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Henri Desgrange, de records en chimères...
Avant de devenir un célèbre patron de presse et le créateur du Tour de France, Henri Desgrange fut un champion amateur de haut rang, qui établit le premier record de l'heure de l'histoire. Portrait d'un homme aux multiples facettes...
Quelle taille faisait-il ? 1 mètre 68, 1 mètre 69 ou 1 mètre 70 comme l'ont dit les greffiers de son temps ? Le sûr est qu'il était un géant, et que son œuvre, haussée par l'histoire, lui vaut une admiration planétaire. On passera sur L'Auto, quotidien sportif dont il fut l'âme un demi-siècle durant : c'est un sujet connu, que la Libération a soldé. Mais le Tour de France !... Comment taire qu'Henri Desgrange l'a fait naître en 1903, alors que la roue libre était à peine inventée. Car Desgrange, par nature, n'y allait pas de main morte. Il aimait le risque et l'effort, le courage, le travail, l'argent et la force. ' Un bon conseil : ne te laisse jamais marcher sur les pieds. Ne sois pas hargneux, ni mauvais camarade ; mais tombe vigoureusement sur le premier qui te manque ', avait-il écrit en amorce de La Tête et les jambes, son fameux manuel d'entraînement1. Fusaient ensuite des considérations malsonnantes sur l'utilisation des femmes pour l'hygiène du coursier - ' Tu auras soin de les choisir d'une intelligence au-dessous de la moyenne, ce qui sera je crois très facile : il n'y a qu'à taper dans le tas. '2 On le répète : Desgrange n'y allait pas de main morte ! Sa seule prudence touchait à Dreyfus, qu'il refusait de juger publiquement. Mais, pour le reste, mille projets, mille oukases et les rêves les plus fous. Sans son air hautain de grand bourgeois, on aurait pu prendre ce barbu encore maigre pour un nouveau Don Quichotte !
Il voulait changer les hommes, les voir moins sots, moins pâles et vainqueurs. Dans ce dessein, il prônait le développement de la bicyclette, machine révolutionnaire dont Charles Terront avait montré, en septembre 1891, sur l'interminable Paris-Brest-Paris, les formidables ressources. Qu'on se rende compte : 1 200 bornes avalées d'une traite, à près de 17 kilomètres-heure de moyenne ! C'est peu dire que Desgrange en était resté bouche bée, ne sachant s'il fallait saluer d'abord le véhicule, le champion ou saluer Pierre Giffard, l'épatant journaliste qui avait organisé l'épreuve... Quoi qu'il en fût, ce fils de bonne famille était conquis ; dès qu'il avait le moindre loisir, il troquait son costume de clerc d'avoué contre la tenue d'un coureur. Son arène ? Le vélodrome de l'Est, avenue de Charenton, où l'accueillait immanquablement un jeune contrôleur au visage rose, répondant au nom de Victor Goddet. Bientôt, ces deux-là deviendraient inséparables, formant un redoutable tandem en affaires...
Pour l'heure, Henri Desgrange s'escrimait. C'était, en 1893, un assez bel athlète de vingt-huit ans (il était né à Paris) qui avait pris l'habitude de se distinguer sur route et sur piste. Dans la noria compliquée des courses de l'époque, une fiche signalétique lui attribue, au chapitre des victoires, ' cinq premiers prix ' et ' un championnat '3. Mais sa véritable réputation, l'amateur Desgrange la devait à sa quête effrénée des records, ceux-ci innombrables dans un sport qui pointait méticuleusement les temps en bicycle ou tricycle, sur 100 mètres, 200 mètres, 333,33 mètres (le tour de piste), 1/4 de mille, 500 mètres, 1/2 mille, 1000 mètres, 3/4 de mille, mille, 2000 mètres, etc., jusqu'à 100 kilomètres ! Bref, il y avait profusion, sauf en ce qui concerne le record de l'heure sans entraîneur, terrain officiellement vierge. Avec beaucoup d'à-propos, le futur créateur du Tour de France s'engouffra dans la brèche pour jeter sur le ciment de Buffalo, à Neuilly, le jeudi 11 mai 1893, ce qui demeurerait le premier record de l'heure de l'histoire. ' Lorsque je descendis de vélo, j'étais sale, huileux, morveux, poussiéreux, bref, à ne pas toucher avec des pincettes. Mais, mon Dieu, que j'étais content ', se souviendrait-il en 19394. Pourtant, sa performance - 35,325 kilomètres parcourus - ne soulignait que sa propre valeur, nettement en deçà des meilleures marques du moment. Quand il se mettrait en piste, Jules Dubois, lui, porterait le record à 38,220 kilomètres !
