UNCP UNCP
L'UNCP est le syndicat professionnel des coureurs cyclistes français.
Syndicat de service et de dialogue constructif.
Créé il y a plus de 60 ans, il a pour vocation la représentation des coureurs et la défense de leurs intérêts collectifs et individuels.
contact@uncp.net . Comité Directeur . UNCP 161 Chemin du Buisson – 38110 DOLOMIEU
  • Route Pro Championnats de France Cassel 2023 - Photo Bruno Bade
  • Route Pro Photo Bruno Bade
  • Route d’Occitanie 2020 Photo Bruno Bade
  • Tro Bro Leon 2019 Photo Bruno Bade
  • Paris Camembert 2020 Photo Bruno Bade
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André Chalmel, en son for intérieur...

 
Il enleva le Bordeaux-Paris le plus rapide de l’histoire et porta dignement le maillot de l’équipe de France dans les championnats du monde. Sur la route, c’était une brave ; dans la vie, un homme aimable et dévoué. Portrait d’André Chalmel, ancien président de l’U.N.C.P.… 
  
Il lui a manqué cent quatre-vingts mètres ! Cent quatre-vingts mètres de moins, dans une épreuve longue de 274,800 kilomètres, et il succédait à Gerrit Knetemann au palmarès du championnat du monde. Autant dire qu’André Chalmel, déjà vainqueur en milieu de saison du Bordeaux-Paris le plus rapide de l’histoire, eût changé de statut, et de vie… Hélas, ce dimanche 26 août 1979, sur le difficile circuit de Valkenburg, la dernière ligne droite se révéla interminable ; il finit exsangue, dépassé par Jan Raas, Dietrich Thurau et Jean-René Bernaudeau ! On imagine sa déception, proportionnelle à son exceptionnelle performance. Parce qu’il s’agissait de cela : un chef d’œuvre physique et tactique, alors qu’il militait pour Bernard Hinault, son leader. Puis, dans l’incandescence du combat, il avait maçonné de nouvelles positions pour marquer les principaux attaquants, dont l’élégant Battaglin qui joua son va-tout sur la rampe du Cauberg, à trois kilomètres du but. Après un coup d’œil par-dessus son épaule, André Chalmel choisit de contrer, s’offrant cent mètres d’avance pour aborder la flamme rouge. Derrière, Giovanni Battaglin, bien sûr, et Bernaudeau, et Raas, et surtout l’Allemand Thurau, lequel fonçait sans renâcler, mû par d’étranges ambitions. Avait-il été acheté par le roublard hollandais ? La question fut posée. Seule certitude : Jan Raas, traîné par ses équipiers dans chaque ascension du Cauberg, aurait dû être disqualifié avant la mi-course ! L’incurie des officiels fit son bonheur, et le malheur de Chalmel, battu et spolié…
Amer, le Français n’en tourna pas moins la page. Plusieurs défis l’attendaient… Et puis, peut-être cet homme intelligent et sensible considérait-il, en son for intérieur, qu’un maillot arc-en-ciel eût ététrop lourd à porter… Pour un maillot tricolore, il possédait la carrure (troisième du championnat de France en 1977, huitième en 1978, septième en 1979). Pour le titre suprême, en revanche, il pouvait se juger un peu « court », ayant toujours eu le souci de bien faire, avec des muscles qui n’égalaient pas ceux d’Hinault. Bref, un coureur honnête, qui savait d’où il venait, et sentait où il irait. Son Graal ? Gagner un ou deux autres Bordeaux-Paris, la classique la plus ancienne, la plus longue, la plus éprouvante du calendrier. Il l’aimait et la devinait, illustre dame rafraîchie juste pour lui, pour son vieux sang de lutteur breton. Aussi, dès sa première participation, en 1976, accéda-t-il aux avant-postes, filant des monstres sacrés qui s’appelaient Godefroot et Van Springel, classés dans cet ordre. « La troisième place, écrivit Pierre Chany, revint au jeune Chalmel, lequel avait réalisé une sorte de prodige, compte tenu de son incapacité à trouver le bon abri derrière son entraîneur. Nous l’avions vu flotter dans le vent des heures durant, et nous pouvions l’inscrire, dès lors, parmi les favoris pour 1977. »[1]
Cette promesse, André Chalmel en fut digne. Le 22 mai 1977, non seulement il reconduisit son bail avec la troisième place, mais il n’abandonna ses rêves de victoire qu’au pied de Dourdan, victime d’une irrémédiable crevaison. Que se serait-il passé sans cet injuste coup du sort ? Aurait-il berné Van Springel et Godefroot, ceux-ci plus rivaux qu’équipiers ? Le sûr est qu’« il s’apprêtait à vendre chèrement sa peau », pour reprendre l’analyse du même Pierre Chany.[2] Finalement, André Chalmel rallia l’arrivée avec 9 mn 45 s de retard. Puis, la semaine suivante, profitant de sa forme, il enleva le Grand Prix de Plumelec. On sait la suite : sa médaille de bronze dans le championnat de France, au terme d’un sprint serré contre Tinazzi, Bittinger, Laurent, Seznec et Perret. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il la compléta en septembre d’une remarquable sixième place dans le championnat du monde de San Cristobal. Là encore, une course dure, tenue sous d’incessantes pluies tropicales... Fidèle aux consignes données par Jacques Anquetil, le directeur technique national, le Breton s’établit comme chien de garde, assurant le train ou filtrant les échappés pour Thévenet, Esclassan et Hinault. Mais, touché par la grâce, il s’avéra bientôt supérieur à ses chefs, les lâchant un à un, lâchant aussi Godefroot, Saronni, Gimondi, Kelly, Maertens, Merckx et Zoetemelk. D’où l’idée qu’il aurait manifestement pu viser le podium, si on lui avait laissé les mains libres… Il aurait même pu rapporter une caisse d’or ! N’a-t-on pas souvent prétendu que Francesco Moser, dans la lignée du Gimondi de Savone, s’était beaucoup dépensé pour garantir son sceptre …
Quoi qu’il en fût, une question demeurait : un super, ce Chalmel ? Disons plutôt un routier très solide, qui présentait la particularité d’avoir découvert le cyclisme à vingt-deux ans. Pour défouler son énergie formidable, il avait en effet commencé à rouler, puis à courir, étonné de suivre les meilleurs. Ensuite, il s’était appliqué, poussant sa voix douce jusque dans les rangs professionnels, de 1975 à 1982. On pourrait penser que cet homme qui disputa et acheva cinq Tours de France ne fut jamais plus heureux qu’en décrochant son Bordeaux-Paris : c’était le 20 mai 1979, après une échappée audacieuse de 343 kilomètres, pour un total de 584 bornes bouclées à la moyenne inconcevable de 47,61 kilomètres-heure ! Mais André Chalmel, dévoué président de l’Union nationale des cyclistes professionnels sept années durant, avait le goût des joies simples. Son plus grand bonheur ? Il le vécut sans manière, en recevant la médaille de Dol-de-Bretagne, sa ville natale. « Le plaisir et l’honneur ressentis par mon père qui assistait à cette remise. Certains jours, je les ressens encore… », devait-il confier au journaliste André Péron.[3]
 

