UNCP UNCP
L'UNCP est le syndicat professionnel des coureurs cyclistes français.
Syndicat de service et de dialogue constructif.
Créé il y a plus de 60 ans, il a pour vocation la représentation des coureurs et la défense de leurs intérêts collectifs et individuels.
contact@uncp.net . Comité Directeur . UNCP 161 Chemin du Buisson – 38110 DOLOMIEU
  • Route Pro Championnats de France Cassel 2023 - Photo Bruno Bade
  • Route Pro Photo Bruno Bade
  • Route d’Occitanie 2020 Photo Bruno Bade
  • Tro Bro Leon 2019 Photo Bruno Bade
  • Paris Camembert 2020 Photo Bruno Bade
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Éric Caritoux, cultivant son jardin...

Il y a vingt-cinq ans, il triomphait dans le Tour d'Espagne, accédant ainsi à la gloire. Puis il a remporté deux titres nationaux. Mais peut-être son plus cher souvenir tient-il à sa victoire d'étape au Ventoux, dans son jardin. Portrait d'un grimpeur nommé Éric Caritoux...


Il vieillira comme Candide, en cultivant son jardin. Et, comme Candide, il aura vécu mille aventures... C'était dans la dernière partie du XXe siècle, au temps des Hinault, Kelly, LeMond, Fignon, Indurain. Autant dire des sacrés types, valant bien Pangloss et la chère Cunégonde ! On passe sur Hinault qui avait déjà tout raflé lorsque le jeune Caritoux, vingt-deux ans, s'engagea avec Jean de Gribaldy pour la saison 1983. Mais Sean Kelly !... Un taiseux, un sorcier né en Irlande, et près de bâtir l'un des palmarès majeurs du cyclisme...

Parce qu'il avait du bon sens, Éric Caritoux comprit le parti à tirer d'un maître pareil, puissant rouleur et sprinter, et bourreau d'entraînement. Puis, chez Fagor en 1986 et 1987, chez RMO de 1989 à 1992, il s'en fut voler de ses propres ailes, montrant un besoin réel de liberté. Ne fallait-il pas être libre en effet pour s'imposer, dès 1984, dans le mythique Tour d'Espagne ? Libre et fort, puisque Alberto Fernandez, son dauphin, acheva avec seulement six secondes de retard, soit le plus faible écart jamais enregistré au terme d'un grand Tour ! On imagine les pressions, les menaces, les manœuvres... Dans la dernière semaine, Christian Rumeau, le patron de l'équipe, n'en fit point mystère : ' Le directeur sportif de Fernandez est intéressé pour acheter la Vuelta... '1 Que l'on s'entende : c'était une proposition ouverte, avec 100 000 francs à prendre, ou à laisser. Van Steenbergen ou Kelly, deux légendaires, qui ' fourguèrent ' certains jours, auraient peut-être accepté ; Caritoux, lui, tout modeste qu'il fût, répondit qu'il ' courai[t] pour gagner, pas pour vendre des courses. '2 En conséquence, malgré un peloton ligué, l'enfant de Carpentras, leader depuis la douzième étape, défendit sa tunique. Dans la montée chronométrée du Naranco, deuxième derrière Julian Gorospe, il augmenta son avance sur Fernandez, Delgado, Belda, Dietzen, Ruiz Cabestany, Chozas, Lejaretta, Moser, Pollentier, Jimenez et le vétéran De Vlaeminck. Puis, dans chaque secteur décisif, à Ségovie, à Torrejon et même à Madrid, il garda la tête haute, épatant un à un ses illustres adversaires. Cette Vuelta, Éric Caritoux la voulait comme un homme veut une femme. Elle fut à lui pour toujours.

