UNCP UNCP
L'UNCP est le syndicat professionnel des coureurs cyclistes français.
Syndicat de service et de dialogue constructif.
Créé il y a plus de 60 ans, il a pour vocation la représentation des coureurs et la défense de leurs intérêts collectifs et individuels.
contact@uncp.net . Comité Directeur . UNCP 161 Chemin du Buisson – 38110 DOLOMIEU
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Edmond Jacquelin, le flambeur du sprint


C'était en des temps héroïques, quand la France accueillait pour la première fois les championnats du monde sur piste. Parmi les engagés, Edmond Jacquelin, futur vainqueur du tournoi de vitesse. Portrait de celui qui resta longtemps l'idole du public...


Il avait des faux airs avec le Jean Gabin de La Bête humaine - ou, pour être plus exact, le Gabin jeune n'était pas sans parler et sourire comme lui. Le Gabin jeune, dans ses meilleurs moments, tenait Paris à ses pieds, les femmes dans ses bras. Eh bien ! le Jacquelin de 1900 avait également ses grands soirs. Lorsqu'il montait en selle, et surtout quand il se levait de sa selle, subitement farouche et furieux, des vélodromes immenses se figeaient. Puis c'était l'explosion, sa victoire, leurs vivats ! Le dieu aux mèches drues et rebelles se redressait et saluait, tandis que le public scandait son nom. ' Jac-que-lin ! Jac-que-lin ! Jac-que-lin ! ' L'hommage était réel, le brouhaha énorme. Il dura jusqu'en 1904.

Il y a dix façons de raconter Edmond Jacquelin, champion de France de vitesse en 1896, 1900, 1902, champion du monde en 1900. Le premier portrait serait celui du mythe, garçon fantasque et joyeux drille, littéralement adoré des spectateurs. Qui ne connaissait alors l'aventure de ce fils de boulanger, né en 1875 et célèbre à vingt ans, après son triomphe dans le Grand Prix de vitesse de Milan ? La suite fut digne d'un roman. Dès 1896, outre le titre national, l'idole nouvelle remporta le Grand Prix d'Anvers et le Grand Prix de Vienne, mais aussi le Grand Prix de l'Espérance et le Prix de la Finance, deux courses aux noms faits pour lui. Parce que Edmond Jacquelin, s'il incarnait effectivement l'avenir, était une vedette que l'argent fascinait. Sitôt descendu de machine, il menait le train d'un rentier fastueux qui possédait sa loge à la Comédie Française et tutoyait les acteurs à la mode. Qu'en retenait-il ? Là est toute la question, mais l'étude des Plaideurs de Racine aurait dû l'avertir :
  Ma foi ! sur l'avenir bien fou qui se fiera :
  Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera.

À la vérité, ce fort des Halles n'écoutait que d'une oreille. Le lion qu'il était sur la piste devenait cigale à la ville... Selon Pierre Chany, lequel s'appuie sur des journaux d'époque, il pouvait régaler des salles complètes dans les plus chics restaurants parisiens : ' Du champagne pour tous ces gens, je vous prie. '1 On imagine le geste, le ton, le rictus fat et gourmand : du théâtre à coup sûr, mais joué pour le boulevard ! Néanmoins, il payait, au sens propre comme au figuré. C'était le temps doré du sprint... Pour le Grand Prix de Paris, le président de la République se déplaçait en personne, et la victoire pesait 15.000 francs or. Une for-tune ! Une aubaine si l'on songe aux 3.000 francs or que rapporterait, en 1903, la première place du Tour de France...

Edmond Jacquelin vécut donc l'existence d'un sportif riche et populaire, partout surnommé ' Pioupiou ', l'équivalent moderne d'un ' Gavroche ' qui aurait grandi. Ses succès mis à part, chacun l'aimait pour sa virilité joviale, son côté crâne, ses exubérances, ses réparties. Sur ce plan, l'homme ressemblait au coureur : spontané, tumultueux. Doté d'une force exceptionnelle dans les cuisses, il sidérait par la puissance de son démarrage, sans exemple en Europe. Or, luttaient contre lui Bourillon, Barden, Arend, Meyers, Buttler, Taylor, Morin, Dupré, Poulain, Friol et l'inoubliable Thorvald Ellegaard, six fois champion du monde ! C'est dire quel athlète supérieur était Jacquelin. D'ailleurs, avant de régner en vitesse, il avait démontré des dispositions pour le fond, terminant deuxième, derrière Constant Huret, du championnat de France des 100 km en 1894. Son goût immodéré du défi l'orienta vers le sprint.

