UNCP UNCP
L'UNCP est le syndicat professionnel des coureurs cyclistes français.
Syndicat de service et de dialogue constructif.
Créé il y a plus de 60 ans, il a pour vocation la représentation des coureurs et la défense de leurs intérêts collectifs et individuels.
contact@uncp.net . Comité Directeur . UNCP 161 Chemin du Buisson – 38110 DOLOMIEU
  • Route Pro Championnats de France Cassel 2023 - Photo Bruno Bade
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  • Paris Camembert 2020 Photo Bruno Bade
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Michel Laurent, au temps de la grâce...


Comme tous ceux de sa génération, il fut balayé par Hinault. Mais il sut batailler dix saisons durant pour décrocher trente-sept victoires professionnelles, dont une inoubliable Flèche Wallonne. Portrait du discret Michel Laurent...

 

Tout compte fait, Michel Laurent n'aura commis qu'une erreur en dix saisons chez les pros : avoir cru qu'il pourrait égaler le seigneur du peloton ! C'était le 20 avril 1978, au terme de son inoubliable victoire dans la Flèche Wallonne. ' Maintenant, Bernard Hinault n'est plus seul en France ', lâcha-t-il, pressé par une douce euphorie1. Bien entendu, il regretta vite un propos qui dépassait sa pensée. Hinault était seul de son espèce. Un surhomme, ou peu s'en faut, dont certains devinaient qu'il marcherait sur les brisées d'Eddy Merckx. D'ailleurs, à tête reposée, le jeune Bourguignon n'était pas sans l'admirer. ' Hinault, c'est la grande classe, insistait-il. C'est sa puissance qui m'épate surtout, les braquets qu'il peut emmener... '2 Néanmoins, en ce printemps 1978, lui-même n'avait pas renoncé à devenir aussi un coureur immense. N'avait-il pas déjà remporté, à moins de vingt-quatre ans, deux Tours de Corse, un Paris-Nice et un Tour du Vaucluse ? Sans parler, évidemment, de cette Flèche Wallonne digne des plus beaux exploits du cyclisme français. Oui, sur le papier, Michel Laurent avait de bonnes raisons d'espérer...

D'autant que Hinault, il le fréquentait de longue date... Il pouvait même se targuer de lui avoir infligé une cuisante défaite, en mai 1974. À l'époque, le Breton, senior débutant, étalonnait son génie dans la Route de France. Qu'il tenait du cheval fou est la moindre évidence : 100 bornes d'échappée le quatrième jour, à la veille du contre-la-montre décisif ! Plus frais, Michel Laurent ne manqua pas de répliquer le lendemain. Au classement final, il repoussait son cadet (quinze mois les séparaient) à soixante-six secondes.
 Tous deux franchirent le rubicon en janvier 1975, Hinault avec Jean Stablinski chez Gitane, Laurent dans la formation Miko-De Gribaldy-Supéria. Pour ce dernier, le métier s'avéra particulièrement prometteur puisqu'il décrocha ses premiers succès professionnels, dans le Grand Prix de Fribourg d'abord, puis dans la cinquième étape de l'Étoile des Espoirs. Surtout, il cumula les places d'honneur, terminant deuxième du Tour de Catalogne, troisième du Tour de Corse, quatrième du Critérium national, du Tour du Limousin et du réputé Trophée Baracchi disputé en compagnie de Perret. On imagine le sourire de son directeur sportif, le rusé Jean de Gribaldy... Car Michel Laurent confirma. Dès mars 1976, il doubla dans le Tour de Corse et Paris-Nice, avant de couper la ligne à San Remo en quatrième position. ' Le Français a franchi la seconde partie du Poggio plus vite que Merckx ', nota Pierre Chany3. C'était un encouragement à persévérer...

 Enrôlé sous l'impérieuse bannière du groupe Peugeot, Michel Laurent, équipier de Bernard Thévenet, conclut le Tour de France 1977 au septième rang : on pouvait y voir un nouveau palier. Reste que, de son côté, Hinault, vainqueur de Gand-Wevelgem, de Liège-Bastogne-Liège et du Dauphiné-Libéré, sautait les marches quatre à quatre ! À quand leur duel fratricide, pour rappeler la rivalité Anquetil-Poulidor ? En suivant les développements de la Flèche Wallonne, le fameux jour d'avril 1978, la presse eut le sentiment de toucher à son but : le Bourguignon relevait le gant ! Il était de tous les coups, dans une épreuve rendue pénible par l'orage et le vent. Mieux, c'est lui qui durcit le rythme au sommet de la côte d'Annette-et-Lubin, après deux cents kilomètres. Et c'est lui, encore, qui sonna la charge derrière Michel Pollentier, le champion de Belgique. Dans sa roue, Thurau, Zoetemelk, Kuiper, Knetemann et Baronchelli, les ultimes rescapés, se mirent à le regarder d'un autre œil. Kuiper voulut tenter sa chance : Laurent le contra aussitôt. Puis Zoetemelk sortit à son tour - en pure perte ; il fut repris sous le panneau des 300 mètres. Alors, le Français lança le sprint, se détachant irrésistiblement. ' Je ne sentais plus la pédale sous le pied. J'ai pensé : pas possible, tu vas les dépasser ! ', raconterait-il par la suite4. C'était parfaitement expliquer qu'il avait vécu un jour de grâce.

