Maurice Garin, le premier...
Il était petit et râblé, et littéralement increvable, dans la tradition des routiers de l’époque. Déjà vainqueur des plus grandes classiques, il s’imposa, en 1903, dans le premier Tour de France. Portrait d’un mythe appelé Maurice Garin…
Avait-il conscience, ce 19 juillet 1903, en triomphant à Paris, qu’il entrait dans l’histoire ? Avait-il compris qu’il existerait pour jamais un avant et un après ? et que cet après résisterait à toutes les folies des hommes, incarnant leurs rêves d’été… Car il s’agit bien de cela : un rêve, et l’été, généralement âpre et brûlant. Celui dont Maurice Garin serait le héros débuta exactement le 1er juillet, à 15 h 16, lorsque le très sérieux Georges Abran libéra les soixante concurrents du premier Tour de France. La veille, Henri Desgrange, le patron de L’Auto, avait signé un éditorial prophétique : « La semence ». Et maintenant, le fameux Garin moissonnait, assumant crânement son rôle de favori dès la sortie de Melun. À quoi pensait-il ? Aux mille difficultés qui l’attendaient, à commencer par cette étape épique, longue de 467 kilomètres, entre Paris et Lyon… Et puis, comment dire ? il faisait mentalement ses comptes, sachant que le vainqueur du jour empocherait 1 500 francs, et 3 000 francs le vainqueur final — une fortune. Voilà qui rapportait davantage que le « garage de réparation automobile, de commerce de bicyclettes et de vente de carburants » qu’il avait ouvert à Lens, en 1896, et qu’il continuait d’exploiter sous l’enseigne « Au champion routier Maurice Garin »… Cependant, Dieu sait s’il choyait ce garage, le regardant, non pas comme un investissement, mais comme la preuve qu’il était devenu un « monsieur », que chacun se flattait de saluer. N’avait-il pas remporté la grande course voisine, Paris-Roubaix, en 1897 et 1898 ? Sans oublier d’autres rendez-vous formidables, dont deux éditions de Tourcoing-Béthune-Tourcoing, un Valenciennes-Le Nouvion-Valenciennes, un Douai-Doullens-Douai, l’inénarrable Paris-Brest-Paris de 1901, puis Bordeaux-Paris la saison suivante. Bref ! un remarquable palmarès, qui avait changé sa vie en destin. Pour ses contemporains, avant même l’avènement du Tour de France, ce champion court sur pattes était un mythe…
Étrange personnage, à la vérité, marié quatre fois, ce qui constituait également un record. Où puisait-il son exceptionnelle résistance, sa forte volonté ? Souvent la question fut posée devant le gabarit modeste — 1 mètre 62 pour 61 kilos — de cet homme que le public surnommait « le petit ramoneur ». Parce que, bel et bien, il avait ramoné des cheminées durant sa jeunesse, vécue dans le Val d’Aoste, en Italie… C’était d’ailleurs un élément mal connu à l’époque du premier Tour de France : Maurice Garin n’avait obtenu la nationalité française que le 21 décembre 1901, soit quatre mois après sa victoire dans Paris-Brest-Paris, tenue à tort pour celle d’un Nordiste ! D’où un flou administratif qui allait perdurer, la plupart de ses biographes ignorant les strates d’une existence ouverte dans une maison d’Arvier, le 3 mars 1871, à 5 heures de l’après-midi. Son père ? Maurice Clément, ouvrier agricole de quarante-trois ans. Sa mère ? Marie-Thérèse, née Ossella. Un couple pauvre, qui fit enregistrer cette naissance muni d’un certificat d’indigence[1].
La suite se devine : une enfance rude, au pied du mont-Blanc. Puis le départ pour la France, en 1886, d’abord à Reims, puis Paris, puis Maubeuge… Dans quelle condition découvrit-il le cyclisme ? On imagine que les premiers Bordeaux-Paris et Paris-Brest-Paris, disputés en 1891, ne le laissèrent pas indifférent. Chose sûre, il se révéla en 1893, décrochant Dinant-Namur-Dinant puis les 800 kilomètres de Bruxelles, une compétition pourtant réservée à des coureurs chevronnés. Mais, chevronné, ne l’était-il pas d’ores et déjà, lui qui enchaînait les résultats — succès dans les 24 Heures de Liège et à Avesne-sur-Helpe en 1894, dans les 24 Heures des Arts libéraux et dans Guingamp-Morlaix-Guingamp en 1895, dans Paris-Mons en 1896, dans Paris-Cabourg et Paris-Royan en 1897, l’année de sa consécration officielle à Roubaix, au terme d’un duel haletant avec le Néerlandais Cordang… Et en 1898, un duel encore, contre Stéphane, dont il sortit vainqueur. « Petit, rablé, puissant, il travaillait en force plus qu’en souplesse. Et son énergie farouche lui permettait de vaincre, et la distance, et l’adversaire », expliquerait un jour Géo Lefèvre, premier envoyé spécial d’Henri Desgrange sur le Tour de France[2].