L'a-t-on bien compris ? Jacquelin voulait flamber, quitte à se brûler rapidement. Après l'avoir beaucoup apprécié, Ludovic Morin, le cador breton, triple lauréat du Grand Prix de Paris, refusa tout commerce avec lui, au motif qu'il avait été salement ' balancé '. C'était le 25 octobre 1896, dans un vélodrome de la Seine archi-comble - ' la foule était si compacte qu'il avait fallu fermer les portes du vélodrome avant que le match commençât ', témoigna Marcel Viollette2. Morin, éblouissant, conserva un quart de roue d'avance dans la première manche, malgré une embardée de son rival. Dans la seconde, accroché et envoyé au sol, il se retira définitivement, persuadé d'être la victime d'un acte volontaire... Vrai ? Faux ? Le sûr est qu'Edmond Jacquelin, bientôt champion du monde à Paris - le sommet de sa carrière ; il y dominerait le Néerlandais Meyers en finale -, le sûr est que le Français passait du pire au meilleur, du meilleur au pire... Ainsi se rappelle-t-on qu'au terme d'un duel historique, le 16 mai 1901, sur l'ovale du Parc des Princes où se pressaient des journalistes du monde entier, il adressa de détestables pieds de nez au sprinter Major Taylor, celui-ci battu en deux manches. ' Je n'aurais pas dû, je le sais ', s'excusa-t-il une fois dégrisé3. Le prodige noir, qui était d'une autre trempe, pardonna. Puis, dix jours plus tard, il le corrigea à son tour en deux manches. Bon bougre, Jacquelin admit cette défaite. On le revit dans l'heure suivante, proposant du champagne au vainqueur.

Edmond Jacquelin manquait de nuances ; il ne manquait pas d'orgueil. Quand ses passions eurent dilapidé sa fortune, puis quand le temps eut raison de ses forces, il accepta de courir le cachet, riant de ses mauvais comptes. À trente-neuf ans, il s'alignait encore dans les Six-Jours de Paris 1914, massé à la va-vite et chauffant sa gamelle lui-même. Mais sur la piste, un lion, toujours ! Roger Bastide écrit4 que, le troisième soir, il brava sans relâche l'Australien Goullet, favori de la presse. Il attaqua jusqu'à l'aube. Puis, éreinté, il abandonna la ronde.

Il avait dansé une dernière fois.

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.


Jacquelin en bref

* Né en 1875 à Santenay. Décédé le 29 juin 1928 à Paris.
* Se révèle à 19 ans, avec une deuxième place au champ. de France des 100 km disputé sur le vélodrome de la Seine. Après sa carrière, il monta une petite école de la piste.
* Principales victoires : Champ. du monde 1900 ; champ. de France 1896, 1900, 1902 ; Grand Prix de Milan 1895, Anvers 1896 et 1901, Vienne 1896, Turin 1898, Berlin 1899, Paris 1900, Allemagne 1900, France 1904.


1 In La Fabuleuse histoire du cyclisme, O.D.I.L., 1975, p. 200.
2 In Le Cyclisme, Pierre Lafitte & Cie, 1912, p. 159.
3 Pierre Chany, La Fabuleuse histoire du cyclisme, op. cit., p. 197.
4 In Les Six-Jours en France, H.S. Sprint International, 1984, p. 6.

Edmond Jacquelin, le flambeur du sprint


C'était en des temps héroïques, quand la France accueillait pour la première fois les championnats du monde sur piste. Parmi les engagés, Edmond Jacquelin, futur vainqueur du tournoi de vitesse. Portrait de celui qui resta longtemps l'idole du public...


Il avait des faux airs avec le Jean Gabin de La Bête humaine - ou, pour être plus exact, le Gabin jeune n'était pas sans parler et sourire comme lui. Le Gabin jeune, dans ses meilleurs moments, tenait Paris à ses pieds, les femmes dans ses bras. Eh bien ! le Jacquelin de 1900 avait également ses grands soirs. Lorsqu'il montait en selle, et surtout quand il se levait de sa selle, subitement farouche et furieux, des vélodromes immenses se figeaient. Puis c'était l'explosion, sa victoire, leurs vivats ! Le dieu aux mèches drues et rebelles se redressait et saluait, tandis que le public scandait son nom. ' Jac-que-lin ! Jac-que-lin ! Jac-que-lin ! ' L'hommage était réel, le brouhaha énorme. Il dura jusqu'en 1904.

Il y a dix façons de raconter Edmond Jacquelin, champion de France de vitesse en 1896, 1900, 1902, champion du monde en 1900. Le premier portrait serait celui du mythe, garçon fantasque et joyeux drille, littéralement adoré des spectateurs. Qui ne connaissait alors l'aventure de ce fils de boulanger, né en 1875 et célèbre à vingt ans, après son triomphe dans le Grand Prix de vitesse de Milan ? La suite fut digne d'un roman. Dès 1896, outre le titre national, l'idole nouvelle remporta le Grand Prix d'Anvers et le Grand Prix de Vienne, mais aussi le Grand Prix de l'Espérance et le Prix de la Finance, deux courses aux noms faits pour lui. Parce que Edmond Jacquelin, s'il incarnait effectivement l'avenir, était une vedette que l'argent fascinait. Sitôt descendu de machine, il menait le train d'un rentier fastueux qui possédait sa loge à la Comédie Française et tutoyait les acteurs à la mode. Qu'en retenait-il ? Là est toute la question, mais l'étude des Plaideurs de Racine aurait dû l'avertir :
  Ma foi ! sur l'avenir bien fou qui se fiera :
  Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera.