 Des jours pareils, où tout réussit, jusqu'au moins ordinaire, il n'en connaîtrait jamais plus. Il goûterait certes des moments fastes - mais, au sens propre, la grâce l'avait quitté, sans doute parce qu'elle s'était définitivement soumise à la force d'Hinault. Commença donc, non pas le temps des vaches maigres, mais l'histoire d'une carrière différente, menée par un homme qui avait à cœur de tenir sa vraie place, dût-il en rabattre. D'où l'idée que le véritable Michel Laurent ne fut pas celui qui domina les meilleurs du monde à Verviers (théâtre de l'arrivée de la Flèche Wallonne) ; c'était plutôt le lieutenant discret et talentueux qui enlevait trois ou quatre bouquets par saison, tissant un palmarès notoire, parmi les mieux fournis au niveau national... S'il faut maintenant choisir, d'aucuns retiendront sa victoire dans le Critérium du Dauphiné, en 1982 : à défaut d'être supérieur, il s'y montra d'un courage exemplaire. D'autres préféreront citer son triomphe rocambolesque à Saint-Étienne, l'année suivante, dans le Tour de France : il avait pourtant fini le vélo sur l'épaule, septième de l'étape ; mais les juges, prononçant un arrêt historique, admirent que le Néerlandais Lubberding l'avait exagérément tassé dans le sprint, et lui attribuèrent le succès.

C'était un retour de grâce, pour saluer en beauté.

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.


Michel Laurent en bref

* Né le 10 août 1953 à Bourbon-Lancy.
* Professionnel en 1975, il court pour Miko-De Gribaldy (1975 et 1976), Peugeot (1977 à 1982), Coop (1983 et 1984). Fin 1987, il rejoindra Roger Legeay à la direction sportive de ses équipes professionnelles.
* Principales victoires : Paris-Nice 1976 ; Tour de Corse 1976, 1978 ; Flèche Wallonne 1978 ; Tour du Vaucluse 1978, 1980, 1981 ; Crit. des As 1978 ; Tour Méditerranéen 1979, 1982 ; G. P. de Lugano 1979 ; Crit. National 1980 ; Dauphiné-Libéré 1982 ; 16e étape du Tour de France 1983. Lauréat de la Promotion Pernod 1976.



1 In Miroir du cyclisme, n° 251, juin 1978.
2 Ibid.
3 L'Année du cyclisme 1976, Calmann-Lévy, p. 49.
4 L'Année du cyclisme 1978, Calmann-Lévy, p. 98.

Michel Laurent, au temps de la grâce...


Comme tous ceux de sa génération, il fut balayé par Hinault. Mais il sut batailler dix saisons durant pour décrocher trente-sept victoires professionnelles, dont une inoubliable Flèche Wallonne. Portrait du discret Michel Laurent...

 

Tout compte fait, Michel Laurent n'aura commis qu'une erreur en dix saisons chez les pros : avoir cru qu'il pourrait égaler le seigneur du peloton ! C'était le 20 avril 1978, au terme de son inoubliable victoire dans la Flèche Wallonne. ' Maintenant, Bernard Hinault n'est plus seul en France ', lâcha-t-il, pressé par une douce euphorie1. Bien entendu, il regretta vite un propos qui dépassait sa pensée. Hinault était seul de son espèce. Un surhomme, ou peu s'en faut, dont certains devinaient qu'il marcherait sur les brisées d'Eddy Merckx. D'ailleurs, à tête reposée, le jeune Bourguignon n'était pas sans l'admirer. ' Hinault, c'est la grande classe, insistait-il. C'est sa puissance qui m'épate surtout, les braquets qu'il peut emmener... '2 Néanmoins, en ce printemps 1978, lui-même n'avait pas renoncé à devenir aussi un coureur immense. N'avait-il pas déjà remporté, à moins de vingt-quatre ans, deux Tours de Corse, un Paris-Nice et un Tour du Vaucluse ? Sans parler, évidemment, de cette Flèche Wallonne digne des plus beaux exploits du cyclisme français. Oui, sur le papier, Michel Laurent avait de bonnes raisons d'espérer...

