UNCP UNCP
L'UNCP est le syndicat professionnel des coureurs cyclistes français.
Syndicat de service et de dialogue constructif.
Créé il y a plus de 60 ans, il a pour vocation la représentation des coureurs et la défense de leurs intérêts collectifs et individuels.
contact@uncp.net . Comité Directeur . UNCP 161 Chemin du Buisson – 38110 DOLOMIEU
  • Route Pro Championnats de France Cassel 2023 - Photo Bruno Bade
  • Route Pro Photo Bruno Bade
  • Route d’Occitanie 2020 Photo Bruno Bade
  • Tro Bro Leon 2019 Photo Bruno Bade
  • Paris Camembert 2020 Photo Bruno Bade
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Robert Grassin, prodigue et prodige

Incontestablement doué pour le cyclisme, il aurait pu briller sur la route. Mais il choisit la piste où sa popularité fut considérable. Portrait de « Toto » Grassin, le plus spectaculaire stayer révélé sur le bois clair du Vel d’Hiv de Grenelle...

Pierre Chany, qui l’aimait beaucoup, jeta sur lui ces mots sibyllins : « D’un esprit aventureux, il séjourna en Afrique après sa retraite, puis dirigea une hôtellerie à Poigny-la-Forêt, près de Rambouillet »[1]. Plus juste, mais plus rude, eût été d’écrire que Robert Grassin, né au Mans le 17 septembre 1898, n’en fit jamais qu’à sa tête, qui était celle d’un Jacquelin, bon type, gouailleur, crâne et d’une insouciance prodigue ! Si bien que d’aventure en aventure, l’intéressé, revenu sans le sou, acheva sa vie active sur les boulevards, vendant des cravates à ceux qui ne savaient point… Car qui aurait imaginé que ce petit homme de cent soixante-deux centimètres, pesant quarante-cinq kilos au temps de sa gloire, avait été une célébrissime vedette de la piste ! C’est simple : dans sa spécialité, le demi-fond, il fut champion d’hiver à dix reprises, ce qui paraissait impensable entre les deux guerres. Il fut également sacré champion de France le 1er juin 1924 et champion du monde en 1925, devant le Néerlandais Snoek et son compatriote Georges Sérès. On devine l’embarras des officiels : le maillot irisé lui tombait aux genoux ! Mais le public applaudissait à tout rompre, conquis par ce lutin démoniaque surnommé « Toto ». « Toto », oui, ou encore « le roi du plancher », parce qu’il excellait sur les anneaux en bois, dans le sillage de l’expérimenté Léon Didier, un ancien stayer devenu entraîneur. Bref ! un as, qui multipliait les tours d’honneur et goûtait d’interminables vivats. « Il emballait littéralement la foule du Vel d’Hiv à chacune de ses apparitions. C’était un coureur de demi-fond particulièrement spectaculaire », peut-on lire à son propos dans Le Dictionnaire des coureurs[2]. De fait, des photographies le montrent en action : clichés incroyables d’un coursier semblant pousser le motocycliste debout devant lui, comme s’il fallait ouvrir davantage les gaz ! Cela, bien sûr, dans la pétarade ininterrompue des moteurs, dans les refrains de l’orchestre et le chant des tribunes. Admirés sans réserve, c’étaient eux, les magiciens de la piste, mi-gladiateurs, mi-funambules, qui assuraient la recette. En haut de l’affiche, « le roi du plancher » recevait des fortunes…
