Martial Gayant, qui voulait juste bien faire...
Il porta le maillot jaune, gagna une étape au Giro et une étape dans le Tour… Il brilla également dans les sous-bois, devenant deux fois champion de France. Portrait de Martial Gayant, coureur habile et puissant, passé chez les pros à dix-neuf ans…
Il n’avait pas encore dix-neuf ans lorsqu’il remporta le Grand Prix des Nations 1981. Bien sûr, ce n’était, si l’on ose dire, que la version amateur du célèbre contre-la-montre — il n’empêche : des voix s’élevèrent pour prétendre aussitôt que Martial Gayant serait le nouvel Anquetil ! On imagine l’embarras du jeune homme, picard longiligne au parler hésitant… Que répondre, en effet, à ces gens qui le plaçaient très haut, quand lui-même ne faisait qu’exploiter une santé insolente ? Et que répliquer à Cyrille Guimard, alors regardé comme le meilleur directeur sportif du monde ? Car Guimard s’était précipité, ravi de couper l’herbe sous le pied de Maurice De Muer ! (Gayant, chez les amateurs, portait le maillot blanc et noir des Peugeot.) Il lui promit deux choses : un contrat, modeste, et de la patience, beaucoup… Le natif de Chauny bredouilla quelques phrases pour signifier son accord. À la vérité, il n’en croyait pas ses oreilles ; et il n’en croyait pas non plus ses yeux en lisant, dans le Miroir du cyclisme, sous la plume prestigieuse de Jacques Augendre : « Ce coureur révélé par le Grand Prix de Champagne contre-la-montre est peut-être le futur grand rouleur du cyclisme français. »[1] Remarquez : le conditionnel restait de mise, parce que Jacques Augendre se rappelait nombre d’espoirs qui n’avaient jamais confirmé. Mais, néanmoins, il enfonçait le clou, soulignant que Martial Gayant avait bouclé son parcours « dans l’allure des pros (moyenne 42,364 kilomètres-heure). »[2] Bref ! un authentique exploit. On répète que ce garçon n’avait pas dix-neuf ans…
Il eut le talent de s’affirmer. Il le fit où personne ne l’attendait, à Salies-de-Béarn, le 6 février 1983. Les articles en témoignent : un temps apocalyptique, un terrain détrempé, à la limite du praticable. Était en jeu ce jour-là ni plus ni moins que la succession des Lapize, Christophe, Pélissier (Charles), Oubron, Robic, Rondeaux, Dufraisse et Guimard, jadis vainqueurs du championnat de France de cyclo-cross. Tenant du titre, Marc Madiot, autre grand espoir, semblait imbattable. Mais c’était sans compter sur Patrice Thévenard, athlète solide qui imposa immédiatement son train. On le pensait d’ailleurs parti pour la « gagne » — mais ce fut l’instant où Martial Gayant, auteur d’un mauvais départ, démontra un fulgurant savoir-faire ! Ah ! le sacré gaillard ! Crotté de la casquette jusqu’aux pieds, il sautait de son vélo pour le lancer sur son dos ; il attaquait le raidillon, les yeux fixés sur le sol, le bras gauche faisant balancier ; puis il se remettait en selle, négociant habillement la descente. Thévenard le vit passer comme un boulet. Martial Gayant, vingt ans, devenait l’un des plus prometteurs champions de France de la discipline. C’est peu dire qu’il tint, là aussi, ses promesses : outre un second titre, en 1986, il décrocha également trois médailles d’argent (1984, 1988, 1989) et deux médailles de bronze (1985, 1987). Son nom durerait dans l’histoire du cyclo-cross français.
