Gilbert Duclos-Lasalle, le souffle du héros
Avec dix-neuf saisons chez les professionnels, il mena l'une des plus longues carrières de tout le cyclisme français. Une carrière marquée aussi par de prestigieux succès. Portrait de Gilbert Duclos-Lassalle, héros de naguère...
Finalement, qu'aura-t-il manqué pour que Gilbert Duclos-Lassalle, professionnel de 1977 à 1995, réussisse entièrement sa longue carrière ? De la chance ? Du génie ?... L'évidence est qu'il eût mérité ce titre de champion de France sur route après lequel il courut en vain, étant moins l'homme des circuits que des folles échappées. Il eût mérité aussi de porter le maillot jaune, ne serait-ce qu'une journée, comme le firent Jacques Bossis et Jean-René Bernaudeau, deux anciens de l'équipe Peugeot. Et il méritait, bien sûr, de gagner une étape du Tour de France, à commencer par celle, inoubliable, qui se terminait à Roubaix, en 1981. Autrement dit, Gilbert Duclos-Lassalle, vingt-six ans à l'époque, arrivait dans son jardin. N'avait-il pas démontré la saison précédente, avec une deuxième place dans ' l'Enfer du Nord ', qu'il était un fameux passeur de pavés ? Seulement, au soir de cette rude bataille, le Béarnais omit de resserrer sa courroie de cale-pied. Il déchaussa en plein sprint, alors qu'il prenait l'avantage sur son dernier compagnon, le Belge Daniel Willems. Sa détresse fut immense.
La presse tenta de le consoler : de bons et louangeurs articles, tels qu'il en lirait par centaines au cours de sa vie sportive. Mais le solide routier ne retrouva jamais une pareille occasion ; et s'il parvint à signer de ponctuels coups d'éclat (troisième du prologue du Tour d'Espagne 1985, deuxième d'une étape sur le Tour de France 1988, troisième d'une étape du Giro en 1990), il fallut admettre qu'il peinait dans les grands Tours. D'où son palmarès incomplet, particulièrement au mois de juillet... Tout se passait comme si cet athlète d'1 m 80 y payait ses efforts du printemps.
Sacré Duclos ! C'était un brave, un grognard toujours volontaire pour la première ligne d'assaut. Avec beaucoup d'intelligence, il mettait les bouchées doubles en hiver, puis débarquait sur la Côte d'Azur avec l'œil d'un chasseur aux aguets. Ainsi tombèrent dans son escarcelle un Tour de Corse, un Paris-Nice et un Tour du Tarn en 1980, un deuxième Tour de Corse et un Tour de l'Oise en 1982, un Tour de Midi-Pyrénées en 1983, un deuxième Tour de l'Oise et un Tour de Suède en 1986, jusqu'au Grand Prix du Midi-Libre 1991 qu'il enleva avec une énergie farouche ! Au bout du compte, lauréat d'une douzaine de courses par étapes, Gilbert Duclos-Lassalle occupe un rang de choix dans l'histoire du cyclisme français. C'est peu dire qu'il fut le meilleur sous-officier de son temps.
Oui, sous le règne des Hinault, Moser, Saronni, Raas, Knetemann, ou dans le sillage aérien de Roger De Vlaeminck, il comprenait ses limites : celles d'un sous-officier, aide de camp des prodiges. Mais, encore une fois, affirmons que, parmi tous ceux de sa classe, il était le meilleur, le plus brave ! C'est au point que dans Paris-Roubaix, ' la reine des classiques ', il se projeta au timon des affaires, partageant les relais avec Raas, Moser, Hinault, De Vlaeminck et De Wolf dans les années quatre-vingt, puis ouvrant la voie pour des hommes qui auraient pu être ses fils ! ' C'est ma course ', répétait-il à l'envi, avec ce rictus carnassier qui rappelait Bernard Hinault (dans l'action, l'un et l'autre avaient la même façon de serrer les dents)... À la vérité, il semblait plutôt que sa course fût Bordeaux-Paris, l'aventure aux six cents kilomètres. Résistant, habile et véloce derrière derny, il y trouva un terrain d'expression naturel, gagnant l'édition 1983, puis finissant deuxième en 1985, quatrième en 1986, deuxième en 1987, neuvième en 1988. Si l'épreuve n'avait pas disparu du calendrier en 1989, sans doute l'aurait-il conquise à plusieurs reprises. Il l'avait dans la peau.