Son chef d’œuvre ? Les témoins hésitaient entre Paris-Brest-Paris et Bordeaux-Paris. Dans le premier cas, sans doute profita-t-il de l’abandon de Lucien Lesna, celui-ci brûlé jusqu’au sang par des coups de soleil ; mais il aimait à dire qu’il l’avait surtout lâché au « raisonnement »[3], le surprenant par des changements de rythme au cours de la nuit. De même, durant Bordeaux-Paris, il avait su revenir sur l’incontournable Lesna, puis contenir son retour au mitan de leur match. Qu’importe, ensuite, si de multiples crevaisons devaient fausser la donne. À ses propres yeux comme aux yeux de Desgrange, Maurice Garin demeurait le meilleur performeur du moment. Il faudrait s’en souvenir, à l’heure de lancer le Tour de France…
On sait l’épilogue, tellement raconté pendant un siècle. Intouchable dès les premiers kilomètres, sur la route de Lyon, le Nordiste contrôla l’épreuve jusqu’à l’arrivée finale, le dimanche 19 juillet, ouvrant ainsi le plus prestigieux palmarès du sport individuel. On sait aussi qu’il avait doublé la mise en 1904 — mais, à l’issue de cette édition sulfureuse, où l’on avait brandi plusieurs fois des revolvers, Maurice Garin serait privé de sa victoire et suspendu deux années par l’Union vélocipédique de France. C’était évidemment salir une carrière, sans toutefois briser un élan. Il restait pour l’histoire, et donc pour les hommes, le premier vainqueur du Tour de France.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Maurice Garin en bref
- Né le 3 mars 1871 à Arvier (Italie). Décédé le 19 février 1957 à Lens.
Principales victoires : Namur-Dinant et retour 1893 ; 800 kilomètres de Bruxelles 1893 ; 24 Heures de Liège 1894 ; 24 Heures des Arts libéraux 1895 ; Guingamp-Morlaix-Guingamp 1895 ; Paris-Mons 1896 ; Paris-Roubaix 1897 et 1898 ; Paris-Cabourg 1897 ; Paris-Royan 1987 ; Tourcoing-Béthune et retour 3 fois 1897 et 1898 ; Valenciennes-Nouvion-Valenciennes 1898 ; Douai-Doullens-Douai 1898 ; Paris-Brest-Paris 1901 ; Bordeaux-Paris 1902 ; Tour de France 1903.
[1] Renseignements inédits communiqués par Jacques Lablaine.
[2] In L’Équipe du 20.02.1957.
[3] Cité par Pierre Chany in La Fabuleuse histoire des classiques et des championnats du monde, O.D.I.L., 1979, p. 148.
Maurice Garin, le premier...
Il était petit et râblé, et littéralement increvable, dans la tradition des routiers de l’époque. Déjà vainqueur des plus grandes classiques, il s’imposa, en 1903, dans le premier Tour de France. Portrait d’un mythe appelé Maurice Garin…
Avait-il conscience, ce 19 juillet 1903, en triomphant à Paris, qu’il entrait dans l’histoire ? Avait-il compris qu’il existerait pour jamais un avant et un après ? et que cet après résisterait à toutes les folies des hommes, incarnant leurs rêves d’été… Car il s’agit bien de cela : un rêve, et l’été, généralement âpre et brûlant. Celui dont Maurice Garin serait le héros débuta exactement le 1er juillet, à 15 h 16, lorsque le très sérieux Georges Abran libéra les soixante concurrents du premier Tour de France. La veille, Henri Desgrange, le patron de L’Auto, avait signé un éditorial prophétique : « La semence ». Et maintenant, le fameux Garin moissonnait, assumant crânement son rôle de favori dès la sortie de Melun. À quoi pensait-il ? Aux mille difficultés qui l’attendaient, à commencer par cette étape épique, longue de 467 kilomètres, entre Paris et Lyon… Et puis, comment dire ? il faisait mentalement ses comptes, sachant que le vainqueur du jour empocherait 1 500 francs, et 3 000 francs le vainqueur final — une fortune. Voilà qui rapportait davantage que le « garage de réparation automobile, de commerce de bicyclettes et de vente de carburants » qu’il avait ouvert à Lens, en 1896, et qu’il continuait d’exploiter sous l’enseigne « Au champion routier Maurice Garin »… Cependant, Dieu sait s’il choyait ce garage, le regardant, non pas comme un investissement, mais comme la preuve qu’il était devenu un « monsieur », que chacun se flattait de saluer. N’avait-il pas remporté la grande course voisine, Paris-Roubaix, en 1897 et 1898 ? Sans oublier d’autres rendez-vous formidables, dont deux éditions de Tourcoing-Béthune-Tourcoing, un Valenciennes-Le Nouvion-Valenciennes, un Douai-Doullens-Douai, l’inénarrable Paris-Brest-Paris de 1901, puis Bordeaux-Paris la saison suivante. Bref ! un remarquable palmarès, qui avait changé sa vie en destin. Pour ses contemporains, avant même l’avènement du Tour de France, ce champion court sur pattes était un mythe…
Étrange personnage, à la vérité, marié quatre fois, ce qui constituait également un record. Où puisait-il son exceptionnelle résistance, sa forte volonté ? Souvent la question fut posée devant le gabarit modeste — 1 mètre 62 pour 61 kilos — de cet homme que le public surnommait « le petit ramoneur ». Parce que, bel et bien, il avait ramoné des cheminées durant sa jeunesse, vécue dans le Val d’Aoste, en Italie… C’était d’ailleurs un élément mal connu à l’époque du premier Tour de France : Maurice Garin n’avait obtenu la nationalité française que le 21 décembre 1901, soit quatre mois après sa victoire dans Paris-Brest-Paris, tenue à tort pour celle d’un Nordiste ! D’où un flou administratif qui allait perdurer, la plupart de ses biographes ignorant les strates d’une existence ouverte dans une maison d’Arvier, le 3 mars 1871, à 5 heures de l’après-midi. Son père ? Maurice Clément, ouvrier agricole de quarante-trois ans. Sa mère ? Marie-Thérèse, née Ossella. Un couple pauvre, qui fit enregistrer cette naissance muni d’un certificat d’indigence[1].