Et la route ? Brilla-t-il, dans la plaine, dans les cols, autant que les augures l’espéraient ? Si l’on s’en tient aux seuls palmarès, il faut répondre oui… Oui, parce qu’il n’avait que vingt et un ans quand il termina quinzième de son premier Tour d’Italie, après avoir enlevé la dixième étape. Oui, parce qu’il n’avait que vingt-deux ans lorsqu’il triompha dans Paris-Vimoutiers, le Trophée des Grimpeurs et la deuxième étape du Clasico RCN. Oui, parce qu’il n’avait que vingt-quatre ans lorsqu’il endossa, pour deux jours, un inoubliable maillot jaune. C’était au soir de la onzième étape, le 11 juillet 1987... La veille, Charly Mottet, son leader, avait pris les commandes du Tour. Flairant une opportunité, Martial Gayant déclencha la bagarre à cent dix kilomètres de l’arrivée, flanqué du Belge Jan Nevens. Puis il attendit du renfort, celui-ci bientôt incarné par Andersen, Cubino, Imboden, Ghirotto et Sergeant, tous formidables relayeurs. Un coup imparable, qui le métamorphosa d’abord en défenseur de Mottet — et puis en échappé solitaire, une fois l’écart définitivement creusé. Certains se souviennent des images : moins un coureur qu’un bolide, dont la puissance impressionnait dans les difficiles replis corréziens ! Pourtant, il demeurait très humble, et racontait sa victoire avec les mots d’un garçon étonné. En clair, ce prodige n’avait pas l’âme d’une vedette. Il voulait juste bien faire, un brin complexé par le brusque épanouissement de Laurent Fignon, passé professionnel la même saison que lui…
Sa carrière s’en ressentit. Non pas que Martial Gayant devînt moins fort ; il fut simplement moins chanceux, manquant d’un souffle le succès qui l’eût consacré. Ainsi termina-t-il troisième, à trois reprises (1985, 1987, 1989), du championnat de France sur route, la course de ses rêves. Et sur le circuit de Renaix, en 1988, il finit deuxième du championnat du monde, uniquement devancé par l’Italien Maurizio Fondriest : la preuve, au plus haut niveau, qu’il excellait dans l’art de mener les batailles, d’avancer, de peser, de surgir ! Pourquoi, donc, échouait-il toujours sur le fil ? C’était au point qu’en 1989, à l’arrivée du Grand Prix de Francfort, il leva les bras, persuadé que… Las ! Jean-Marie Wampers, le Belge de Panasonic, avait déjà franchi la ligne. Déçu, le Picard remit l’ouvrage sur le métier, mais pour finir deuxième encore d’un Tour de la Communauté européenne (1990), d’un Tour de Lombardie (1991) et d’un Midi-Libre (1991) et troisième d’un Paris-Nice (1991). Quand il en eut assez, Martial Gayant se retira, sans bruit, et sûrement sans regret. Il l’avait dit et redit : il voulait juste bien faire.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Martial Gayant en bref
- Né le 16 novembre 1962 à Chauny.
- Professionnel chez Renault-Gitane (1982-1985), Système U (1986-1987), Toshiba (1988-1991), Lotto (1992).
- Principales victoires : Championnat de France de cyclo-cross 1983 et 1986 ; Châteauroux-Limoges 1984 ; 10e étape du Tour d’Italie 1984 ; Paris-Vimoutiers 1985 ; Trophée des Grimpeurs 1985 ; 2e étape du Clasico RCN 1985 ; G.P. de Plouay 1986 ; 11e étape du Tour de France 1987 ; 5e étape des Quatre Jours de Dunkerque 1987 ; Grand Prix de Fourmies 1989 ; Tour du Limousin 1990 ; 8e étape du Tour de la C.E.E. 1990.
[1]Miroir du cyclisme n° 308, octobre 1981.
[2] Ibid.
Martial Gayant, qui voulait juste bien faire...
Il porta le maillot jaune, gagna une étape au Giro et une étape dans le Tour… Il brilla également dans les sous-bois, devenant deux fois champion de France. Portrait de Martial Gayant, coureur habile et puissant, passé chez les pros à dix-neuf ans…
Il n’avait pas encore dix-neuf ans lorsqu’il remporta le Grand Prix des Nations 1981. Bien sûr, ce n’était, si l’on ose dire, que la version amateur du célèbre contre-la-montre — il n’empêche : des voix s’élevèrent pour prétendre aussitôt que Martial Gayant serait le nouvel Anquetil ! On imagine l’embarras du jeune homme, picard longiligne au parler hésitant… Que répondre, en effet, à ces gens qui le plaçaient très haut, quand lui-même ne faisait qu’exploiter une santé insolente ? Et que répliquer à Cyrille Guimard, alors regardé comme le meilleur directeur sportif du monde ? Car Guimard s’était précipité, ravi de couper l’herbe sous le pied de Maurice De Muer ! (Gayant, chez les amateurs, portait le maillot blanc et noir des Peugeot.) Il lui promit deux choses : un contrat, modeste, et de la patience, beaucoup… Le natif de Chauny bredouilla quelques phrases pour signifier son accord. À la vérité, il n’en croyait pas ses oreilles ; et il n’en croyait pas non plus ses yeux en lisant, dans le Miroir du cyclisme, sous la plume prestigieuse de Jacques Augendre : « Ce coureur révélé par le Grand Prix de Champagne contre-la-montre est peut-être le futur grand rouleur du cyclisme français. »[1] Remarquez : le conditionnel restait de mise, parce que Jacques Augendre se rappelait nombre d’espoirs qui n’avaient jamais confirmé. Mais, néanmoins, il enfonçait le clou, soulignant que Martial Gayant avait bouclé son parcours « dans l’allure des pros (moyenne 42,364 kilomètres-heure). »[2] Bref ! un authentique exploit. On répète que ce garçon n’avait pas dix-neuf ans…
Il eut le talent de s’affirmer. Il le fit où personne ne l’attendait, à Salies-de-Béarn, le 6 février 1983. Les articles en témoignent : un temps apocalyptique, un terrain détrempé, à la limite du praticable. Était en jeu ce jour-là ni plus ni moins que la succession des Lapize, Christophe, Pélissier (Charles), Oubron, Robic, Rondeaux, Dufraisse et Guimard, jadis vainqueurs du championnat de France de cyclo-cross. Tenant du titre, Marc Madiot, autre grand espoir, semblait imbattable. Mais c’était sans compter sur Patrice Thévenard, athlète solide qui imposa immédiatement son train. On le pensait d’ailleurs parti pour la « gagne » — mais ce fut l’instant où Martial Gayant, auteur d’un mauvais départ, démontra un fulgurant savoir-faire ! Ah ! le sacré gaillard ! Crotté de la casquette jusqu’aux pieds, il sautait de son vélo pour le lancer sur son dos ; il attaquait le raidillon, les yeux fixés sur le sol, le bras gauche faisant balancier ; puis il se remettait en selle, négociant habillement la descente. Thévenard le vit passer comme un boulet. Martial Gayant, vingt ans, devenait l’un des plus prometteurs champions de France de la discipline. C’est peu dire qu’il tint, là aussi, ses promesses : outre un second titre, en 1986, il décrocha également trois médailles d’argent (1984, 1988, 1989) et deux médailles de bronze (1985, 1987). Son nom durerait dans l’histoire du cyclo-cross français.
