UNCP UNCP
L'UNCP est le syndicat professionnel des coureurs cyclistes français.
Syndicat de service et de dialogue constructif.
Créé il y a plus de 60 ans, il a pour vocation la représentation des coureurs et la défense de leurs intérêts collectifs et individuels.
contact@uncp.net . Comité Directeur . UNCP 161 Chemin du Buisson – 38110 DOLOMIEU
  • Route Pro Championnats de France Cassel 2023 - Photo Bruno Bade
  • Route Pro Photo Bruno Bade
  • Route d’Occitanie 2020 Photo Bruno Bade
  • Tro Bro Leon 2019 Photo Bruno Bade
  • Paris Camembert 2020 Photo Bruno Bade
jquery slider by WOWSlider.com v7.6

Jean Dotto, le petit maître...


Aux yeux du public, il reste le premier vainqueur français de la Vuelta. C'était en 1955, au temps des plus grands du cyclisme. C'est dire si Jean Dotto, surnommé ' le vigneron de Cabasse ' a bien mérité de son sport. Portrait de celui qui fut aussi, des années durant, le roi des courses de côte...


S'il avait été peintre, on eût parlé de Jean Dotto comme d'' un petit maître '. C'est-à-dire un personnage au talent suffisamment sûr pour qu'on pût écrire qu'il possédait un style, et laissa une oeuvre. En l'espèce, l'oeuvre s'articule autour du Critérium du Dauphiné-Libéré, qu'il s'adjugea en 1952 et en 1960, du Tour d'Espagne, où il s'imposa en 1955, et du Tour de France, qu'il disputa à treize reprises, gagnant même l'étape Briançon-Aix-les-Bains en 1954, après trois jours passés dans les Alpes. Quant au style, ce fut celui d'un jeune homme partagé, à la fois intenable dans les cols et discret dans la vie. La rumeur prétendait qu'il se méfiait autant de la gloire que son ami Édouard Fachleitner se méfiait des amphétamines... Moyennant quoi, de saison en saison, et malgré quelques envolées prestigieuses, Jean Dotto réduisit ses rendez-vous aux courses de côte. Les plus célèbres étaient celles du Mont-Faron, du Mont-Ventoux, de la Turbie, du Puy-de-Dôme et du Mont-Agel. Il les épingla toutes, ce qui ne l'empêcha pas de décrocher, également, d'autres courses de côte moins réputées ! Répétons-le : en montagne, c'était un petit maître. Il avait l'estime des champions.

Dans les pelotons de Virenque, où les vrais grimpeurs se comptaient sur les doigts d'une main, il aurait triomphé chaque dimanche. Seulement, Jean-Baptiste Dotto, dit Jean, avait vu le jour en 1928 (né de père italien à Saint-Nazaire, en Loire-Atlantique, ce qui navrait le Provençal adoptif qu'il était), et cette circonstance le condamnait à guerroyer contre Bartali, Coppi, Kubler, Koblet, Robic, Bobet, Gaul, Bahamontès, tandis que Jacques Anquetil s'annonçait... Avec le tempérament d'un Geminiani, il aurait pu, selon la formule consacrée, ' foncer dans le tas ' ; on sait que son caractère le portait à davantage de retenue... Pour autant,  se tenir n'était pas renoncer. S'il n'affichait jamais d'ambitions tonitruantes, il avait oublié d'être sot. Il savait attendre... Il savait bondir... C'est d'ailleurs parce qu'il savait attendre et bondir qu'il devint, en 1955, le premier Français à enlever le Tour d'Espagne !