            Pourtant, Dieu sait s’il avait rêvé d’une autre carrière… Il y songeait quelquefois, arguant de ses débuts sur la route. Et quels débuts ! Paris-Tours et Paris-Fontainebleau en 1920, Paris-Évreux, Paris-Rouen, le Critérium des Aiglons, le championnat de France amateur — une édition incongrue disputée avec entraîneur — et le challenge de l’U.V.F. la saison suivante ! Forcément, son passage chez les professionnels était très attendu, et il confirma dès 1922 par d’encourageantes performances, dont une deuxième place dans Paris-Tarbes-Paris, une sixième place dans le championnat de France et une quatorzième dans un Paris-Roubaix dominé par Dejonghe. Par une pente assez naturelle, il se rendit au Tour de France nanti du dossard numéro 4, dans la catégorie des coureurs de première classe. Desgrange ne cachait pas qu’il avait l’œil sur lui, tellement prometteur… Mais l’étape d’ouverture, Paris-Le Havre, longue de 388 kilomètres, le laissa sur le flanc, loin derrière Robert Jacquinot, le vainqueur. Quant à la seconde… Un instantané, publié dans La Fabuleuse histoire du Tour de France[3], la résume tout entière : on y voit Robert Grassin roulant sur une bicyclette d’emprunt, tenant son guidon d’une main et, de l’autre, portant son vélo réglementaire après un bris de fourche. Trois cents bornes clopin-clopant, pour illustrer avant l’heure le martyre des « forçats de la route ».             Écœuré, le Parisien renonça à courir la troisième étape.
            Son destin le guettait au Vel d’Hiv. C’était le 29 octobre 1922, à l’occasion du Prix Paul Bor. En quête de sang neuf pour succéder aux vétérans Sérès et Linart, l’organisateur Bob Desmaret eut l’idée d’atteler la jeunesse de Grassin au métier de Didier. Un pari, en somme, que le néophyte releva avec fougue. « Il fit vibrer le vélodrome par ses démarrages et ses attaques. Et s’il fut battu par Wynsdau, il n’en gagna pas moins la partie. Une association légendaire était née », devait expliquer le prestigieux Albert Baker d’Isy, témoin de la scène[4]. Plus légendaire encore deviendrait sa casaque bleue étoilée, que le stayer enfila au retour d’une fantastique tournée américaine. François Terbeen en a dressé l’historique : une année de contrat signée avec Joë Chapman, l’embarquement à Cherbourg, en décembre 1925, un mal de mer épouvantable. « En vue de la statue de la Liberté, poursuivit-il, le champion du monde fait grise mine. Il a été précédé d’une telle publicité que les cinéastes, journalistes et reporters photographes s’attendent à voir arriver une sorte d’Hercule. Ils envahissent le paquebot, à la recherche du Frenchman. Ils parviennent à le découvrir, recroquevillé, vomissant et verdâtre sur un paquet de cordages. »[5] Le malentendu, toutefois, serait prestement levé puisque Robert Grassin remporta sa première épreuve « made in U.S.A. »[6]. Puis il continua sur sa lancée, aussi implacable à Chicago qu’à New York. Ce fut au cours de cette odyssée qu’un grand chef indien lui remit en cadeau un fanion de soie bleue et blanche étoilée. Pratique, le Parisien l’adopta comme fétiche et drapeau.
            La suite va sans dire : une gloire inconditionnelle qui durerait jusqu’à sa retraite, en 1933, faisant oublier huit années d’échecs consécutifs sur le ciment des championnats du monde. Mais, sitôt qu’il retrouvait le ventre chaud des pistes en bois, cet inépuisable danseur prenait sa revanche. Qui sut jamais combien de fois il avait triomphé, à Grenelle, à Bruxelles, à Hanovre et en Amérique ? Son muet sourire le demandait, tandis qu’il brocantait des cravates, dans le Paris de 1968.
 
 
Christophe Penot
 
 
Grassin en bref
 

  • Né le 17 septembre 1898 au Mans. Décédé le 26 juin 1980 à Gien.
  • Professionnel de 1922 à 1933.
  • Principales victoires en demi-fond : Championnat du monde en 1925 ; championnat de France en 1924 ; championnat d’Amérique 1927 ; G.P. de l’UCI en 1927, 1928, 1929, 1930, 1932, 1933.

