UNCP UNCP
L'UNCP est le syndicat professionnel des coureurs cyclistes français.
Syndicat de service et de dialogue constructif.
Créé il y a plus de 60 ans, il a pour vocation la représentation des coureurs et la défense de leurs intérêts collectifs et individuels.
contact@uncp.net . Comité Directeur . UNCP 161 Chemin du Buisson – 38110 DOLOMIEU
  • Route Pro Championnats de France Cassel 2023 - Photo Bruno Bade
  • Route Pro Photo Bruno Bade
  • Route d’Occitanie 2020 Photo Bruno Bade
  • Tro Bro Leon 2019 Photo Bruno Bade
  • Paris Camembert 2020 Photo Bruno Bade
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Marc gomez, le champion, l'honnête homme


Il est entré dans la légende en gagnant un fantastique Milan-San Remo, au terme de 286 kilomètres d'échappée. Ensuite, il a porté le maillot amarillo au Tour d'Espagne et le maillot tricolore des champions de France. Portrait de Marc Gomez, le coureur qui était avant tout un exemple.


C'était un samedi, le 20 mars, en 1982. Nouveau venu dans le cyclisme professionnel, Marc Gomez, sous le maillot Wolber, avait pris le départ du soixante-treizième Milan-San Remo. Il pleuvait -  à la vérité, il faisait un temps de chien ! Un froid très vif, une pluie drue, des grêlons... Tout de suite, un lot d'abandons fut signalé, tandis qu'à l'avant de la course, crevant la grisaille, treize hommes prolongeaient un début d'offensive. Ils s'étaient dégagés au huitième kilomètre, après avoir contré Cesare Cipollini. Continuer ?... Se relever ?... Deux-trois regards, deux-trois relais, une sorte de cohésion les incitèrent à rouler. Lorsque vint son tour d'ouvrir le chemin, Marc Gomez appuya puissamment sur ses pédales. Qu'avait-il à perdre ? Rien... Rien puisqu'il disputait enfin, à vingt-sept ans et demi, sa première classique. Alors, pour attirer la chance, ce routier aux épaisses lunettes relança l'allure en compagnie de Pascal Guyot et d'Alain Bondue, ses compatriotes, du Belge De Vos et de neuf Italiens. ' Je ne pensais pas pouvoir gagner. En revanche, j'avais bien l'intention de ne pas rester anonyme ', expliquerait-il à l'arrivée1.

 Mais cette arrivée, comment l'atteindre ? Comment imaginer un instant que cette échappée folle, qui avait franchi le Turchino avec onze minutes d'avance, pourrait désormais résister à la poussée du peloton ? Car le peloton poussait ! Emmené par un Moser survolté, mais aussi par De Vlaeminck, Prim, Argentin, Contini, Raas, LeMond, Kelly, Vandenbroucke, il ne comptait plus qu'un passif de neuf minutes à Finale Ligure, au kilomètre 210, puis cinq minutes dans le Capo Cervo, quatre à l'entrée d'Imperia, et trois, seulement, à vingt kilomètres du but ! ' Un fléchissement des premiers et nous eussions assisté à un regroupement partiel, au succès de Moser ou de Van Vliet vraissemblablement2 ', commenta Pierre Chany. C'était sans miser sur la fermeté du Breton, et sur sa vista. Dans la descente de la Cipressa, celui-ci porta une franche accélération qui condamna Delle Case et Bortolotto, ses deux derniers accompagnateurs avec Bondue. Puis, dans la périlleuse descente du Poggio, quand le champion du monde de poursuite, trop fébrile, glissa sur le sol, il se projeta aussitôt cinquante mètres devant son rival, négociant les virages avec habileté. On devine la scène : deux silhouettes se pourchassant sous la flamme rouge, après deux cent quatre vingt six kilomètres d'une échappée historique, à 41,584 kilomètres-heure de moyenne ! En tête, un néo-pro inconnu ; derrière, le meilleur poursuiteur du moment ; à deux grosses minutes, Argentin et Moser, les favoris italiens... Théoriquement, Bondue, avantagé par le point de mire, devait effacer son retard. Mais Marc Gomez, magnifique, ne cédait pas ! Chaque coup de pédale tombait droit, comme à la première heure. Les vingt derniers mètres furent les plus beaux de sa vie.

 D'ores et déjà, sa carrière naissante était réussie - une course d'essai, la course d'un maître... Pourtant, Marc Gomez se fixa de nouveaux objectifs, si bien que les observateurs prirent l'habitude d'évoquer ce personnage singulier, né à Rennes en septembre 1954, bachelier, titulaire d'un diplôme d'analyste programmeur en 1977, et capable de gagner deux Tours d'Ille-et-Vilaine chez les amateurs, l'un en 1979, l'autre en 1981. En 1978, soit dit pour mémoire, il avait juré... ou de triompher, ou de se laisser pousser la barde ! Battu, il oublia son rasoir douze mois durant, murissant sa revanche.

