UNCP UNCP
L'UNCP est le syndicat professionnel des coureurs cyclistes français.
Syndicat de service et de dialogue constructif.
Créé il y a plus de 60 ans, il a pour vocation la représentation des coureurs et la défense de leurs intérêts collectifs et individuels.
contact@uncp.net . Comité Directeur . UNCP 161 Chemin du Buisson – 38110 DOLOMIEU
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Cyrille Guimard, l'homme qui multipliait les vies


Sa pointe de vitesse, son intelligence et son courage firent de lui un prodige à l'entrée des années soixante-dix. Puis il devint, pour vingt ans, le meilleur directeur sportif français. Portrait de Cyrille Guimard, de retour aujourd'hui dans le peloton.

 

Combien de vies aura-t-il vécu ? Quatre ? Cinq ? Six ? La facilité serait de croire que Cyrille Guimard en vécut deux, la première comme coureur, de 1968 à 1976, la seconde sous les traits du directeur sportif qu'il fut de 1976 à 1997, au début de l'équipe COFIDIS. Effectivement, il courut, et même plutôt bien puisqu'il donna, quelquefois, des sueurs froides au fabuleux Eddy Merckx. Il faut dire que le Français, né en 1947 dans le pays nantais, avait reçu tous les dons. Naturellement rapide, il s'adjugea le championnat de France de vitesse en 1970 et les Six-Jours de Grenoble en 1972, sa meilleure saison. Habile, il endossa le maillot tricolore du cyclo-cross en janvier 1976, pour sortir du peloton la tête haute. Il manqua d'un rien le titre national sur la route et termina deux fois troisième du championnat du monde. Il prit également la deuxième place du Tour de Lombardie 1972, la deuxième place dans Bordeaux-Paris en 1973 et la quatrième dans le championnat du monde de cyclo-cross, le 25 janvier 1976. Une heure plus tard, douché, heureux, impatient, il commençait sa formidable carrière de directeur sportif.

Combien de vies, alors ? À tout le moins, il y en eut trois, car on ne saurait expliquer Cyrille Guimard sans rappeler qu'il a grandi sans le sou, cadet d'une famille de six enfants où son maçon de père régnait à force de taloches. De cette ambiance désenchantée, Hugo et Zola ont tiré les histoires que l'on sait. Le gosse, lui, tira un vélo d'occasion - machine merveilleuse dont on ne répète jamais assez qu'elle reste le principal véhicule du pauvre... Et comme il était manifestement doué, le Nantais sentit que le cyclisme serait pour lui une planche de salut. N'avait-il pas remporté, à seize ans, vingt-cinq des trente épreuves qu'il avait disputées en cadet ? Et ne décrocherait-il pas, en 1967, lors de sa dernière année chez les amateurs, quarante victoires, sans compter le classement par points du Tour de l'Avenir ? En France, on n'avait pas vu un tel prodige depuis Jacques Anquetil !

Cyrille Guimard passa professionnel chez Mercier-BP, au temps où Antonin Magne tenait les commandes, et Poulidor la vedette. S'il avait rêvé de parrains, il n'eût pas choisi mieux : sagesse et vertu résumaient la maison. Pourtant, il se jeta dans la bataille sans retenue, raflant immédiatement des succès, mais courant beaucoup trop. En 1971, après une saison exceptionnelle marquée par de prestigieux accessits (troisième du Tour des Flandres, du championnat de France et du championnat du monde) et des prouesses dans un Tour de France achevé en septième position, il montra d'inquiétantes faiblesses. Il persévéra néanmoins, et toucha les sommets au mois de juillet suivant, quand le maillot jaune, conquis à Saint-Brieuc, lui arracha d'intarissables larmes. Parce qu'il y avait chez Guimard cette dimension essentielle : il aimait passionnément le cyclisme. Il lui savait gré d'avoir trouvé un destin... Hélas, ses genoux, fragilisés par la répétition des efforts, n'étaient pas à la hauteur de ses ambitions. À quarante-huit heures de l'arrivée finale, l'homme qui venait de battre deux fois Eddy Merckx en montagne dut abandonner. Ce fut un instant pathétique, digne de la fourche brisée d'Eugène Christophe.