Évidemment, cette victoire fit grand bruit. Pensez : le sacre d'un inconnu, dans une course difficile où le meilleur Anquetil s'était jadis fourvoyé... S'il s'était agi d'un autre, la presse aurait évoqué un prodige ; dans le cas présent, elle découvrit que le garçon était mi-coureur, mi-paysan - dans le détail, un orphelin de père qui exploitait des terres au pied du mont Ventoux, en compagnie de sa mère et de son frère. D'ailleurs, son premier soin, au retour de l'Espagne, fut d'aller vérifier l'état de ses vignes. Ensuite, il déclina l'invitation de Francesco Moser, lequel le réclamait pour gregario. Son choix était définitif : libre et fort, semblable au vent qui chiffonnait la campagne. Il ne serait donc pas le nouvel Hinault du cyclisme français. Il ne serait pas un deuxième Poulidor. Il serait ce timide que la nature avait solidement découpé, et qui goûtait ses succès comme on goûte une récolte.

En douze années professionnelles, Éric Caritoux ne triompha pas souvent. Il range, parmi ses regrets, le fait de n'avoir jamais remporté une étape du Tour de France. Il échoua aussi dans la quête d'un Dauphiné ; il ne brilla pas suffisamment dans les Ardennaises où son talent de puncheur aurait pu le servir. Mais, sur la balance qui est la sienne, ce brave se rappelle avoir posé, outre une victoire sentimentale au mont Ventoux, dans Paris-Nice 1984, deux maillots de champion de France qui firent beaucoup pour sa gloire. La première fois, c'était en 1988, sur le circuit exigeant de Saint-Étienne ; la seconde, à Montluçon, dans le contexte d'une épreuve tactique, où la lucidité comptait autant que la force. Tenant du titre, Éric Caritoux s'était aligné en considérant qu'il n'avait rien à perdre, ayant déjà possédé... Puis, en sage paysan devenu habile routier, il se posta en lisière, devinant vite qu'il aurait une carte à jouer. Quand Laurent Fignon, qui avait couru à contretemps, renonça à rejoindre la tête, Caritoux, escorté de Laurent Bezault, attaqua. Ce fut sec et tranchant, tels ses coups de sécateur sur la vigne. Gayant, Leclercq, Rué, Boyer, Lavenu, Jourdan, Pélier et Gaigne tombèrent aussitôt. C'était gagné.

La suite fut du même ordre. Soignant ses effets, l'ancien protégé de Jean de Gribaldy, promu lieutenant de Charly Mottet, s'offrit un deuxième Bol d'Or des Monedières, un deuxième Tour du Haut-Var, un deuxième Prix d'Aix-en-Provence. De-ci de-là, il ajouta des étapes. Puis, en 1994, pour son ultime Tour de France, il s'acharna jusqu'à Paris, obtenant une honorable vingt-deuxième place. Soit dit en passant, le Tour, cette année-là, chemina dans Ventoux, où Eros Poli décrocha un improbable bouquet. Très appliqué, Éric Caritoux salua son public, sa famille, ses cerisiers et ses vignes. Pour le reste, du souffle, du nerf ! Voisin ou non, c'était le Ventoux, le fameux  ' Géant de Provence ' ! ' Je l'ai monté pour la première fois jusqu'au Chalet Reynard quand j'avais onze ans, devait-il confier à Jean-Luc Gatellier. J'avais un huit-vitesses, les changements se faisaient sur la tige de selle. Mes parents me suivaient en voiture. J'ai mis pied-à-terre une seule fois... '3

Pouvait débuter la carrière que l'on sait, qui méritait d'être contée. Et voilà comment Éric Caritoux devint Candide, dans un jardin de douze hectares, planté de jeunes arbres et de vieux ceps...

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.

Éric Caritoux en bref

* Né le 16 août 1960 à Carpentras.
* Professionnel chez Sem-France Loire (1983), Skil (1984-1985), Fagor (1986-1987), Kas (1988), RMO (1989-1992), Chazal (1993-1994).
* Principales victoires : Tour du Vaucluse 1982 ; Prix d'Aix-en-Provence 1983, 1991 ; Tour d'Espagne 1984 ; Tour du Haut-Var 1984, 1991 ; Bol d'or des Monedières 1984, 1989 ; Flèche du Sud 1985 ; Polymultiplié 1986 ; Champ. de France 1988, 1989.