 Est-ce cette originalité qui lui valut de ne pas trouver d'emploi chez les pros ? Sont-ce plutôt les propos qu'on mâchait dans son dos ?... Il se murmurait en effet que le Breton, pillier de l'équipe de France amateur, s'imposait ' à l'eau minérale '. Or, le cyclisme de cette époque, marqué par une impitoyable omerta (elle dure toujours), se méfiait des jeunes gens aux mains propres, coupables, selon la terminologie en vigueur, de ' ne pas faire le métier ' ... Marc Gomez dut ronger son frein jusqu'en janvier 1982, date à laquelle un autre Rennais, Marcel de Boishardy, l'enrôla chez Wolber. On connaît la suite : un Milan-San Remo d'anthologie, bientôt complété par une médaille d'or au championnat de France, trois succès d'étapes et un maillot de leader dans le Tour d'Espagne, un Tour de Suède et une dizaine de bouquets supplémentaires glanés en huit saisons professionnelles. Sans doute cette moisson eût-elle été supérieure si le malheureux ne s'était fracturé le col du fémur dans le Tour de France 1983, puis un poignet et le nez en avril 1984. L'énergie qu'il mit à recouvrer son niveau lui coûta des victoires. Et lui coûta également des victoires cette idée qu'il avait de ne pas se doper dans un peloton qui ne partageait ab-so-lu-ment-pas sa philosophie... Jusqu'au jour où, lors d'un banal critérium, il avala une pastille d'amphétamine,  la seule de sa vie. Quand il en parle quelquefois, de cette voix posée qui ne l'a jamais quitté, c'est pour confier généreusement  - devant des jeunes, chez les Amis du vélo - l'immense dégoût que lui inspire cette parenthèse.

' Je voudrais laisser un nom ', avait-il déclaré en 19833. Pour solde de tous comptes, il faut écrire que Marc Gomez laissa beaucoup plus : la preuve qu'on pouvait, dans les années quatre-vingt, décrocher une classique, un titre et un Tour national sans renier l'idéal du sport.

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.



Gomez en bref

* Né le 10 septembre 1954 à Rennes.
* Après une belle carrière amateur marquée par une soixantaine de victoires, il passe professionnel chez Wolbert (1982 et 1983), La Vie Claire (1984 et 1985), Reynolds (1986 et 1987), Fagor (1988), Reynolds (1989).
* Principales victoires : Milan-San Remo 1982, prologue du Tour d'Espagne 1982, Championnat de France 1983, Tour de Suède 1985, 1ere et 20e étape du Tour d'Espagne 1986, Prix de Zamora 1987. Lauréat de la Promotion Pernod en 1982.
* Principales places d'honneur : 4e de Bordeaux-Paris 1982,  5e du Tour de l'Aude 1983, 5e du Tour de Bretagne 1985, 4e du Tour d'Armorique 1986, 3e du Tour du Limousin 1987.


1 Pierre Chany, L'Année du cyclisme, Calmann-Lévy, 1982, p. 58.
2 Ibid, p. 55.
3 L'Equipe Magazine, 19.03.1983.

Marc gomez, le champion, l'honnête homme


Il est entré dans la légende en gagnant un fantastique Milan-San Remo, au terme de 286 kilomètres d'échappée. Ensuite, il a porté le maillot amarillo au Tour d'Espagne et le maillot tricolore des champions de France. Portrait de Marc Gomez, le coureur qui était avant tout un exemple.


C'était un samedi, le 20 mars, en 1982. Nouveau venu dans le cyclisme professionnel, Marc Gomez, sous le maillot Wolber, avait pris le départ du soixante-treizième Milan-San Remo. Il pleuvait -  à la vérité, il faisait un temps de chien ! Un froid très vif, une pluie drue, des grêlons... Tout de suite, un lot d'abandons fut signalé, tandis qu'à l'avant de la course, crevant la grisaille, treize hommes prolongeaient un début d'offensive. Ils s'étaient dégagés au huitième kilomètre, après avoir contré Cesare Cipollini. Continuer ?... Se relever ?... Deux-trois regards, deux-trois relais, une sorte de cohésion les incitèrent à rouler. Lorsque vint son tour d'ouvrir le chemin, Marc Gomez appuya puissamment sur ses pédales. Qu'avait-il à perdre ? Rien... Rien puisqu'il disputait enfin, à vingt-sept ans et demi, sa première classique. Alors, pour attirer la chance, ce routier aux épaisses lunettes relança l'allure en compagnie de Pascal Guyot et d'Alain Bondue, ses compatriotes, du Belge De Vos et de neuf Italiens. ' Je ne pensais pas pouvoir gagner. En revanche, j'avais bien l'intention de ne pas rester anonyme ', expliquerait-il à l'arrivée1.

