurs savent comment s'acheva l'histoire : avec, en 1990, un second titre national de cyclo-cross et un second succès dans le Tour du Luxembourg. Sans compter, toujours en cyclo-cross, deux médailles de bronze au championnat du monde... La preuve était faite que ce frondeur avait su vaincre et durer. Et puis (ce qui ne gâte rien), à la ville, un chic type. Ils ont été nombreux à le dire.

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.



Lavainne en bref

* Né le 22 décembre 1963 à Châteaudun.
* Professionnel chez Renault (1984 et 1985), Système U (1986 à 1989), Castorama (1990 à 1992).
* Principales victoires : Championnat de France de cyclo-cross 1988 et 1990 (4e en 1984, 1991 et 1992, 2e en 1987, 3e en 1989) ; Tour du Luxembourg 1984 et 1990 ; une étape du Tour de France 1987. 3e du championnat du monde de cyclo-cross en 1987 et 1989 (5e en 1988).



1 Jacques Colin, Paroles de peloton, Solar, 2001, p. 268.
2 Miroir du cyclisme n° 403. Février 1988.