1 In Vélo Magazine de mars 2009.
2 Ibid.
3 Ibid.

Éric Caritoux, cultivant son jardin...

Il y a vingt-cinq ans, il triomphait dans le Tour d'Espagne, accédant ainsi à la gloire. Puis il a remporté deux titres nationaux. Mais peut-être son plus cher souvenir tient-il à sa victoire d'étape au Ventoux, dans son jardin. Portrait d'un grimpeur nommé Éric Caritoux...


Il vieillira comme Candide, en cultivant son jardin. Et, comme Candide, il aura vécu mille aventures... C'était dans la dernière partie du XXe siècle, au temps des Hinault, Kelly, LeMond, Fignon, Indurain. Autant dire des sacrés types, valant bien Pangloss et la chère Cunégonde ! On passe sur Hinault qui avait déjà tout raflé lorsque le jeune Caritoux, vingt-deux ans, s'engagea avec Jean de Gribaldy pour la saison 1983. Mais Sean Kelly !... Un taiseux, un sorcier né en Irlande, et près de bâtir l'un des palmarès majeurs du cyclisme...

Parce qu'il avait du bon sens, Éric Caritoux comprit le parti à tirer d'un maître pareil, puissant rouleur et sprinter, et bourreau d'entraînement. Puis, chez Fagor en 1986 et 1987, chez RMO de 1989 à 1992, il s'en fut voler de ses propres ailes, montrant un besoin réel de liberté. Ne fallait-il pas être libre en effet pour s'imposer, dès 1984, dans le mythique Tour d'Espagne ? Libre et fort, puisque Alberto Fernandez, son dauphin, acheva avec seulement six secondes de retard, soit le plus faible écart jamais enregistré au terme d'un grand Tour ! On imagine les pressions, les menaces, les manœuvres... Dans la dernière semaine, Christian Rumeau, le patron de l'équipe, n'en fit point mystère : ' Le directeur sportif de Fernandez est intéressé pour acheter la Vuelta... '1 Que l'on s'entende : c'était une proposition ouverte, avec 100 000 francs à prendre, ou à laisser. Van Steenbergen ou Kelly, deux légendaires, qui ' fourguèrent ' certains jours, auraient peut-être accepté ; Caritoux, lui, tout modeste qu'il fût, répondit qu'il ' courai[t] pour gagner, pas pour vendre des courses. '2 En conséquence, malgré un peloton ligué, l'enfant de Carpentras, leader depuis la douzième étape, défendit sa tunique. Dans la montée chronométrée du Naranco, deuxième derrière Julian Gorospe, il augmenta son avance sur Fernandez, Delgado, Belda, Dietzen, Ruiz Cabestany, Chozas, Lejaretta, Moser, Pollentier, Jimenez et le vétéran De Vlaeminck. Puis, dans chaque secteur décisif, à Ségovie, à Torrejon et même à Madrid, il garda la tête haute, épatant un à un ses illustres adversaires. Cette Vuelta, Éric Caritoux la voulait comme un homme veut une femme. Elle fut à lui pour toujours.

Évidemment, cette victoire fit grand bruit. Pensez : le sacre d'un inconnu, dans une course difficile où le meilleur Anquetil s'était jadis fourvoyé... S'il s'était agi d'un autre, la presse aurait évoqué un prodige ; dans le cas présent, elle découvrit que le garçon était mi-coureur, mi-paysan - dans le détail, un orphelin de père qui exploitait des terres au pied du mont Ventoux, en compagnie de sa mère et de son frère. D'ailleurs, son premier soin, au retour de l'Espagne, fut d'aller vérifier l'état de ses vignes. Ensuite, il déclina l'invitation de Francesco Moser, lequel le réclamait pour gregario. Son choix était définitif : libre et fort, semblable au vent qui chiffonnait la campagne. Il ne serait donc pas le nouvel Hinault du cyclisme français. Il ne serait pas un deuxième Poulidor. Il serait ce timide que la nature avait solidement découpé, et qui goûtait ses succès comme on goûte une récolte.