Qu'importe le flacon... Tout morveux qu'il était, Desgrange eut le bon sens d'exploiter la forme de sa vie, et d'ajouter à son palmarès, dans les semaines qui suivirent, huit records sans entraîneur, dont celui des 100 kilomètres en 3 h 4 mn 7 sec 3/5, puis, le 14 septembre, celui des 6 heures, avec une distance de 183,34 kilomètres5. Encore une fois, des records perfectibles, mais qui prouvaient cependant qu'à force de remettre l'ouvrage sur le métier, le méthodique homme en noir - la couleur de son maillot frappé d'une chimère blanche - savait de quoi il parlait ! D'ailleurs, il s'appliquait tel un pro, multipliant les longues sorties en campagne. Ainsi se retrouva-t-il un soir le vélo dans les mains, entre Mantes et Évreux, à la suite d'un accrochage avec un fardier. Que faire ? Il se posait la question lorsque surgit à l'horizon une silhouette trapue - le croirez-vous ? Charles Terront en personne, c'est-à-dire le plus illustre cycliste de la terre. Celui-ci, bien entendu, retapa la bécane et remit Desgrange en selle. ' Si t'es pas trop gourde, rit-il, tu dois faire ton parcours et pouvoir revenir à Paris ! '6
Pas trop gourde, Henri Desgrange l'était. Selon René Chesal, ancien secrétaire général de la Fédération française de cyclisme, il arrêta sa carrière en 1895, après avoir établi à Bordeaux, sur l'anneau Mondésir, un dernier record du monde suranné : 2 h 41 mn 58 sec 1/5 pour les 100 kilomètres en tricycle avec entraîneurs7. Et puis, comme chacun sait, il fit son parcours... Sur tous les maillots jaunes, on peut lire sa prestigieuse griffe, indélébile. Il signait : ' HD '.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Desgrange en bref
* Né le 31 janvier 1865 à Paris. Décédé le 16 août 1940.
* Coureur amateur de 1891 à 1895. Devenu journaliste, il créa le quotidien L'Auto-Vélo puis la course cycliste Marseille-Paris en 1902 et le Tour de France en 1903.
Ses principaux records : sans entraîneur : Heure avec 35,325 km ; 100 kilomètres en 3 h 4 mn 7 sec 3/5 ; 6 heures avec 183,34 km ; avec entraîneurs : 100 kilomètres en tricycle en 2 h 41 mn 58 sec 1/5.
1 H. Desgrange, La Tête et les jambes, Imp. Richard, 1894, p. 20.
2 Ibid, p. 31.
3 Fiche reproduite par J. Marchand dans Les défricheurs de la presse sportive, Atlantica, 1999, p. 131.
4 J. Marchand, Les Patrons du Tour, Atlantica, 2003, p. 36.
5 Cité par J. Seray et J. Lablaine dans Henri Desgrange, l'homme qui créa le Tour de France, Éd. Cristel, 2006, p. 32.
6 In L'Auto du 2 novembre 1932.
7 Voir Les Patrons du Tour, op. cit., p. 37.
Henri Desgrange, de records en chimères...
Avant de devenir un célèbre patron de presse et le créateur du Tour de France, Henri Desgrange fut un champion amateur de haut rang, qui établit le premier record de l'heure de l'histoire. Portrait d'un homme aux multiples facettes...
Quelle taille faisait-il ? 1 mètre 68, 1 mètre 69 ou 1 mètre 70 comme l'ont dit les greffiers de son temps ? Le sûr est qu'il était un géant, et que son œuvre, haussée par l'histoire, lui vaut une admiration planétaire. On passera sur L'Auto, quotidien sportif dont il fut l'âme un demi-siècle durant : c'est un sujet connu, que la Libération a soldé. Mais le Tour de France !... Comment taire qu'Henri Desgrange l'a fait naître en 1903, alors que la roue libre était à peine inventée. Car Desgrange, par nature, n'y allait pas de main morte. Il aimait le risque et l'effort, le courage, le travail, l'argent et la force. ' Un bon conseil : ne te laisse jamais marcher sur les pieds. Ne sois pas hargneux, ni mauvais camarade ; mais tombe vigoureusement sur le premier qui te manque ', avait-il écrit en amorce de La Tête et les jambes, son fameux manuel d'entraînement1. Fusaient ensuite des considérations malsonnantes sur l'utilisation des femmes pour l'hygiène du coursier - ' Tu auras soin de les choisir d'une intelligence au-dessous de la moyenne, ce qui sera je crois très facile : il n'y a qu'à taper dans le tas. '2 On le répète : Desgrange n'y allait pas de main morte ! Sa seule prudence touchait à Dreyfus, qu'il refusait de juger publiquement. Mais, pour le reste, mille projets, mille oukases et les rêves les plus fous. Sans son air hautain de grand bourgeois, on aurait pu prendre ce barbu encore maigre pour un nouveau Don Quichotte !
Il voulait changer les hommes, les voir moins sots, moins pâles et vainqueurs. Dans ce dessein, il prônait le développement de la bicyclette, machine révolutionnaire dont Charles Terront avait montré, en septembre 1891, sur l'interminable Paris-Brest-Paris, les formidables ressources. Qu'on se rende compte : 1 200 bornes avalées d'une traite, à près de 17 kilomètres-heure de moyenne ! C'est peu dire que Desgrange en était resté bouche bée, ne sachant s'il fallait saluer d'abord le véhicule, le champion ou saluer Pierre Giffard, l'épatant journaliste qui avait organisé l'épreuve... Quoi qu'il en fût, ce fils de bonne famille était conquis ; dès qu'il avait le moindre loisir, il troquait son costume de clerc d'avoué contre la tenue d'un coureur. Son arène ? Le vélodrome de l'Est, avenue de Charenton, où l'accueillait immanquablement un jeune contrôleur au visage rose, répondant au nom de Victor Goddet. Bientôt, ces deux-là deviendraient inséparables, formant un redoutable tandem en affaires...