 Mais cette arrivée, comment l'atteindre ? Comment imaginer un instant que cette échappée folle, qui avait franchi le Turchino avec onze minutes d'avance, pourrait désormais résister à la poussée du peloton ? Car le peloton poussait ! Emmené par un Moser survolté, mais aussi par De Vlaeminck, Prim, Argentin, Contini, Raas, LeMond, Kelly, Vandenbroucke, il ne comptait plus qu'un passif de neuf minutes à Finale Ligure, au kilomètre 210, puis cinq minutes dans le Capo Cervo, quatre à l'entrée d'Imperia, et trois, seulement, à vingt kilomètres du but ! ' Un fléchissement des premiers et nous eussions assisté à un regroupement partiel, au succès de Moser ou de Van Vliet vraissemblablement2 ', commenta Pierre Chany. C'était sans miser sur la fermeté du Breton, et sur sa vista. Dans la descente de la Cipressa, celui-ci porta une franche accélération qui condamna Delle Case et Bortolotto, ses deux derniers accompagnateurs avec Bondue. Puis, dans la périlleuse descente du Poggio, quand le champion du monde de poursuite, trop fébrile, glissa sur le sol, il se projeta aussitôt cinquante mètres devant son rival, négociant les virages avec habileté. On devine la scène : deux silhouettes se pourchassant sous la flamme rouge, après deux cent quatre vingt six kilomètres d'une échappée historique, à 41,584 kilomètres-heure de moyenne ! En tête, un néo-pro inconnu ; derrière, le meilleur poursuiteur du moment ; à deux grosses minutes, Argentin et Moser, les favoris italiens... Théoriquement, Bondue, avantagé par le point de mire, devait effacer son retard. Mais Marc Gomez, magnifique, ne cédait pas ! Chaque coup de pédale tombait droit, comme à la première heure. Les vingt derniers mètres furent les plus beaux de sa vie.

 D'ores et déjà, sa carrière naissante était réussie - une course d'essai, la course d'un maître... Pourtant, Marc Gomez se fixa de nouveaux objectifs, si bien que les observateurs prirent l'habitude d'évoquer ce personnage singulier, né à Rennes en septembre 1954, bachelier, titulaire d'un diplôme d'analyste programmeur en 1977, et capable de gagner deux Tours d'Ille-et-Vilaine chez les amateurs, l'un en 1979, l'autre en 1981. En 1978, soit dit pour mémoire, il avait juré... ou de triompher, ou de se laisser pousser la barde ! Battu, il oublia son rasoir douze mois durant, murissant sa revanche.

 Est-ce cette originalité qui lui valut de ne pas trouver d'emploi chez les pros ? Sont-ce plutôt les propos qu'on mâchait dans son dos ?... Il se murmurait en effet que le Breton, pillier de l'équipe de France amateur, s'imposait ' à l'eau minérale '. Or, le cyclisme de cette époque, marqué par une impitoyable omerta (elle dure toujours), se méfiait des jeunes gens aux mains propres, coupables, selon la terminologie en vigueur, de ' ne pas faire le métier ' ... Marc Gomez dut ronger son frein jusqu'en janvier 1982, date à laquelle un autre Rennais, Marcel de Boishardy, l'enrôla chez Wolber. On connaît la suite : un Milan-San Remo d'anthologie, bientôt complété par une médaille d'or au championnat de France, trois succès d'étapes et un maillot de leader dans le Tour d'Espagne, un Tour de Suède et une dizaine de bouquets supplémentaires glanés en huit saisons professionnelles. Sans doute cette moisson eût-elle été supérieure si le malheureux ne s'était fracturé le col du fémur dans le Tour de France 1983, puis un poignet et le nez en avril 1984. L'énergie qu'il mit à recouvrer son niveau lui coûta des victoires. Et lui coûta également des victoires cette idée qu'il avait de ne pas se doper dans un peloton qui ne partageait ab-so-lu-ment-pas sa philosophie... Jusqu'au jour où, lors d'un banal critérium, il avala une pastille d'amphétamine,  la seule de sa vie. Quand il en parle quelquefois, de cette voix posée qui ne l'a jamais quitté, c'est pour confier généreusement  - devant des jeunes, chez les Amis du vélo - l'immense dégoût que lui inspire cette parenthèse.

' Je voudrais laisser un nom ', avait-il déclaré en 19833. Pour solde de tous comptes, il faut écrire que Marc Gomez laissa beaucoup plus : la preuve qu'on pouvait, dans les années quatre-vingt, décrocher une classique, un titre et un Tour national sans renier l'idéal du sport.

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.



Gomez en bref

* Né le 10 septembre 1954 à Rennes.
* Après une belle carrière amateur marquée par une soixantaine de victoires, il passe professionnel chez Wolbert (1982 et 1983), La Vie Claire (1984 et 1985), Reynolds (1986 et 1987), Fagor (1988), Reynolds (1989).
* Principales victoires : Milan-San Remo 1982, prologue du Tour d'Espagne 1982, Championnat de France 1983, Tour de Suède 1985, 1ere et 20e étape du Tour d'Espagne 1986, Prix de Zamora 1987. Lauréat de la Promotion Pernod en 1982.
* Principales places d'honneur : 4e de Bordeaux-Paris 1982,  5e du Tour de l'Aude 1983, 5e du Tour de Bretagne 1985, 4e du Tour d'Armorique 1986, 3e du Tour du Limousin 1987.


1 Pierre Chany, L'Année du cyclisme, Calmann-Lévy, 1982, p. 58.
2 Ibid, p. 55.
3 L'Equipe Magazine, 19.03.1983.