En douze années professionnelles, Éric Caritoux ne triompha pas souvent. Il range, parmi ses regrets, le fait de n'avoir jamais remporté une étape du Tour de France. Il échoua aussi dans la quête d'un Dauphiné ; il ne brilla pas suffisamment dans les Ardennaises où son talent de puncheur aurait pu le servir. Mais, sur la balance qui est la sienne, ce brave se rappelle avoir posé, outre une victoire sentimentale au mont Ventoux, dans Paris-Nice 1984, deux maillots de champion de France qui firent beaucoup pour sa gloire. La première fois, c'était en 1988, sur le circuit exigeant de Saint-Étienne ; la seconde, à Montluçon, dans le contexte d'une épreuve tactique, où la lucidité comptait autant que la force. Tenant du titre, Éric Caritoux s'était aligné en considérant qu'il n'avait rien à perdre, ayant déjà possédé... Puis, en sage paysan devenu habile routier, il se posta en lisière, devinant vite qu'il aurait une carte à jouer. Quand Laurent Fignon, qui avait couru à contretemps, renonça à rejoindre la tête, Caritoux, escorté de Laurent Bezault, attaqua. Ce fut sec et tranchant, tels ses coups de sécateur sur la vigne. Gayant, Leclercq, Rué, Boyer, Lavenu, Jourdan, Pélier et Gaigne tombèrent aussitôt. C'était gagné.

La suite fut du même ordre. Soignant ses effets, l'ancien protégé de Jean de Gribaldy, promu lieutenant de Charly Mottet, s'offrit un deuxième Bol d'Or des Monedières, un deuxième Tour du Haut-Var, un deuxième Prix d'Aix-en-Provence. De-ci de-là, il ajouta des étapes. Puis, en 1994, pour son ultime Tour de France, il s'acharna jusqu'à Paris, obtenant une honorable vingt-deuxième place. Soit dit en passant, le Tour, cette année-là, chemina dans Ventoux, où Eros Poli décrocha un improbable bouquet. Très appliqué, Éric Caritoux salua son public, sa famille, ses cerisiers et ses vignes. Pour le reste, du souffle, du nerf ! Voisin ou non, c'était le Ventoux, le fameux  ' Géant de Provence ' ! ' Je l'ai monté pour la première fois jusqu'au Chalet Reynard quand j'avais onze ans, devait-il confier à Jean-Luc Gatellier. J'avais un huit-vitesses, les changements se faisaient sur la tige de selle. Mes parents me suivaient en voiture. J'ai mis pied-à-terre une seule fois... '3

Pouvait débuter la carrière que l'on sait, qui méritait d'être contée. Et voilà comment Éric Caritoux devint Candide, dans un jardin de douze hectares, planté de jeunes arbres et de vieux ceps...

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.

Éric Caritoux en bref

* Né le 16 août 1960 à Carpentras.
* Professionnel chez Sem-France Loire (1983), Skil (1984-1985), Fagor (1986-1987), Kas (1988), RMO (1989-1992), Chazal (1993-1994).
* Principales victoires : Tour du Vaucluse 1982 ; Prix d'Aix-en-Provence 1983, 1991 ; Tour d'Espagne 1984 ; Tour du Haut-Var 1984, 1991 ; Bol d'or des Monedières 1984, 1989 ; Flèche du Sud 1985 ; Polymultiplié 1986 ; Champ. de France 1988, 1989.


1 In Vélo Magazine de mars 2009.
2 Ibid.
3 Ibid.