Ces genoux récalcitrants, Cyrille Guimard ne cesserait plus d'en souffrir. Il prit donc la décision de raccrocher à vingt-neuf ans, sans avoir utilisé l'intégralité de son potentiel athlétique et tactique. Car la presse en témoignait volontiers : le Nantais voyait juste ! En course, un renard comme l'avait été avant lui Jean Stablinski, mais avec une réflexion et une curiosité supplémentaires, qui l'apparentaient au fameux Paul Ruinart... Preuve de cette intelligence, il avait repéré un pur-sang aux muscles d'haltérophile, le prévenant, dès septembre 1975 : ' C'est moi qui dirigerai l'équipe Gitane, l'année prochaine. Je tiens à te garder ! '1. Face à lui, Bernard Hinault, jeune encore, les joues pleines et le menton provocant. Il en ferait un génie de son sport.
Mais que n'a-t-il fait ? Par-delà les triomphes multiples du natif d'Yffiniac, la chronique admira qu'il ait débuté par un coup de maître, habillant Lucien Van Impe du maillot jaune, en 1976, alors que l'intéressé n'y croyait pas. D'où une manœuvre de longue main, qui désarma Thévenet, Poulidor, Delisle puis le Néerlandais Zoetemelk. En coulisse, cependant, Guimard ne cachait pas que l'affaire avait été rude, les frasques insupportables du grimpeur belge l'obligeant à toutes sortes de menaces, y compris la mise à pied illico, maillot jaune ou non !

Tel serait Cyrille Guimard directeur sportif : un stratège supérieur et un chef à poigne qui révélerait Jean-René Bernaudeau, Greg LeMond, Laurent Fignon, Marc Madiot, Charly Mottet, Thierry Marie, Jacky Durand, Luc Leblanc. Pour sa légende, on eût préféré qu'il s'en tînt là ; c'était méconnaître la soif d'un homme surmédiatisé, qui, à l'époque dont on parle, se voulait aussi gros qu'un aventurier du nom de Tapie. La Fontaine a conté la suite : ' Une grenouille vit un bœuf / Qui lui sembla de belle taille... ' La morale fut que Cyrille Guimard engloutit beaucoup d'argent dans des investissements privés. Fin 1997, pour s'éviter un scandale, le milieu cycliste le pria de prendre du recul. Il avait 50 ans.

Sa traversée du désert dura dix années. Un autre s'y serait perdu. Lui garda l'idée qu'il devait essayer plusieurs vies. Aussi revint-il, pareil au colonel Chabert. ' Quelle destinée ! ' Le mot se lit chez Balzac, à l'avant-dernière page du roman éponyme.

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.



Cyrille Guimard en bref

* Né le 20 janvier 1947 à Bouguenais (44).
* Professionnel en 1968, il court pour Mercier (1968 à 1973), Flandria (1974 et 1975) et Gitane (Janvier 1976) dont il prend la direction sportive.
* 94 victoires pros dont : Gènes-Nice 1968, 1969 ; Tour de l'Oise 1972 ; Midi-Libre 1972 ; Paris-Bourges 1972 ;  G.P. de Plouay 1975 ; + 2 étapes du Tours d'Espagne et 7 étapes du Tour de France. Lauréat de la Promotion Pernod 1969 et du Prestige Pernod 1971.



1 C. Guimard, Un Vélo dans la tête, Solar, 1980, p. 93.

Cyrille Guimard, l'homme qui multipliait les vies


Sa pointe de vitesse, son intelligence et son courage firent de lui un prodige à l'entrée des années soixante-dix. Puis il devint, pour vingt ans, le meilleur directeur sportif français. Portrait de Cyrille Guimard, de retour aujourd'hui dans le peloton.

 

Combien de vies aura-t-il vécu ? Quatre ? Cinq ? Six ? La facilité serait de croire que Cyrille Guimard en vécut deux, la première comme coureur, de 1968 à 1976, la seconde sous les traits du directeur sportif qu'il fut de 1976 à 1997, au début de l'équipe COFIDIS. Effectivement, il courut, et même plutôt bien puisqu'il donna, quelquefois, des sueurs froides au fabuleux Eddy Merckx. Il faut dire que le Français, né en 1947 dans le pays nantais, avait reçu tous les dons. Naturellement rapide, il s'adjugea le championnat de France de vitesse en 1970 et les Six-Jours de Grenoble en 1972, sa meilleure saison. Habile, il endossa le maillot tricolore du cyclo-cross en janvier 1976, pour sortir du peloton la tête haute. Il manqua d'un rien le titre national sur la route et termina deux fois troisième du championnat du monde. Il prit également la deuxième place du Tour de Lombardie 1972, la deuxième place dans Bordeaux-Paris en 1973 et la quatrième dans le championnat du monde de cyclo-cross, le 25 janvier 1976. Une heure plus tard, douché, heureux, impatient, il commençait sa formidable carrière de directeur sportif.

Combien de vies, alors ? À tout le moins, il y en eut trois, car on ne saurait expliquer Cyrille Guimard sans rappeler qu'il a grandi sans le sou, cadet d'une famille de six enfants où son maçon de père régnait à force de taloches. De cette ambiance désenchantée, Hugo et Zola ont tiré les histoires que l'on sait. Le gosse, lui, tira un vélo d'occasion - machine merveilleuse dont on ne répète jamais assez qu'elle reste le principal véhicule du pauvre... Et comme il était manifestement doué, le Nantais sentit que le cyclisme serait pour lui une planche de salut. N'avait-il pas remporté, à seize ans, vingt-cinq des trente épreuves qu'il avait disputées en cadet ? Et ne décrocherait-il pas, en 1967, lors de sa dernière année chez les amateurs, quarante victoires, sans compter le classement par points du Tour de l'Avenir ? En France, on n'avait pas vu un tel prodige depuis Jacques Anquetil !