Cette disparition fut sa chance. Faute de mieux, en effet, le Français se concentra exclusivement sur Paris-Roubaix, assurant à qui voulait l'entendre qu'il n'avait pas dételé. La preuve ? Quatrième en 1989, sixième en 1990, douzième en 1991 à plus de trente-sept ans : il tournait autour, pareil à ces doublures qui récitent leur texte les yeux fermés, rêvant qu'un jour, peut-être... Eh bien, ce jour tant espéré arriva. Le 12 avril 1992, après quarante kilomètres d'échappée solitaire, Gilbert Duclos-Lassalle entra victorieux dans le vélodrome de Roubaix, fêté par un public ivre de joie. ' Paris-Roubaix est fait pour les coureurs parvenus à maturité. Moi, ça me laisse encore de l'espoir !'1, expliqua-t-il aussitôt, pour qu'on se le tînt pour dit. Parce que l'incroyable était à venir : un second succès consécutif ! Un succès arraché au sprint, pour trois centimètres, face à un Franco Ballerini nettement supérieur, mais totalement mystifié ! Que lui avait donc raconté le vieux soldat ? Seuls les intéressés le savent ; mais Pierre Chany s'en amusa franchement. ' Duclos-Lassalle, s'il est un beau coureur, est aussi un peu magicien ! '2, écrivit-il. Et d'ajouter cet aveu qui servirait d'analyse : ' Nous pensâmes un instant que ' Gibus ' s'était rendu, qu'il avait renoncé à la victoire... ' Manifestement, Ballerini avait eu la même pensée. Sa naïveté le perdit.
Aimé, choyé, admiré, Gilbert Duclos-Lassalle donna la réplique jusqu'à son ultime sortie, le Grand Prix d'Isbergues 1995, qu'il enflamma de bout en bout. Pour son malheur, ses partenaires d'échappée, Frank Corvers, le futur vainqueur, et Sammy Moreels défendaient tous deux les couleurs de Lotto. Pris en tenaille, le vétéran dut se contenter de la deuxième place, à maints égards magnifique. ' Duclos meurt en héros ', titra Francis Contenseaux dans L'Équipe3.
Il ne restait qu'à saluer.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Duclos en bref
* Né le 25 août 1954 à Lembeye.
* Professionnel chez Peugeot (1977 à 1986), Z (1987 à 1992), Gan (1993 à 1995).
* Principales victoires : Paris-Nice 1980 ; Tour de Corse 1980, 1982 ; Étoile des Espoirs 1980, 1984 ; G.P. de Plouay 1981, 1987 ; T. de l'Oise 1982, 1986 ; Bordeaux-Paris 1983 ; T. de Suède 1986 ; Midi-Libre 1991 ; Paris-Roubaix 1992, 1993. Lauréat du Prestige Pernod 1983.
1 Pierre Chany, L'Album 92 du cyclisme, Éditions du Trophée, 1992, p. 89.
2 Pierre Chany, L'Album 93 du cyclisme, Scanéditions, 1993, p. 54.
3 L'Équipe du 18 septembre 1995.
Gilbert Duclos-Lasalle, le souffle du héros
Avec dix-neuf saisons chez les professionnels, il mena l'une des plus longues carrières de tout le cyclisme français. Une carrière marquée aussi par de prestigieux succès. Portrait de Gilbert Duclos-Lassalle, héros de naguère...
Finalement, qu'aura-t-il manqué pour que Gilbert Duclos-Lassalle, professionnel de 1977 à 1995, réussisse entièrement sa longue carrière ? De la chance ? Du génie ?... L'évidence est qu'il eût mérité ce titre de champion de France sur route après lequel il courut en vain, étant moins l'homme des circuits que des folles échappées. Il eût mérité aussi de porter le maillot jaune, ne serait-ce qu'une journée, comme le firent Jacques Bossis et Jean-René Bernaudeau, deux anciens de l'équipe Peugeot. Et il méritait, bien sûr, de gagner une étape du Tour de France, à commencer par celle, inoubliable, qui se terminait à Roubaix, en 1981. Autrement dit, Gilbert Duclos-Lassalle, vingt-six ans à l'époque, arrivait dans son jardin. N'avait-il pas démontré la saison précédente, avec une deuxième place dans ' l'Enfer du Nord ', qu'il était un fameux passeur de pavés ? Seulement, au soir de cette rude bataille, le Béarnais omit de resserrer sa courroie de cale-pied. Il déchaussa en plein sprint, alors qu'il prenait l'avantage sur son dernier compagnon, le Belge Daniel Willems. Sa détresse fut immense.
La presse tenta de le consoler : de bons et louangeurs articles, tels qu'il en lirait par centaines au cours de sa vie sportive. Mais le solide routier ne retrouva jamais une pareille occasion ; et s'il parvint à signer de ponctuels coups d'éclat (troisième du prologue du Tour d'Espagne 1985, deuxième d'une étape sur le Tour de France 1988, troisième d'une étape du Giro en 1990), il fallut admettre qu'il peinait dans les grands Tours. D'où son palmarès incomplet, particulièrement au mois de juillet... Tout se passait comme si cet athlète d'1 m 80 y payait ses efforts du printemps.