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.


André Chalmel en bref
  • Né le 10 octobre 1949 à Dol-de-Bretagne.
  • Professionnel chez Gitane (1975 à 1977), Renault-Gitane (1978 à 1980), Peugeot (1981 et 1982).
  • Principales victoires : 3e étape Tour du Luxembourg 1975 ; Prix de Pleurtuit 1976 ; Grand Prix de Plumelec 1977 ; Bordeaux-Paris 1979 ; Prix de la Côte normande 1980 ; Grand Prix d’Isbergues 1981.


[1] Pierre Chany, L’Année du cyclisme 1976, Calmann-Lévy, p. 119.
[2] Pierre Chany, L’Année du cyclisme 1977, Calmann-Lévy, p. 127.
[3]In Vélo Légende n° 6, novembre 1998.

André Chalmel, en son for intérieur...

 
Il enleva le Bordeaux-Paris le plus rapide de l’histoire et porta dignement le maillot de l’équipe de France dans les championnats du monde. Sur la route, c’était une brave ; dans la vie, un homme aimable et dévoué. Portrait d’André Chalmel, ancien président de l’U.N.C.P.… 
  
Il lui a manqué cent quatre-vingts mètres ! Cent quatre-vingts mètres de moins, dans une épreuve longue de 274,800 kilomètres, et il succédait à Gerrit Knetemann au palmarès du championnat du monde. Autant dire qu’André Chalmel, déjà vainqueur en milieu de saison du Bordeaux-Paris le plus rapide de l’histoire, eût changé de statut, et de vie… Hélas, ce dimanche 26 août 1979, sur le difficile circuit de Valkenburg, la dernière ligne droite se révéla interminable ; il finit exsangue, dépassé par Jan Raas, Dietrich Thurau et Jean-René Bernaudeau ! On imagine sa déception, proportionnelle à son exceptionnelle performance. Parce qu’il s’agissait de cela : un chef d’œuvre physique et tactique, alors qu’il militait pour Bernard Hinault, son leader. Puis, dans l’incandescence du combat, il avait maçonné de nouvelles positions pour marquer les principaux attaquants, dont l’élégant Battaglin qui joua son va-tout sur la rampe du Cauberg, à trois kilomètres du but. Après un coup d’œil par-dessus son épaule, André Chalmel choisit de contrer, s’offrant cent mètres d’avance pour aborder la flamme rouge. Derrière, Giovanni Battaglin, bien sûr, et Bernaudeau, et Raas, et surtout l’Allemand Thurau, lequel fonçait sans renâcler, mû par d’étranges ambitions. Avait-il été acheté par le roublard hollandais ? La question fut posée. Seule certitude : Jan Raas, traîné par ses équipiers dans chaque ascension du Cauberg, aurait dû être disqualifié avant la mi-course ! L’incurie des officiels fit son bonheur, et le malheur de Chalmel, battu et spolié…
Amer, le Français n’en tourna pas moins la page. Plusieurs défis l’attendaient… Et puis, peut-être cet homme intelligent et sensible considérait-il, en son for intérieur, qu’un maillot arc-en-ciel eût ététrop lourd à porter… Pour un maillot tricolore, il possédait la carrure (troisième du championnat de France en 1977, huitième en 1978, septième en 1979). Pour le titre suprême, en revanche, il pouvait se juger un peu « court », ayant toujours eu le souci de bien faire, avec des muscles qui n’égalaient pas ceux d’Hinault. Bref, un coureur honnête, qui savait d’où il venait, et sentait où il irait. Son Graal ? Gagner un ou deux autres Bordeaux-Paris, la classique la plus ancienne, la plus longue, la plus éprouvante du calendrier. Il l’aimait et la devinait, illustre dame rafraîchie juste pour lui, pour son vieux sang de lutteur breton. Aussi, dès sa première participation, en 1976, accéda-t-il aux avant-postes, filant des monstres sacrés qui s’appelaient Godefroot et Van Springel, classés dans cet ordre. « La troisième place, écrivit Pierre Chany, revint au jeune Chalmel, lequel avait réalisé une sorte de prodige, compte tenu de son incapacité à trouver le bon abri derrière son entraîneur. Nous l’avions vu flotter dans le vent des heures durant, et nous pouvions l’inscrire, dès lors, parmi les favoris pour 1977. »[1]