Cyrille Guimard passa professionnel chez Mercier-BP, au temps où Antonin Magne tenait les commandes, et Poulidor la vedette. S'il avait rêvé de parrains, il n'eût pas choisi mieux : sagesse et vertu résumaient la maison. Pourtant, il se jeta dans la bataille sans retenue, raflant immédiatement des succès, mais courant beaucoup trop. En 1971, après une saison exceptionnelle marquée par de prestigieux accessits (troisième du Tour des Flandres, du championnat de France et du championnat du monde) et des prouesses dans un Tour de France achevé en septième position, il montra d'inquiétantes faiblesses. Il persévéra néanmoins, et toucha les sommets au mois de juillet suivant, quand le maillot jaune, conquis à Saint-Brieuc, lui arracha d'intarissables larmes. Parce qu'il y avait chez Guimard cette dimension essentielle : il aimait passionnément le cyclisme. Il lui savait gré d'avoir trouvé un destin... Hélas, ses genoux, fragilisés par la répétition des efforts, n'étaient pas à la hauteur de ses ambitions. À quarante-huit heures de l'arrivée finale, l'homme qui venait de battre deux fois Eddy Merckx en montagne dut abandonner. Ce fut un instant pathétique, digne de la fourche brisée d'Eugène Christophe.

Ces genoux récalcitrants, Cyrille Guimard ne cesserait plus d'en souffrir. Il prit donc la décision de raccrocher à vingt-neuf ans, sans avoir utilisé l'intégralité de son potentiel athlétique et tactique. Car la presse en témoignait volontiers : le Nantais voyait juste ! En course, un renard comme l'avait été avant lui Jean Stablinski, mais avec une réflexion et une curiosité supplémentaires, qui l'apparentaient au fameux Paul Ruinart... Preuve de cette intelligence, il avait repéré un pur-sang aux muscles d'haltérophile, le prévenant, dès septembre 1975 : ' C'est moi qui dirigerai l'équipe Gitane, l'année prochaine. Je tiens à te garder ! '1. Face à lui, Bernard Hinault, jeune encore, les joues pleines et le menton provocant. Il en ferait un génie de son sport.
Mais que n'a-t-il fait ? Par-delà les triomphes multiples du natif d'Yffiniac, la chronique admira qu'il ait débuté par un coup de maître, habillant Lucien Van Impe du maillot jaune, en 1976, alors que l'intéressé n'y croyait pas. D'où une manœuvre de longue main, qui désarma Thévenet, Poulidor, Delisle puis le Néerlandais Zoetemelk. En coulisse, cependant, Guimard ne cachait pas que l'affaire avait été rude, les frasques insupportables du grimpeur belge l'obligeant à toutes sortes de menaces, y compris la mise à pied illico, maillot jaune ou non !

Tel serait Cyrille Guimard directeur sportif : un stratège supérieur et un chef à poigne qui révélerait Jean-René Bernaudeau, Greg LeMond, Laurent Fignon, Marc Madiot, Charly Mottet, Thierry Marie, Jacky Durand, Luc Leblanc. Pour sa légende, on eût préféré qu'il s'en tînt là ; c'était méconnaître la soif d'un homme surmédiatisé, qui, à l'époque dont on parle, se voulait aussi gros qu'un aventurier du nom de Tapie. La Fontaine a conté la suite : ' Une grenouille vit un bœuf / Qui lui sembla de belle taille... ' La morale fut que Cyrille Guimard engloutit beaucoup d'argent dans des investissements privés. Fin 1997, pour s'éviter un scandale, le milieu cycliste le pria de prendre du recul. Il avait 50 ans.

Sa traversée du désert dura dix années. Un autre s'y serait perdu. Lui garda l'idée qu'il devait essayer plusieurs vies. Aussi revint-il, pareil au colonel Chabert. ' Quelle destinée ! ' Le mot se lit chez Balzac, à l'avant-dernière page du roman éponyme.

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.



Cyrille Guimard en bref

* Né le 20 janvier 1947 à Bouguenais (44).
* Professionnel en 1968, il court pour Mercier (1968 à 1973), Flandria (1974 et 1975) et Gitane (Janvier 1976) dont il prend la direction sportive.
* 94 victoires pros dont : Gènes-Nice 1968, 1969 ; Tour de l'Oise 1972 ; Midi-Libre 1972 ; Paris-Bourges 1972 ;  G.P. de Plouay 1975 ; + 2 étapes du Tours d'Espagne et 7 étapes du Tour de France. Lauréat de la Promotion Pernod 1969 et du Prestige Pernod 1971.



1 C. Guimard, Un Vélo dans la tête, Solar, 1980, p. 93.