D'autant que Hinault, il le fréquentait de longue date... Il pouvait même se targuer de lui avoir infligé une cuisante défaite, en mai 1974. À l'époque, le Breton, senior débutant, étalonnait son génie dans la Route de France. Qu'il tenait du cheval fou est la moindre évidence : 100 bornes d'échappée le quatrième jour, à la veille du contre-la-montre décisif ! Plus frais, Michel Laurent ne manqua pas de répliquer le lendemain. Au classement final, il repoussait son cadet (quinze mois les séparaient) à soixante-six secondes.
 Tous deux franchirent le rubicon en janvier 1975, Hinault avec Jean Stablinski chez Gitane, Laurent dans la formation Miko-De Gribaldy-Supéria. Pour ce dernier, le métier s'avéra particulièrement prometteur puisqu'il décrocha ses premiers succès professionnels, dans le Grand Prix de Fribourg d'abord, puis dans la cinquième étape de l'Étoile des Espoirs. Surtout, il cumula les places d'honneur, terminant deuxième du Tour de Catalogne, troisième du Tour de Corse, quatrième du Critérium national, du Tour du Limousin et du réputé Trophée Baracchi disputé en compagnie de Perret. On imagine le sourire de son directeur sportif, le rusé Jean de Gribaldy... Car Michel Laurent confirma. Dès mars 1976, il doubla dans le Tour de Corse et Paris-Nice, avant de couper la ligne à San Remo en quatrième position. ' Le Français a franchi la seconde partie du Poggio plus vite que Merckx ', nota Pierre Chany3. C'était un encouragement à persévérer...

 Enrôlé sous l'impérieuse bannière du groupe Peugeot, Michel Laurent, équipier de Bernard Thévenet, conclut le Tour de France 1977 au septième rang : on pouvait y voir un nouveau palier. Reste que, de son côté, Hinault, vainqueur de Gand-Wevelgem, de Liège-Bastogne-Liège et du Dauphiné-Libéré, sautait les marches quatre à quatre ! À quand leur duel fratricide, pour rappeler la rivalité Anquetil-Poulidor ? En suivant les développements de la Flèche Wallonne, le fameux jour d'avril 1978, la presse eut le sentiment de toucher à son but : le Bourguignon relevait le gant ! Il était de tous les coups, dans une épreuve rendue pénible par l'orage et le vent. Mieux, c'est lui qui durcit le rythme au sommet de la côte d'Annette-et-Lubin, après deux cents kilomètres. Et c'est lui, encore, qui sonna la charge derrière Michel Pollentier, le champion de Belgique. Dans sa roue, Thurau, Zoetemelk, Kuiper, Knetemann et Baronchelli, les ultimes rescapés, se mirent à le regarder d'un autre œil. Kuiper voulut tenter sa chance : Laurent le contra aussitôt. Puis Zoetemelk sortit à son tour - en pure perte ; il fut repris sous le panneau des 300 mètres. Alors, le Français lança le sprint, se détachant irrésistiblement. ' Je ne sentais plus la pédale sous le pied. J'ai pensé : pas possible, tu vas les dépasser ! ', raconterait-il par la suite4. C'était parfaitement expliquer qu'il avait vécu un jour de grâce.

 Des jours pareils, où tout réussit, jusqu'au moins ordinaire, il n'en connaîtrait jamais plus. Il goûterait certes des moments fastes - mais, au sens propre, la grâce l'avait quitté, sans doute parce qu'elle s'était définitivement soumise à la force d'Hinault. Commença donc, non pas le temps des vaches maigres, mais l'histoire d'une carrière différente, menée par un homme qui avait à cœur de tenir sa vraie place, dût-il en rabattre. D'où l'idée que le véritable Michel Laurent ne fut pas celui qui domina les meilleurs du monde à Verviers (théâtre de l'arrivée de la Flèche Wallonne) ; c'était plutôt le lieutenant discret et talentueux qui enlevait trois ou quatre bouquets par saison, tissant un palmarès notoire, parmi les mieux fournis au niveau national... S'il faut maintenant choisir, d'aucuns retiendront sa victoire dans le Critérium du Dauphiné, en 1982 : à défaut d'être supérieur, il s'y montra d'un courage exemplaire. D'autres préféreront citer son triomphe rocambolesque à Saint-Étienne, l'année suivante, dans le Tour de France : il avait pourtant fini le vélo sur l'épaule, septième de l'étape ; mais les juges, prononçant un arrêt historique, admirent que le Néerlandais Lubberding l'avait exagérément tassé dans le sprint, et lui attribuèrent le succès.

C'était un retour de grâce, pour saluer en beauté.

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.


Michel Laurent en bref

* Né le 10 août 1953 à Bourbon-Lancy.
* Professionnel en 1975, il court pour Miko-De Gribaldy (1975 et 1976), Peugeot (1977 à 1982), Coop (1983 et 1984). Fin 1987, il rejoindra Roger Legeay à la direction sportive de ses équipes professionnelles.
* Principales victoires : Paris-Nice 1976 ; Tour de Corse 1976, 1978 ; Flèche Wallonne 1978 ; Tour du Vaucluse 1978, 1980, 1981 ; Crit. des As 1978 ; Tour Méditerranéen 1979, 1982 ; G. P. de Lugano 1979 ; Crit. National 1980 ; Dauphiné-Libéré 1982 ; 16e étape du Tour de France 1983. Lauréat de la Promotion Pernod 1976.



1 In Miroir du cyclisme, n° 251, juin 1978.
2 Ibid.
3 L'Année du cyclisme 1976, Calmann-Lévy, p. 49.
4 L'Année du cyclisme 1978, Calmann-Lévy, p. 98.