La suite se devine : une enfance rude, au pied du mont-Blanc. Puis le départ pour la France, en 1886, d’abord à Reims, puis Paris, puis Maubeuge… Dans quelle condition découvrit-il le cyclisme ? On imagine que les premiers Bordeaux-Paris et Paris-Brest-Paris, disputés en 1891, ne le laissèrent pas indifférent. Chose sûre, il se révéla en 1893, décrochant Dinant-Namur-Dinant puis les 800 kilomètres de Bruxelles, une compétition pourtant réservée à des coureurs chevronnés. Mais, chevronné, ne l’était-il pas d’ores et déjà, lui qui enchaînait les résultats — succès dans les 24 Heures de Liège et à Avesne-sur-Helpe en 1894, dans les 24 Heures des Arts libéraux et dans Guingamp-Morlaix-Guingamp en 1895, dans Paris-Mons en 1896, dans Paris-Cabourg et Paris-Royan en 1897, l’année de sa consécration officielle à Roubaix, au terme d’un duel haletant avec le Néerlandais Cordang… Et en 1898, un duel encore, contre Stéphane, dont il sortit vainqueur. « Petit, rablé, puissant, il travaillait en force plus qu’en souplesse. Et son énergie farouche lui permettait de vaincre, et la distance, et l’adversaire », expliquerait un jour Géo Lefèvre, premier envoyé spécial d’Henri Desgrange sur le Tour de France[2].
Son chef d’œuvre ? Les témoins hésitaient entre Paris-Brest-Paris et Bordeaux-Paris. Dans le premier cas, sans doute profita-t-il de l’abandon de Lucien Lesna, celui-ci brûlé jusqu’au sang par des coups de soleil ; mais il aimait à dire qu’il l’avait surtout lâché au « raisonnement »[3], le surprenant par des changements de rythme au cours de la nuit. De même, durant Bordeaux-Paris, il avait su revenir sur l’incontournable Lesna, puis contenir son retour au mitan de leur match. Qu’importe, ensuite, si de multiples crevaisons devaient fausser la donne. À ses propres yeux comme aux yeux de Desgrange, Maurice Garin demeurait le meilleur performeur du moment. Il faudrait s’en souvenir, à l’heure de lancer le Tour de France…
On sait l’épilogue, tellement raconté pendant un siècle. Intouchable dès les premiers kilomètres, sur la route de Lyon, le Nordiste contrôla l’épreuve jusqu’à l’arrivée finale, le dimanche 19 juillet, ouvrant ainsi le plus prestigieux palmarès du sport individuel. On sait aussi qu’il avait doublé la mise en 1904 — mais, à l’issue de cette édition sulfureuse, où l’on avait brandi plusieurs fois des revolvers, Maurice Garin serait privé de sa victoire et suspendu deux années par l’Union vélocipédique de France. C’était évidemment salir une carrière, sans toutefois briser un élan. Il restait pour l’histoire, et donc pour les hommes, le premier vainqueur du Tour de France.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Maurice Garin en bref
- Né le 3 mars 1871 à Arvier (Italie). Décédé le 19 février 1957 à Lens.
Principales victoires : Namur-Dinant et retour 1893 ; 800 kilomètres de Bruxelles 1893 ; 24 Heures de Liège 1894 ; 24 Heures des Arts libéraux 1895 ; Guingamp-Morlaix-Guingamp 1895 ; Paris-Mons 1896 ; Paris-Roubaix 1897 et 1898 ; Paris-Cabourg 1897 ; Paris-Royan 1987 ; Tourcoing-Béthune et retour 3 fois 1897 et 1898 ; Valenciennes-Nouvion-Valenciennes 1898 ; Douai-Doullens-Douai 1898 ; Paris-Brest-Paris 1901 ; Bordeaux-Paris 1902 ; Tour de France 1903.
[1] Renseignements inédits communiqués par Jacques Lablaine.
[2] In L’Équipe du 20.02.1957.
[3] Cité par Pierre Chany in La Fabuleuse histoire des classiques et des championnats du monde, O.D.I.L., 1979, p. 148.
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