[1] Pierre Chany, La Fabuleuse histoire du cyclisme, ODIL, 1975, p. 847.
[2] La Maison du Sport, 1988, p. 952.
[3] Pierre Chany, La Fabuleuse histoire du Tour de France, ODIL, 1983, p. 178.
[4] In La Fabuleuse histoire du cyclisme, op. cit., p. 365.
[5] François Terbeen, Dans la roue des champions, PAC, 1978, p. 5.
[6]Ibid., p. 6.

Robert Grassin, prodigue et prodige

Incontestablement doué pour le cyclisme, il aurait pu briller sur la route. Mais il choisit la piste où sa popularité fut considérable. Portrait de « Toto » Grassin, le plus spectaculaire stayer révélé sur le bois clair du Vel d’Hiv de Grenelle...

Pierre Chany, qui l’aimait beaucoup, jeta sur lui ces mots sibyllins : « D’un esprit aventureux, il séjourna en Afrique après sa retraite, puis dirigea une hôtellerie à Poigny-la-Forêt, près de Rambouillet »[1]. Plus juste, mais plus rude, eût été d’écrire que Robert Grassin, né au Mans le 17 septembre 1898, n’en fit jamais qu’à sa tête, qui était celle d’un Jacquelin, bon type, gouailleur, crâne et d’une insouciance prodigue ! Si bien que d’aventure en aventure, l’intéressé, revenu sans le sou, acheva sa vie active sur les boulevards, vendant des cravates à ceux qui ne savaient point… Car qui aurait imaginé que ce petit homme de cent soixante-deux centimètres, pesant quarante-cinq kilos au temps de sa gloire, avait été une célébrissime vedette de la piste ! C’est simple : dans sa spécialité, le demi-fond, il fut champion d’hiver à dix reprises, ce qui paraissait impensable entre les deux guerres. Il fut également sacré champion de France le 1er juin 1924 et champion du monde en 1925, devant le Néerlandais Snoek et son compatriote Georges Sérès. On devine l’embarras des officiels : le maillot irisé lui tombait aux genoux ! Mais le public applaudissait à tout rompre, conquis par ce lutin démoniaque surnommé « Toto ». « Toto », oui, ou encore « le roi du plancher », parce qu’il excellait sur les anneaux en bois, dans le sillage de l’expérimenté Léon Didier, un ancien stayer devenu entraîneur. Bref ! un as, qui multipliait les tours d’honneur et goûtait d’interminables vivats. « Il emballait littéralement la foule du Vel d’Hiv à chacune de ses apparitions. C’était un coureur de demi-fond particulièrement spectaculaire », peut-on lire à son propos dans Le Dictionnaire des coureurs[2]. De fait, des photographies le montrent en action : clichés incroyables d’un coursier semblant pousser le motocycliste debout devant lui, comme s’il fallait ouvrir davantage les gaz ! Cela, bien sûr, dans la pétarade ininterrompue des moteurs, dans les refrains de l’orchestre et le chant des tribunes. Admirés sans réserve, c’étaient eux, les magiciens de la piste, mi-gladiateurs, mi-funambules, qui assuraient la recette. En haut de l’affiche, « le roi du plancher » recevait des fortunes…
            Pourtant, Dieu sait s’il avait rêvé d’une autre carrière… Il y songeait quelquefois, arguant de ses débuts sur la route. Et quels débuts ! Paris-Tours et Paris-Fontainebleau en 1920, Paris-Évreux, Paris-Rouen, le Critérium des Aiglons, le championnat de France amateur — une édition incongrue disputée avec entraîneur — et le challenge de l’U.V.F. la saison suivante ! Forcément, son passage chez les professionnels était très attendu, et il confirma dès 1922 par d’encourageantes performances, dont une deuxième place dans Paris-Tarbes-Paris, une sixième place dans le championnat de France et une quatorzième dans un Paris-Roubaix dominé par Dejonghe. Par une pente assez naturelle, il se rendit au Tour de