Gilles Delion, Synonyme d'exemple...
Il est arrivé dans le cyclisme professionnel au pire moment de l'histoire, celui du dopage généralisé et du mensonge. Ce qui ne l'empêcha pas de gagner dix courses sans tricher. Aujourd'hui, son nom reste synonyme d'exemple. Portrait de Gilles Delion...
Sans doute est-ce en mars 1996, au Critérium International, que Gilles Delion comprit qu'il ne devait plus insister. Tout le week-end durant, Gianetti, Vandenbroucke, Virenque, Hervé, Brochard, Leblanc, Copolillo, Stephens, Rous, Boardman avaient régné dans les bosses - et lui-même s'était revu six ans auparavant, lors d'un autre Critérium International, quand il régnait à leur place... Oui, il s'était revu démarrant dans la côte de Vidauque, son équipier Leclercq dans sa roue, et Laurent Fignon à la peine, mais suivant néanmoins. En revanche, Jean-François Bernard, Sean Kelly, Ronan Pensec, Charly Mottet, Miguel Indurain, Rolf Golz, Claude Criquielion, le jeune Laurent Jalabert et Viatcheslav Ekimov n'avaient pu soutenir son rythme ; et les spécialistes s'étaient enthousiasmés pour ce puncheur sans pareil, doué, inspiré, élégant, offensif, en un mot prometteur. N'avait-il pas terminé troisième d'un Grand Prix des Amériques à tout juste vingt-deux ans, alors qu'il émargeait dans les rangs amateurs ? Et ne demeurait-il pas sur une formidable série d'accessits, troisième du Grand Prix de Plouay et deuxième du Tour de Lombardie en 1989, puis troisième de Tirreno-Adriatico, troisième de Milan-San Remo et deuxième, maintenant, au classement final de ce Critérium International 1990 ? ' Je ne commettrai pas l'erreur de vous jurer qu'il va gagner le Tour, mais, de toute évidence, il dispose de qualités largement au-dessus de la moyenne, et je suis persuadé qu'il peut réaliser une grande carrière ', avait prévenu, au cours de l'hiver, son directeur sportif Paul Koechli1. La presse, évidemment, faisait fort écho. Dans L'Équipe, Claude Droussent saluait ce ' coureur professionnel, plus très loin du statut de champion '2, et Jean-Michel Rouet admirait longuement ' l'éclatante jeunesse '3 d'un bel athlète exemplaire, qui jetait son mètre 87 dans les pas des géants. D'ailleurs, l'intéressé prenait date : ' Je peux battre n'importe qui sur une course d'un jour ', convenait-il en juin 1990.4 Quatre mois plus tard, c'était chose faite : après Garrigou, Pélissier, Bobet, Darrigade, Hinault et Mottet, Gilles Delion devenait le septième Français à vaincre en Lombardie.
Désormais, qui l'arrêterait ? Qui arrêterait ce garçon aux multiples références, capable et de s'imposer au sprint, et de s'exprimer poliment ? Car il importe de l'écrire : dans un milieu qui craignait le savoir comme la peste, Gilles Delion, ancien étudiant (il avait abandonné sa formation universitaire en deuxième année de maths-physique pour se consacrer au cyclisme), frappait par ses différences, par son équilibre et ses vertus, sa gentillesse, son intelligence, sa modestie, son intégrité. C'était au point qu'il pouvait expliquer sereinement que jamais il n'avait eu recours au dopage, ni d'une manière, ni d'une autre - et le miracle était que même les vieux suiveurs le croyaient ! Quasiment seul de son espèce, Gilles Delion, routier professionnel, inspirait une confiance absolue dont il usait avec adresse, sans peur, mais sans stigmatiser. Moyennant quoi, le peloton, en pleine régence, se contentait de le tenir sous surveillance. Il se murmurait de toute façon que le Savoyard n'était plus dans le coup...
Si la compétition avait eu un sens, 1991 aurait dû marquer son total épanouissement. Or, de course en course, pour prendre un terme en vigueur, Gilles Delion ' recula '. Lui qui avait souvent animé les classiques italiennes (cinquième du Tour du Piémont et huitième de la Coppa Sabatini en 1988, septième du Tour d'Émilie et septième de Milan-Turin en 1989, deuxième du Tour du Latium, deuxième du Tour d'Émilie, troisième de Milan-Turin, quatrième de la Coupe Placci, sixième de la Coupe Sabatini en 1990), lui qui attaquait volontiers, se trouva subitement dépassé, écrasé, humilié, par les nouveaux campionissimi, dont un certain Claudio Chiappucci, lauréat de Milan-San Remo après 150 kilomètres d'échappée. Que lui arrivait-il ? La question était sur toutes les lèvres ; elle le tarauda encore les saisons suivantes, malgré une victoire d'étape à Valkenburg, lors du Tour de France 1992. Inquiet, déçu, le champion, sujet à de récurrentes fatigues, consulta les médecins. ' À Paris, à Grenoble ou [à Chambéry], tous disent la même chose : ' Vous n'avez rien ! ', reconnut-il, interloqué. Pourtant, sur la route, dès que les vedettes accéléraient, il continuait de céder du terrain. Dans un joli portrait, le journaliste Guy Roger l'a montré tel qu'il vivait au jour le jour : ' Des yeux embués, des silences. ' Comme les enfants d'une sale guerre, il pleurait la perte de ses meilleures années.