Pour l'heure, Henri Desgrange s'escrimait. C'était, en 1893, un assez bel athlète de vingt-huit ans (il était né à Paris) qui avait pris l'habitude de se distinguer sur route et sur piste. Dans la noria compliquée des courses de l'époque, une fiche signalétique lui attribue, au chapitre des victoires, ' cinq premiers prix ' et ' un championnat '3. Mais sa véritable réputation, l'amateur Desgrange la devait à sa quête effrénée des records, ceux-ci innombrables dans un sport qui pointait méticuleusement les temps en bicycle ou tricycle, sur 100 mètres, 200 mètres, 333,33 mètres (le tour de piste), 1/4 de mille, 500 mètres, 1/2 mille, 1000 mètres, 3/4 de mille, mille, 2000 mètres, etc., jusqu'à 100 kilomètres ! Bref, il y avait profusion, sauf en ce qui concerne le record de l'heure sans entraîneur, terrain officiellement vierge. Avec beaucoup d'à-propos, le futur créateur du Tour de France s'engouffra dans la brèche pour jeter sur le ciment de Buffalo, à Neuilly, le jeudi 11 mai 1893, ce qui demeurerait le premier record de l'heure de l'histoire. ' Lorsque je descendis de vélo, j'étais sale, huileux, morveux, poussiéreux, bref, à ne pas toucher avec des pincettes. Mais, mon Dieu, que j'étais content ', se souviendrait-il en 19394. Pourtant, sa performance - 35,325 kilomètres parcourus - ne soulignait que sa propre valeur, nettement en deçà des meilleures marques du moment. Quand il se mettrait en piste, Jules Dubois, lui, porterait le record à 38,220 kilomètres !
Qu'importe le flacon... Tout morveux qu'il était, Desgrange eut le bon sens d'exploiter la forme de sa vie, et d'ajouter à son palmarès, dans les semaines qui suivirent, huit records sans entraîneur, dont celui des 100 kilomètres en 3 h 4 mn 7 sec 3/5, puis, le 14 septembre, celui des 6 heures, avec une distance de 183,34 kilomètres5. Encore une fois, des records perfectibles, mais qui prouvaient cependant qu'à force de remettre l'ouvrage sur le métier, le méthodique homme en noir - la couleur de son maillot frappé d'une chimère blanche - savait de quoi il parlait ! D'ailleurs, il s'appliquait tel un pro, multipliant les longues sorties en campagne. Ainsi se retrouva-t-il un soir le vélo dans les mains, entre Mantes et Évreux, à la suite d'un accrochage avec un fardier. Que faire ? Il se posait la question lorsque surgit à l'horizon une silhouette trapue - le croirez-vous ? Charles Terront en personne, c'est-à-dire le plus illustre cycliste de la terre. Celui-ci, bien entendu, retapa la bécane et remit Desgrange en selle. ' Si t'es pas trop gourde, rit-il, tu dois faire ton parcours et pouvoir revenir à Paris ! '6
Pas trop gourde, Henri Desgrange l'était. Selon René Chesal, ancien secrétaire général de la Fédération française de cyclisme, il arrêta sa carrière en 1895, après avoir établi à Bordeaux, sur l'anneau Mondésir, un dernier record du monde suranné : 2 h 41 mn 58 sec 1/5 pour les 100 kilomètres en tricycle avec entraîneurs7. Et puis, comme chacun sait, il fit son parcours... Sur tous les maillots jaunes, on peut lire sa prestigieuse griffe, indélébile. Il signait : ' HD '.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Desgrange en bref
* Né le 31 janvier 1865 à Paris. Décédé le 16 août 1940.
* Coureur amateur de 1891 à 1895. Devenu journaliste, il créa le quotidien L'Auto-Vélo puis la course cycliste Marseille-Paris en 1902 et le Tour de France en 1903.
Ses principaux records : sans entraîneur : Heure avec 35,325 km ; 100 kilomètres en 3 h 4 mn 7 sec 3/5 ; 6 heures avec 183,34 km ; avec entraîneurs : 100 kilomètres en tricycle en 2 h 41 mn 58 sec 1/5.
1 H. Desgrange, La Tête et les jambes, Imp. Richard, 1894, p. 20.
2 Ibid, p. 31.
3 Fiche reproduite par J. Marchand dans Les défricheurs de la presse sportive, Atlantica, 1999, p. 131.
4 J. Marchand, Les Patrons du Tour, Atlantica, 2003, p. 36.
5 Cité par J. Seray et J. Lablaine dans Henri Desgrange, l'homme qui créa le Tour de France, Éd. Cristel, 2006, p. 32.
6 In L'Auto du 2 novembre 1932.
7 Voir Les Patrons du Tour, op. cit., p. 37.
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