L'affaire mérite d'être contée. Cette année-là, en effet, la course, totalement réorganisée, avait attiré Gastone Nencini, Fiorenzo Magni, le sprinter Miguel Poblet, Federico Bahamontès et Jesus Lorono, ces deux-là désignés pour enflammer les cols. Côté français, Geminiani emmenait une troupe solide, au sein de laquelle Bauvin, Lauredi et Dotto se partageaient les galons de lieutenant. Le directeur sportif était Sauveur Ducazeaux, un ancien vainqueur d'étape sur le Tour de France, quelquefois un maître à courir... ' Faites diversion ! ', commanda-t-il ainsi à ses hommes le dixième jour, alors que l'épreuve quittait les artères de Valence. C'était bien vu, car il y avait le feu. Certes, Geminiani gardait le maillot amarillo, mais les Espagnols multipliaient les attaques, espérant relever l'honneur national. D'où cette nécessité de faire diversion...

Jean Dotto se dévoua. Effectivement, c'était un grimpeur, mais c'était de surcroît un équipier modèle qui avait servi Bobet en plusieurs occasions. Sur la route de Cuenca, flanqué du local Jimenez Quillez et de l'Italien Uliana, il prit donc les devants, tirant généreusement des bouts droits. Derrière ? Eh bien ! derrière, chacun s'observait, au grand dam de Geminiani qui voyait le brave Dotto devenir leader à son tour. Allait-il, lui, Senor Gem, se laisser enterrer de la sorte ? C'était mal le connaître ! Mais c'était aussi mal connaître Ducazeaux que de l'imaginer prenant le risque de tout perdre ! ' Tu veux sauver ton maillot ? lui dit-il. Je t'accorde vingt minutes pour rejoindre Dotto. Si tu ne l'as pas rejoint dans vingt minutes, tu te relèves et attends le peloton. (1) '

Geminiani s'épuisa une dizaine de kilomètres puis abdiqua, convenant que Dotto ne cèderait pas l'avance légitimement acquise. Jean Dotto, à cette époque, avait vingt-sept ans, beaucoup d'expérience et de forces. L'année précédente, sous les couleurs de l'équipe du Sud-Est, il avait terminé le Tour de France en quatrième position, démontrant qu'il évoluait désormais au meilleur de son art. Et puis, pour ne rien gâter, il plaisait au public, sa gentillesse et ses ascendants (ses parents cultivaient la vigne dans le Var) l'ayant définitivement fait adopter sous le surnom du ' vigneron de Cabasse '.

Si cette victoire historique dans la Vuelta lui valut un hommage unanime, Jean Dotto préférait se souvenir, à l'heure du bilan, qu'il avait remporté deux Critériums du Dauphiné, l'un en 1952, après avoir dominé Lauredi dans la Chartreuse, le second en 1960, au soir d'une lutte épique contre Mastrotto et un débutant appelé Poulidor. En d'autres termes, comme le bon vin qui lui était cher, ce spécialiste des courses de côte avait su se bonifier en prenant de l'âge. Avec plus de chance, il aurait même pu gagner une nouvelle étape du Tour de France en 1961. Il se consola en ajoutant à son palmarès le Prix d'Avenières en 1961, le Prix de Peyrat-le-Château en 1962, le Prix de Céré en 1963. Alors, il choisit de se retirer, la conscience tranquille, après treize licences chez les professionnels. Que pouvait-il faire encore ? Il était déjà, pour toujours, le ' vigneron de Cabasse ', premier vainqueur français du Tour d'Espagne.

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.

Dotto en bref

* Né Italien le 27 mars 1928 à Saint-Nazaire et naturalisé Français le 1er septembre 1937. Décédé le 20 février 2000 à Ollioules.
* Se révèle à vingt ans, chez les indépendants, en remportant la course de côte du Mont-Ventoux 1948. Il passe professionnel chez France Sport (1950 à 1953), Terrot et Magnat-Debon (1954), Vampire (1955), Saint-Raphaël (1956), Libéria (1957 à 1962), Margnat-Paloma (1963).
* Principales victoires : Course de côte de la Turbie 1950, 1951 ; du Mont-Faron 1951, 1952, 1953, 1954 ; du Puy-de-Dôme 1952 ; du Mont-Agel 1951, 1952 ; de Gourdon 1953 ; du Mont-Coudon 1953, 1954. Critérium du Dauphiné-Libéré 1952, 1960 ; Tour d'Espagne 1955 + une étape du Tour de France 1954 et une étape du Tour d'Italie 1955.