À la vérité, ce fort des Halles n'écoutait que d'une oreille. Le lion qu'il était sur la piste devenait cigale à la ville... Selon Pierre Chany, lequel s'appuie sur des journaux d'époque, il pouvait régaler des salles complètes dans les plus chics restaurants parisiens : ' Du champagne pour tous ces gens, je vous prie. '1 On imagine le geste, le ton, le rictus fat et gourmand : du théâtre à coup sûr, mais joué pour le boulevard ! Néanmoins, il payait, au sens propre comme au figuré. C'était le temps doré du sprint... Pour le Grand Prix de Paris, le président de la République se déplaçait en personne, et la victoire pesait 15.000 francs or. Une for-tune ! Une aubaine si l'on songe aux 3.000 francs or que rapporterait, en 1903, la première place du Tour de France...

Edmond Jacquelin vécut donc l'existence d'un sportif riche et populaire, partout surnommé ' Pioupiou ', l'équivalent moderne d'un ' Gavroche ' qui aurait grandi. Ses succès mis à part, chacun l'aimait pour sa virilité joviale, son côté crâne, ses exubérances, ses réparties. Sur ce plan, l'homme ressemblait au coureur : spontané, tumultueux. Doté d'une force exceptionnelle dans les cuisses, il sidérait par la puissance de son démarrage, sans exemple en Europe. Or, luttaient contre lui Bourillon, Barden, Arend, Meyers, Buttler, Taylor, Morin, Dupré, Poulain, Friol et l'inoubliable Thorvald Ellegaard, six fois champion du monde ! C'est dire quel athlète supérieur était Jacquelin. D'ailleurs, avant de régner en vitesse, il avait démontré des dispositions pour le fond, terminant deuxième, derrière Constant Huret, du championnat de France des 100 km en 1894. Son goût immodéré du défi l'orienta vers le sprint.

L'a-t-on bien compris ? Jacquelin voulait flamber, quitte à se brûler rapidement. Après l'avoir beaucoup apprécié, Ludovic Morin, le cador breton, triple lauréat du Grand Prix de Paris, refusa tout commerce avec lui, au motif qu'il avait été salement ' balancé '. C'était le 25 octobre 1896, dans un vélodrome de la Seine archi-comble - ' la foule était si compacte qu'il avait fallu fermer les portes du vélodrome avant que le match commençât ', témoigna Marcel Viollette2. Morin, éblouissant, conserva un quart de roue d'avance dans la première manche, malgré une embardée de son rival. Dans la seconde, accroché et envoyé au sol, il se retira définitivement, persuadé d'être la victime d'un acte volontaire... Vrai ? Faux ? Le sûr est qu'Edmond Jacquelin, bientôt champion du monde à Paris - le sommet de sa carrière ; il y dominerait le Néerlandais Meyers en finale -, le sûr est que le Français passait du pire au meilleur, du meilleur au pire... Ainsi se rappelle-t-on qu'au terme d'un duel historique, le 16 mai 1901, sur l'ovale du Parc des Princes où se pressaient des journalistes du monde entier, il adressa de détestables pieds de nez au sprinter Major Taylor, celui-ci battu en deux manches. ' Je n'aurais pas dû, je le sais ', s'excusa-t-il une fois dégrisé3. Le prodige noir, qui était d'une autre trempe, pardonna. Puis, dix jours plus tard, il le corrigea à son tour en deux manches. Bon bougre, Jacquelin admit cette défaite. On le revit dans l'heure suivante, proposant du champagne au vainqueur.

Edmond Jacquelin manquait de nuances ; il ne manquait pas d'orgueil. Quand ses passions eurent dilapidé sa fortune, puis quand le temps eut raison de ses forces, il accepta de courir le cachet, riant de ses mauvais comptes. À trente-neuf ans, il s'alignait encore dans les Six-Jours de Paris 1914, massé à la va-vite et chauffant sa gamelle lui-même. Mais sur la piste, un lion, toujours ! Roger Bastide écrit4 que, le troisième soir, il brava sans relâche l'Australien Goullet, favori de la presse. Il attaqua jusqu'à l'aube. Puis, éreinté, il abandonna la ronde.

Il avait dansé une dernière fois.

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.


Jacquelin en bref

* Né en 1875 à Santenay. Décédé le 29 juin 1928 à Paris.
* Se révèle à 19 ans, avec une deuxième place au champ. de France des 100 km disputé sur le vélodrome de la Seine. Après sa carrière, il monta une petite école de la piste.
* Principales victoires : Champ. du monde 1900 ; champ. de France 1896, 1900, 1902 ; Grand Prix de Milan 1895, Anvers 1896 et 1901, Vienne 1896, Turin 1898, Berlin 1899, Paris 1900, Allemagne 1900, France 1904.


1 In La Fabuleuse histoire du cyclisme, O.D.I.L., 1975, p. 200.
2 In Le Cyclisme, Pierre Lafitte & Cie, 1912, p. 159.
3 Pierre Chany, La Fabuleuse histoire du cyclisme, op. cit., p. 197.
4 In Les Six-Jours en France, H.S. Sprint International, 1984, p. 6.