Et la route ? Brilla-t-il, dans la plaine, dans les cols, autant que les augures l’espéraient ? Si l’on s’en tient aux seuls palmarès, il faut répondre oui… Oui, parce qu’il n’avait que vingt et un ans quand il termina quinzième de son premier Tour d’Italie, après avoir enlevé la dixième étape. Oui, parce qu’il n’avait que vingt-deux ans lorsqu’il triompha dans Paris-Vimoutiers, le Trophée des Grimpeurs et la deuxième étape du Clasico RCN. Oui, parce qu’il n’avait que vingt-quatre ans lorsqu’il endossa, pour deux jours, un inoubliable maillot jaune. C’était au soir de la onzième étape, le 11 juillet 1987... La veille, Charly Mottet, son leader, avait pris les commandes du Tour. Flairant une opportunité, Martial Gayant déclencha la bagarre à cent dix kilomètres de l’arrivée, flanqué du Belge Jan Nevens. Puis il attendit du renfort, celui-ci bientôt incarné par Andersen, Cubino, Imboden, Ghirotto et Sergeant, tous formidables relayeurs. Un coup imparable, qui le métamorphosa d’abord en défenseur de Mottet — et puis en échappé solitaire, une fois l’écart définitivement creusé. Certains se souviennent des images : moins un coureur qu’un bolide, dont la puissance impressionnait dans les difficiles replis corréziens ! Pourtant, il demeurait très humble, et racontait sa victoire avec les mots d’un garçon étonné. En clair, ce prodige n’avait pas l’âme d’une vedette. Il voulait juste bien faire, un brin complexé par le brusque épanouissement de Laurent Fignon, passé professionnel la même saison que lui…
Sa carrière s’en ressentit. Non pas que Martial Gayant devînt moins fort ; il fut simplement moins chanceux, manquant d’un souffle le succès qui l’eût consacré. Ainsi termina-t-il troisième, à trois reprises (1985, 1987, 1989), du championnat de France sur route, la course de ses rêves. Et sur le circuit de Renaix, en 1988, il finit deuxième du championnat du monde, uniquement devancé par l’Italien Maurizio Fondriest : la preuve, au plus haut niveau, qu’il excellait dans l’art de mener les batailles, d’avancer, de peser, de surgir ! Pourquoi, donc, échouait-il toujours sur le fil ? C’était au point qu’en 1989, à l’arrivée du Grand Prix de Francfort, il leva les bras, persuadé que… Las ! Jean-Marie Wampers, le Belge de Panasonic, avait déjà franchi la ligne. Déçu, le Picard remit l’ouvrage sur le métier, mais pour finir deuxième encore d’un Tour de la Communauté européenne (1990), d’un Tour de Lombardie (1991) et d’un Midi-Libre (1991) et troisième d’un Paris-Nice (1991). Quand il en eut assez, Martial Gayant se retira, sans bruit, et sûrement sans regret. Il l’avait dit et redit : il voulait juste bien faire.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Martial Gayant en bref
- Né le 16 novembre 1962 à Chauny.
- Professionnel chez Renault-Gitane (1982-1985), Système U (1986-1987), Toshiba (1988-1991), Lotto (1992).
- Principales victoires : Championnat de France de cyclo-cross 1983 et 1986 ; Châteauroux-Limoges 1984 ; 10e étape du Tour d’Italie 1984 ; Paris-Vimoutiers 1985 ; Trophée des Grimpeurs 1985 ; 2e étape du Clasico RCN 1985 ; G.P. de Plouay 1986 ; 11e étape du Tour de France 1987 ; 5e étape des Quatre Jours de Dunkerque 1987 ; Grand Prix de Fourmies 1989 ; Tour du Limousin 1990 ; 8e étape du Tour de la C.E.E. 1990.
[1]Miroir du cyclisme n° 308, octobre 1981.
[2] Ibid.
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