Parce que, bien sûr, il n'était dupe de rien. Il savait... Il savait que, par-delà ses propres sautes de forme, le dopage sanguin, de plus en plus utilisé par ses adversaires, le privait d'une carrière magnifique en un temps où la flambée des salaires l'aurait mis à l'abri du besoin. ' Contre les mecs aux corticos, j'aurais pu lutter. Mais là, face à l'EPO, c'était impossible ', commenterait-il en 20025. D'où sa décision, le 2 mai 1996, de laisser définitivement le champ libre aux Gianetti, Vandenbroucke, Virenque, Hervé, Chiappucci et consorts. Il n'était pas de leur monde.
Au bout du compte, que restera-t-il de Gilles Delion ? Le souvenir d'un prodige fragile mais somptueux, et l'idée d'un parfait honnête homme qui affirma que son immense passion pour le sport cycliste lui interdisait de tricher. Dans le contexte, c'était exceptionnel, pour ne pas dire héroïque. Heureusement, l'histoire témoigne qu'il y avait plus de gloire à gagner le Tour de Lombardie 1990 que la plupart des grandes compétitions modernes.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Gilles Delion en bref
* Né le 5 août 1966 à Saint-Étienne.
* Professionnel sur route de septembre 1988 à mai 1996. Il prolongera sa carrière par cinq saisons de VTT.
Principales victoires : G.P. de Lugano 1989 ; 2e étape Crit. International 1990 ; Tour de Lombardie 1990 ; Classique des Alpes 1992 ; 7e étape Tour de France 1992 ; G.P. d'Ouverture 1992 ; G.P. de Rennes 1992.
1 Miroir du Cyclisme n° 428 de février 1990.
2 L'Équipe du 20 mars 1990.
3 L'Équipe du 14 juillet 1990.
4 Miroir du Cyclisme n° 432.
5 Article d'Yves Perret dans Le Dauphiné.
Gilles Delion, Synonyme d'exemple...
Il est arrivé dans le cyclisme professionnel au pire moment de l'histoire, celui du dopage généralisé et du mensonge. Ce qui ne l'empêcha pas de gagner dix courses sans tricher. Aujourd'hui, son nom reste synonyme d'exemple. Portrait de Gilles Delion...
Sans doute est-ce en mars 1996, au Critérium International, que Gilles Delion comprit qu'il ne devait plus insister. Tout le week-end durant, Gianetti, Vandenbroucke, Virenque, Hervé, Brochard, Leblanc, Copolillo, Stephens, Rous, Boardman avaient régné dans les bosses - et lui-même s'était revu six ans auparavant, lors d'un autre Critérium International, quand il régnait à leur place... Oui, il s'était revu démarrant dans la côte de Vidauque, son équipier Leclercq dans sa roue, et Laurent Fignon à la peine, mais suivant néanmoins. En revanche, Jean-François Bernard, Sean Kelly, Ronan Pensec, Charly Mottet, Miguel Indurain, Rolf Golz, Claude Criquielion, le jeune Laurent Jalabert et Viatcheslav Ekimov n'avaient pu soutenir son rythme ; et les spécialistes s'étaient enthousiasmés pour ce puncheur sans pareil, doué, inspiré, élégant, offensif, en un mot prometteur. N'avait-il pas terminé troisième d'un Grand Prix des Amériques à tout juste vingt-deux ans, alors qu'il émargeait dans les rangs amateurs ? Et ne demeurait-il pas sur une formidable série d'accessits, troisième du Grand Prix de Plouay et deuxième du Tour de Lombardie en 1989, puis troisième de Tirreno-Adriatico, troisième de Milan-San Remo et deuxième, maintenant, au classement final de ce Critérium International 1990 ? ' Je ne commettrai pas l'erreur de vous jurer qu'il va gagner le Tour, mais, de toute évidence, il dispose de qualités largement au-dessus de la moyenne, et je suis persuadé qu'il peut réaliser une grande carrière ', avait prévenu, au cours de l'hiver, son directeur sportif Paul Koechli1. La presse, évidemment, faisait fort écho. Dans L'Équipe, Claude Droussent saluait ce ' coureur professionnel, plus très loin du statut de champion '2, et Jean-Michel Rouet admirait longuement ' l'éclatante jeunesse '3 d'un bel athlète exemplaire, qui jetait son mètre 87 dans les pas des géants. D'ailleurs, l'intéressé prenait date : ' Je peux battre n'importe qui sur une course d'un jour ', convenait-il en juin 1990.4 Quatre mois plus tard, c'était chose faite : après Garrigou, Pélissier, Bobet, Darrigade, Hinault et Mottet, Gilles Delion devenait le septième Français à vaincre en Lombardie.