Cette promesse, André Chalmel en fut digne. Le 22 mai 1977, non seulement il reconduisit son bail avec la troisième place, mais il n’abandonna ses rêves de victoire qu’au pied de Dourdan, victime d’une irrémédiable crevaison. Que se serait-il passé sans cet injuste coup du sort ? Aurait-il berné Van Springel et Godefroot, ceux-ci plus rivaux qu’équipiers ? Le sûr est qu’« il s’apprêtait à vendre chèrement sa peau », pour reprendre l’analyse du même Pierre Chany.[2] Finalement, André Chalmel rallia l’arrivée avec 9 mn 45 s de retard. Puis, la semaine suivante, profitant de sa forme, il enleva le Grand Prix de Plumelec. On sait la suite : sa médaille de bronze dans le championnat de France, au terme d’un sprint serré contre Tinazzi, Bittinger, Laurent, Seznec et Perret. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il la compléta en septembre d’une remarquable sixième place dans le championnat du monde de San Cristobal. Là encore, une course dure, tenue sous d’incessantes pluies tropicales... Fidèle aux consignes données par Jacques Anquetil, le directeur technique national, le Breton s’établit comme chien de garde, assurant le train ou filtrant les échappés pour Thévenet, Esclassan et Hinault. Mais, touché par la grâce, il s’avéra bientôt supérieur à ses chefs, les lâchant un à un, lâchant aussi Godefroot, Saronni, Gimondi, Kelly, Maertens, Merckx et Zoetemelk. D’où l’idée qu’il aurait manifestement pu viser le podium, si on lui avait laissé les mains libres… Il aurait même pu rapporter une caisse d’or ! N’a-t-on pas souvent prétendu que Francesco Moser, dans la lignée du Gimondi de Savone, s’était beaucoup dépensé pour garantir son sceptre …
Quoi qu’il en fût, une question demeurait : un super, ce Chalmel ? Disons plutôt un routier très solide, qui présentait la particularité d’avoir découvert le cyclisme à vingt-deux ans. Pour défouler son énergie formidable, il avait en effet commencé à rouler, puis à courir, étonné de suivre les meilleurs. Ensuite, il s’était appliqué, poussant sa voix douce jusque dans les rangs professionnels, de 1975 à 1982. On pourrait penser que cet homme qui disputa et acheva cinq Tours de France ne fut jamais plus heureux qu’en décrochant son Bordeaux-Paris : c’était le 20 mai 1979, après une échappée audacieuse de 343 kilomètres, pour un total de 584 bornes bouclées à la moyenne inconcevable de 47,61 kilomètres-heure ! Mais André Chalmel, dévoué président de l’Union nationale des cyclistes professionnels sept années durant, avait le goût des joies simples. Son plus grand bonheur ? Il le vécut sans manière, en recevant la médaille de Dol-de-Bretagne, sa ville natale. « Le plaisir et l’honneur ressentis par mon père qui assistait à cette remise. Certains jours, je les ressens encore… », devait-il confier au journaliste André Péron.[3]
 

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.


André Chalmel en bref
  • Né le 10 octobre 1949 à Dol-de-Bretagne.
  • Professionnel chez Gitane (1975 à 1977), Renault-Gitane (1978 à 1980), Peugeot (1981 et 1982).
  • Principales victoires : 3e étape Tour du Luxembourg 1975 ; Prix de Pleurtuit 1976 ; Grand Prix de Plumelec 1977 ; Bordeaux-Paris 1979 ; Prix de la Côte normande 1980 ; Grand Prix d’Isbergues 1981.


[1] Pierre Chany, L’Année du cyclisme 1976, Calmann-Lévy, p. 119.
[2] Pierre Chany, L’Année du cyclisme 1977, Calmann-Lévy, p. 127.
[3]In Vélo Légende n° 6, novembre 1998.