Sacré Duclos ! C'était un brave, un grognard toujours volontaire pour la première ligne d'assaut. Avec beaucoup d'intelligence, il mettait les bouchées doubles en hiver, puis débarquait sur la Côte d'Azur avec l'œil d'un chasseur aux aguets. Ainsi tombèrent dans son escarcelle un Tour de Corse, un Paris-Nice et un Tour du Tarn en 1980, un deuxième Tour de Corse et un Tour de l'Oise en 1982, un Tour de Midi-Pyrénées en 1983, un deuxième Tour de l'Oise et un Tour de Suède en 1986, jusqu'au Grand Prix du Midi-Libre 1991 qu'il enleva avec une énergie farouche ! Au bout du compte, lauréat d'une douzaine de courses par étapes, Gilbert Duclos-Lassalle occupe un rang de choix dans l'histoire du cyclisme français. C'est peu dire qu'il fut le meilleur sous-officier de son temps.
Oui, sous le règne des Hinault, Moser, Saronni, Raas, Knetemann, ou dans le sillage aérien de Roger De Vlaeminck, il comprenait ses limites : celles d'un sous-officier, aide de camp des prodiges. Mais, encore une fois, affirmons que, parmi tous ceux de sa classe, il était le meilleur, le plus brave ! C'est au point que dans Paris-Roubaix, ' la reine des classiques ', il se projeta au timon des affaires, partageant les relais avec Raas, Moser, Hinault, De Vlaeminck et De Wolf dans les années quatre-vingt, puis ouvrant la voie pour des hommes qui auraient pu être ses fils ! ' C'est ma course ', répétait-il à l'envi, avec ce rictus carnassier qui rappelait Bernard Hinault (dans l'action, l'un et l'autre avaient la même façon de serrer les dents)... À la vérité, il semblait plutôt que sa course fût Bordeaux-Paris, l'aventure aux six cents kilomètres. Résistant, habile et véloce derrière derny, il y trouva un terrain d'expression naturel, gagnant l'édition 1983, puis finissant deuxième en 1985, quatrième en 1986, deuxième en 1987, neuvième en 1988. Si l'épreuve n'avait pas disparu du calendrier en 1989, sans doute l'aurait-il conquise à plusieurs reprises. Il l'avait dans la peau.
Cette disparition fut sa chance. Faute de mieux, en effet, le Français se concentra exclusivement sur Paris-Roubaix, assurant à qui voulait l'entendre qu'il n'avait pas dételé. La preuve ? Quatrième en 1989, sixième en 1990, douzième en 1991 à plus de trente-sept ans : il tournait autour, pareil à ces doublures qui récitent leur texte les yeux fermés, rêvant qu'un jour, peut-être... Eh bien, ce jour tant espéré arriva. Le 12 avril 1992, après quarante kilomètres d'échappée solitaire, Gilbert Duclos-Lassalle entra victorieux dans le vélodrome de Roubaix, fêté par un public ivre de joie. ' Paris-Roubaix est fait pour les coureurs parvenus à maturité. Moi, ça me laisse encore de l'espoir !'1, expliqua-t-il aussitôt, pour qu'on se le tînt pour dit. Parce que l'incroyable était à venir : un second succès consécutif ! Un succès arraché au sprint, pour trois centimètres, face à un Franco Ballerini nettement supérieur, mais totalement mystifié ! Que lui avait donc raconté le vieux soldat ? Seuls les intéressés le savent ; mais Pierre Chany s'en amusa franchement. ' Duclos-Lassalle, s'il est un beau coureur, est aussi un peu magicien ! '2, écrivit-il. Et d'ajouter cet aveu qui servirait d'analyse : ' Nous pensâmes un instant que ' Gibus ' s'était rendu, qu'il avait renoncé à la victoire... ' Manifestement, Ballerini avait eu la même pensée. Sa naïveté le perdit.
Aimé, choyé, admiré, Gilbert Duclos-Lassalle donna la réplique jusqu'à son ultime sortie, le Grand Prix d'Isbergues 1995, qu'il enflamma de bout en bout. Pour son malheur, ses partenaires d'échappée, Frank Corvers, le futur vainqueur, et Sammy Moreels défendaient tous deux les couleurs de Lotto. Pris en tenaille, le vétéran dut se contenter de la deuxième place, à maints égards magnifique. ' Duclos meurt en héros ', titra Francis Contenseaux dans L'Équipe3.
Il ne restait qu'à saluer.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Duclos en bref
* Né le 25 août 1954 à Lembeye.
* Professionnel chez Peugeot (1977 à 1986), Z (1987 à 1992), Gan (1993 à 1995).
* Principales victoires : Paris-Nice 1980 ; Tour de Corse 1980, 1982 ; Étoile des Espoirs 1980, 1984 ; G.P. de Plouay 1981, 1987 ; T. de l'Oise 1982, 1986 ; Bordeaux-Paris 1983 ; T. de Suède 1986 ; Midi-Libre 1991 ; Paris-Roubaix 1992, 1993. Lauréat du Prestige Pernod 1983.
1 Pierre Chany, L'Album 92 du cyclisme, Éditions du Trophée, 1992, p. 89.
2 Pierre Chany, L'Album 93 du cyclisme, Scanéditions, 1993, p. 54.
3 L'Équipe du 18 septembre 1995.
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