(1) Voir Pierre Chany, La Fabuleuse Histoire du Cyclisme, O.D.I.L., 1975, p. 545.

Jean Dotto, le petit maître...


Aux yeux du public, il reste le premier vainqueur français de la Vuelta. C'était en 1955, au temps des plus grands du cyclisme. C'est dire si Jean Dotto, surnommé ' le vigneron de Cabasse ' a bien mérité de son sport. Portrait de celui qui fut aussi, des années durant, le roi des courses de côte...


S'il avait été peintre, on eût parlé de Jean Dotto comme d'' un petit maître '. C'est-à-dire un personnage au talent suffisamment sûr pour qu'on pût écrire qu'il possédait un style, et laissa une oeuvre. En l'espèce, l'oeuvre s'articule autour du Critérium du Dauphiné-Libéré, qu'il s'adjugea en 1952 et en 1960, du Tour d'Espagne, où il s'imposa en 1955, et du Tour de France, qu'il disputa à treize reprises, gagnant même l'étape Briançon-Aix-les-Bains en 1954, après trois jours passés dans les Alpes. Quant au style, ce fut celui d'un jeune homme partagé, à la fois intenable dans les cols et discret dans la vie. La rumeur prétendait qu'il se méfiait autant de la gloire que son ami Édouard Fachleitner se méfiait des amphétamines... Moyennant quoi, de saison en saison, et malgré quelques envolées prestigieuses, Jean Dotto réduisit ses rendez-vous aux courses de côte. Les plus célèbres étaient celles du Mont-Faron, du Mont-Ventoux, de la Turbie, du Puy-de-Dôme et du Mont-Agel. Il les épingla toutes, ce qui ne l'empêcha pas de décrocher, également, d'autres courses de côte moins réputées ! Répétons-le : en montagne, c'était un petit maître. Il avait l'estime des champions.

Dans les pelotons de Virenque, où les vrais grimpeurs se comptaient sur les doigts d'une main, il aurait triomphé chaque dimanche. Seulement, Jean-Baptiste Dotto, dit Jean, avait vu le jour en 1928 (né de père italien à Saint-Nazaire, en Loire-Atlantique, ce qui navrait le Provençal adoptif qu'il était), et cette circonstance le condamnait à guerroyer contre Bartali, Coppi, Kubler, Koblet, Robic, Bobet, Gaul, Bahamontès, tandis que Jacques Anquetil s'annonçait... Avec le tempérament d'un Geminiani, il aurait pu, selon la formule consacrée, ' foncer dans le tas ' ; on sait que son caractère le portait à davantage de retenue... Pour autant,  se tenir n'était pas renoncer. S'il n'affichait jamais d'ambitions tonitruantes, il avait oublié d'être sot. Il savait attendre... Il savait bondir... C'est d'ailleurs parce qu'il savait attendre et bondir qu'il devint, en 1955, le premier Français à enlever le Tour d'Espagne !

L'affaire mérite d'être contée. Cette année-là, en effet, la course, totalement réorganisée, avait attiré Gastone Nencini, Fiorenzo Magni, le sprinter Miguel Poblet, Federico Bahamontès et Jesus Lorono, ces deux-là désignés pour enflammer les cols. Côté français, Geminiani emmenait une troupe solide, au sein de laquelle Bauvin, Lauredi et Dotto se partageaient les galons de lieutenant. Le directeur sportif était Sauveur Ducazeaux, un ancien vainqueur d'étape sur le Tour de France, quelquefois un maître à courir... ' Faites diversion ! ', commanda-t-il ainsi à ses hommes le dixième jour, alors que l'épreuve quittait les artères de Valence. C'était bien vu, car il y avait le feu. Certes, Geminiani gardait le maillot amarillo, mais les Espagnols multipliaient les attaques, espérant relever l'honneur national. D'où cette nécessité de faire diversion...