Désormais, qui l'arrêterait ? Qui arrêterait ce garçon aux multiples références, capable et de s'imposer au sprint, et de s'exprimer poliment ? Car il importe de l'écrire : dans un milieu qui craignait le savoir comme la peste, Gilles Delion, ancien étudiant (il avait abandonné sa formation universitaire en deuxième année de maths-physique pour se consacrer au cyclisme), frappait par ses différences, par son équilibre et ses vertus, sa gentillesse, son intelligence, sa modestie, son intégrité. C'était au point qu'il pouvait expliquer sereinement que jamais il n'avait eu recours au dopage, ni d'une manière, ni d'une autre - et le miracle était que même les vieux suiveurs le croyaient ! Quasiment seul de son espèce, Gilles Delion, routier professionnel, inspirait une confiance absolue dont il usait avec adresse, sans peur, mais sans stigmatiser. Moyennant quoi, le peloton, en pleine régence, se contentait de le tenir sous surveillance. Il se murmurait de toute façon que le Savoyard n'était plus dans le coup...
Si la compétition avait eu un sens, 1991 aurait dû marquer son total épanouissement. Or, de course en course, pour prendre un terme en vigueur, Gilles Delion ' recula '. Lui qui avait souvent animé les classiques italiennes (cinquième du Tour du Piémont et huitième de la Coppa Sabatini en 1988, septième du Tour d'Émilie et septième de Milan-Turin en 1989, deuxième du Tour du Latium, deuxième du Tour d'Émilie, troisième de Milan-Turin, quatrième de la Coupe Placci, sixième de la Coupe Sabatini en 1990), lui qui attaquait volontiers, se trouva subitement dépassé, écrasé, humilié, par les nouveaux campionissimi, dont un certain Claudio Chiappucci, lauréat de Milan-San Remo après 150 kilomètres d'échappée. Que lui arrivait-il ? La question était sur toutes les lèvres ; elle le tarauda encore les saisons suivantes, malgré une victoire d'étape à Valkenburg, lors du Tour de France 1992. Inquiet, déçu, le champion, sujet à de récurrentes fatigues, consulta les médecins. ' À Paris, à Grenoble ou [à Chambéry], tous disent la même chose : ' Vous n'avez rien ! ', reconnut-il, interloqué. Pourtant, sur la route, dès que les vedettes accéléraient, il continuait de céder du terrain. Dans un joli portrait, le journaliste Guy Roger l'a montré tel qu'il vivait au jour le jour : ' Des yeux embués, des silences. ' Comme les enfants d'une sale guerre, il pleurait la perte de ses meilleures années.
Parce que, bien sûr, il n'était dupe de rien. Il savait... Il savait que, par-delà ses propres sautes de forme, le dopage sanguin, de plus en plus utilisé par ses adversaires, le privait d'une carrière magnifique en un temps où la flambée des salaires l'aurait mis à l'abri du besoin. ' Contre les mecs aux corticos, j'aurais pu lutter. Mais là, face à l'EPO, c'était impossible ', commenterait-il en 20025. D'où sa décision, le 2 mai 1996, de laisser définitivement le champ libre aux Gianetti, Vandenbroucke, Virenque, Hervé, Chiappucci et consorts. Il n'était pas de leur monde.
Au bout du compte, que restera-t-il de Gilles Delion ? Le souvenir d'un prodige fragile mais somptueux, et l'idée d'un parfait honnête homme qui affirma que son immense passion pour le sport cycliste lui interdisait de tricher. Dans le contexte, c'était exceptionnel, pour ne pas dire héroïque. Heureusement, l'histoire témoigne qu'il y avait plus de gloire à gagner le Tour de Lombardie 1990 que la plupart des grandes compétitions modernes.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Gilles Delion en bref
* Né le 5 août 1966 à Saint-Étienne.
* Professionnel sur route de septembre 1988 à mai 1996. Il prolongera sa carrière par cinq saisons de VTT.
Principales victoires : G.P. de Lugano 1989 ; 2e étape Crit. International 1990 ; Tour de Lombardie 1990 ; Classique des Alpes 1992 ; 7e étape Tour de France 1992 ; G.P. d'Ouverture 1992 ; G.P. de Rennes 1992.
1 Miroir du Cyclisme n° 428 de février 1990.
2 L'Équipe du 20 mars 1990.
3 L'Équipe du 14 juillet 1990.
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