France nanti du dossard numéro 4, dans la catégorie des coureurs de première classe. Desgrange ne cachait pas qu’il avait l’œil sur lui, tellement prometteur… Mais l’étape d’ouverture, Paris-Le Havre, longue de 388 kilomètres, le laissa sur le flanc, loin derrière Robert Jacquinot, le vainqueur. Quant à la seconde… Un instantané, publié dans La Fabuleuse histoire du Tour de France[3], la résume tout entière : on y voit Robert Grassin roulant sur une bicyclette d’emprunt, tenant son guidon d’une main et, de l’autre, portant son vélo réglementaire après un bris de fourche. Trois cents bornes clopin-clopant, pour illustrer avant l’heure le martyre des « forçats de la route ».             Écœuré, le Parisien renonça à courir la troisième étape.
            Son destin le guettait au Vel d’Hiv. C’était le 29 octobre 1922, à l’occasion du Prix Paul Bor. En quête de sang neuf pour succéder aux vétérans Sérès et Linart, l’organisateur Bob Desmaret eut l’idée d’atteler la jeunesse de Grassin au métier de Didier. Un pari, en somme, que le néophyte releva avec fougue. « Il fit vibrer le vélodrome par ses démarrages et ses attaques. Et s’il fut battu par Wynsdau, il n’en gagna pas moins la partie. Une association légendaire était née », devait expliquer le prestigieux Albert Baker d’Isy, témoin de la scène[4]. Plus légendaire encore deviendrait sa casaque bleue étoilée, que le stayer enfila au retour d’une fantastique tournée américaine. François Terbeen en a dressé l’historique : une année de contrat signée avec Joë Chapman, l’embarquement à Cherbourg, en décembre 1925, un mal de mer épouvantable. « En vue de la statue de la Liberté, poursuivit-il, le champion du monde fait grise mine. Il a été précédé d’une telle publicité que les cinéastes, journalistes et reporters photographes s’attendent à voir arriver une sorte d’Hercule. Ils envahissent le paquebot, à la recherche du Frenchman. Ils parviennent à le découvrir, recroquevillé, vomissant et verdâtre sur un paquet de cordages. »[5] Le malentendu, toutefois, serait prestement levé puisque Robert Grassin remporta sa première épreuve « made in U.S.A. »[6]. Puis il continua sur sa lancée, aussi implacable à Chicago qu’à New York. Ce fut au cours de cette odyssée qu’un grand chef indien lui remit en cadeau un fanion de soie bleue et blanche étoilée. Pratique, le Parisien l’adopta comme fétiche et drapeau.
            La suite va sans dire : une gloire inconditionnelle qui durerait jusqu’à sa retraite, en 1933, faisant oublier huit années d’échecs consécutifs sur le ciment des championnats du monde. Mais, sitôt qu’il retrouvait le ventre chaud des pistes en bois, cet inépuisable danseur prenait sa revanche. Qui sut jamais combien de fois il avait triomphé, à Grenelle, à Bruxelles, à Hanovre et en Amérique ? Son muet sourire le demandait, tandis qu’il brocantait des cravates, dans le Paris de 1968.
 
 
Christophe Penot
 
 
Grassin en bref
 

  • Né le 17 septembre 1898 au Mans. Décédé le 26 juin 1980 à Gien.
  • Professionnel de 1922 à 1933.
  • Principales victoires en demi-fond : Championnat du monde en 1925 ; championnat de France en 1924 ; championnat d’Amérique 1927 ; G.P. de l’UCI en 1927, 1928, 1929, 1930, 1932, 1933.

[1] Pierre Chany, La Fabuleuse histoire du cyclisme, ODIL, 1975, p. 847.
[2] La Maison du Sport, 1988, p. 952.
[3] Pierre Chany, La Fabuleuse histoire du Tour de France, ODIL, 1983, p. 178.
[4] In La Fabuleuse histoire du cyclisme, op. cit., p. 365.
[5] François Terbeen, Dans la roue des champions, PAC, 1978, p. 5.
[6]Ibid., p. 6.