Jean Dotto se dévoua. Effectivement, c'était un grimpeur, mais c'était de surcroît un équipier modèle qui avait servi Bobet en plusieurs occasions. Sur la route de Cuenca, flanqué du local Jimenez Quillez et de l'Italien Uliana, il prit donc les devants, tirant généreusement des bouts droits. Derrière ? Eh bien ! derrière, chacun s'observait, au grand dam de Geminiani qui voyait le brave Dotto devenir leader à son tour. Allait-il, lui, Senor Gem, se laisser enterrer de la sorte ? C'était mal le connaître ! Mais c'était aussi mal connaître Ducazeaux que de l'imaginer prenant le risque de tout perdre ! ' Tu veux sauver ton maillot ? lui dit-il. Je t'accorde vingt minutes pour rejoindre Dotto. Si tu ne l'as pas rejoint dans vingt minutes, tu te relèves et attends le peloton. (1) '

Geminiani s'épuisa une dizaine de kilomètres puis abdiqua, convenant que Dotto ne cèderait pas l'avance légitimement acquise. Jean Dotto, à cette époque, avait vingt-sept ans, beaucoup d'expérience et de forces. L'année précédente, sous les couleurs de l'équipe du Sud-Est, il avait terminé le Tour de France en quatrième position, démontrant qu'il évoluait désormais au meilleur de son art. Et puis, pour ne rien gâter, il plaisait au public, sa gentillesse et ses ascendants (ses parents cultivaient la vigne dans le Var) l'ayant définitivement fait adopter sous le surnom du ' vigneron de Cabasse '.

Si cette victoire historique dans la Vuelta lui valut un hommage unanime, Jean Dotto préférait se souvenir, à l'heure du bilan, qu'il avait remporté deux Critériums du Dauphiné, l'un en 1952, après avoir dominé Lauredi dans la Chartreuse, le second en 1960, au soir d'une lutte épique contre Mastrotto et un débutant appelé Poulidor. En d'autres termes, comme le bon vin qui lui était cher, ce spécialiste des courses de côte avait su se bonifier en prenant de l'âge. Avec plus de chance, il aurait même pu gagner une nouvelle étape du Tour de France en 1961. Il se consola en ajoutant à son palmarès le Prix d'Avenières en 1961, le Prix de Peyrat-le-Château en 1962, le Prix de Céré en 1963. Alors, il choisit de se retirer, la conscience tranquille, après treize licences chez les professionnels. Que pouvait-il faire encore ? Il était déjà, pour toujours, le ' vigneron de Cabasse ', premier vainqueur français du Tour d'Espagne.

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.

Dotto en bref

* Né Italien le 27 mars 1928 à Saint-Nazaire et naturalisé Français le 1er septembre 1937. Décédé le 20 février 2000 à Ollioules.
* Se révèle à vingt ans, chez les indépendants, en remportant la course de côte du Mont-Ventoux 1948. Il passe professionnel chez France Sport (1950 à 1953), Terrot et Magnat-Debon (1954), Vampire (1955), Saint-Raphaël (1956), Libéria (1957 à 1962), Margnat-Paloma (1963).
* Principales victoires : Course de côte de la Turbie 1950, 1951 ; du Mont-Faron 1951, 1952, 1953, 1954 ; du Puy-de-Dôme 1952 ; du Mont-Agel 1951, 1952 ; de Gourdon 1953 ; du Mont-Coudon 1953, 1954. Critérium du Dauphiné-Libéré 1952, 1960 ; Tour d'Espagne 1955 + une étape du Tour de France 1954 et une étape du Tour d'Italie 1955.


(1) Voir Pierre Chany, La Fabuleuse Histoire du Cyclisme, O.D.I.L., 1975, p. 545.