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- Maïténa Cessac et Didier Loiseau (Miller)0:58
- Témoignages Formation Néo Pro 20231:08
- Témoignages Formation Néo Pro 20230:59
- Ronan Augé1:50
- Pierre Gautherat et Jordan Labrosse0:47
- Thomas Bonnet0:30
- Victor Lafay1:37
- Mathieu Ladagnous0:56
- Édouard Bonnefoix et Jean Goubert0:54
- Maël Guégan1:50
- Jimmy Turgis0:28
- Alexis Guérin1:26
Bernaudeau, le prince chouan
Il fut l'un des meilleurs espoirs qu'ait connus le cyclisme français. Son chef-d'œuvre ? Une offensive légendaire sur les rampes du Stelvio, en 1980. Au temps où on le croyait capable d'égaler Hinault...
Longtemps, on crut qu'il serait pour Hinault ce que Poulidor avait été face à Anquetil : un adversaire redoutable et loyal. Sur le plan athlétique, l'idée tenait la route : avec son mètre 73 pour 65 kilos, Jean-René Bernaudeau s'apparentait, non pas aux purs grimpeurs, mais aux puncheurs des cols que le célèbre ' Poupou ' avait remis à la mode. Son arme ? L'attaque, tranchante, et même parfois lointaine, ce qui créa certains jours d'inoubliables pagailles... Mais, d'attaque en attaque, on finit par comprendre que l'intéressé aurait sa vie propre - on veut dire : une carrière estimable mais singulière, et somme toute différente de celle qu'on avait imaginée quand il choisit de s'opposer à Hinault.
Parce que cette opposition fut un choix ! Au départ, en effet, Jean-René Bernaudeau avait embrassé le professionnalisme sous la coupe de Cyrille Guimard, au sein de la formation Renault-Gitane. C'était en 1978 ; il avait vingt et un ans. Autour de lui, des troupiers (Vincendeau, Bécaas, Chaumaz), des grognards (Berland, Bossis, Chassang, Chalmel, Quilfen, Teirlinck) et un phénomène de deux ans son aîné, le dénommé Bernard Hinault. Pour mémoire, celui-ci avait épaté la saison précédente, gagnant en six mois Gand-Wevelgem, Liège-Bastogne-Liège, le Critérium du Dauphiné et le Grand Prix des Nations. On l'annonçait maintenant au Tour d'Espagne et au Tour de France, ses deux nouveaux objectifs. Dans ces conditions, Bernaudeau, jeune homme timide mais souriant, serait là pour apprendre, éventuellement pour servir. Le méthodique Guimard le gardait en réserve...
Mais le timide avait du sang ! Il piaffait, ni plus ni moins comme Hinault en 1975, lorsqu'il avait découvert les courses pros... C'était si vrai que, dès la première étape du Tour de Corse, on vit Bernaudeau lâcher les meilleurs. Coup de maître ? Non, un coup de semonce puisque Gilbert Duclos-Lassalle lui souffla la victoire. Mais le pli était pris, et notre gaillard repartit à l'assaut, d'abord dans Paris-Nice, puis dans Paris-Vimoutiers où seul Joop Zoetemelk le priva du succès. ' C'est de la bonne graine de champion, commenta Cyrille Guimard, assez abasourdi. Après le Tour d'Espagne, nous ferons le point... '1
Le point ? Il fut vite fait. À San Sebastian, au terme des dix-neuf étapes de cette Vuelta, Jean-René Bernaudeau montait sur le podium, à 3 mn 47 sec de Bernard Hinault et à moins d'une minute de José Pesarrodona, le plus régulier des autochtones. Autrement dit, la recrue avait presque égalé l'inégalable Breton, semant ainsi le trouble chez les observateurs... Équipier, lui ? Plutôt un leader, déjà... Et puis, quelle bonne mine ! Quel sourire ! De même qu'elle s'était jadis éprise de Raymond Poulidor, la France adora ce fils de paysans, aîné d'une famille de dix enfants, qui mettait tout son cœur dans l'ouvrage, quitte à finir... deuxième - deuxième du championnat de France amateur en 1976 et en 1977, puis, sur sa lancée de la Vuelta, deuxième encore, derrière Hinault, du championnat de France disputé à Sarrebourg ! Quoi qu'il en fût, c'était une confirmation. La Vendée avait retrouvé un chef.
1979 et 1980, vécues dans les pas de Bernard Hinault, lui permirent de maintenir le flambeau. Pour preuve, le maillot jaune du Tour de France, qu'il endossa au soir du 28 juin, après une fantastique offensive pyrénéenne. On devine son bonheur : maillot jaune à vingt-trois ans (il les fêterait sur le Tour, le 8 juillet), alors que Poulidor avait échoué sa carrière durant... Mais, il était écrit que ce prince chouan avait le feu sacré. Dans chaque bosse il fusait, remportant Paris-Bourges, un premier Midi-Libre et son Tour de Vendée. Sans omettre, bien sûr, son exploit majeur, le 5 juin 1980, à deux jours de l'arrivée finale d'un Tour d'Italie qu'on pensait perdu pour Hinault. Mais c'était compter pour rien Guimard, le génial stratège de ces années-là. Visant l'ascension mythique du Stelvio - ' Le Stelvio, vous avez entendu parler : 27 kilomètres de lacets, certains passages offrant des pentes à 16%, 2 757 mètres d'altitude en son sommet ', rappela Pierre Chany2 -, il envoya Bernaudeau à l'avant, puis réclama le contre d'Hinault. On eut alors le spectacle inénarrable des deux Français écrasant l'Italie tout entière, puis celui d'un Bernaudeau ivre de joie, franchissant le ligne en vainqueur. Dans sa roue, un géant breton, au regard complice...
Complice, oui. Mais pour combien de temps ? Car la presse exigeait un duel digne du bras de fer Anquetil-Poulidor... Séduit, le Vendéen quitta Guimard et Hinault pour l'équipe Peugeot, et pour de gros appointements, en 1981. Résultat ? Deux triomphes dans le Midi-Libre, un Grand Prix de Monaco, un Tour du Tarn, un Tour de Lorraine - et, peu à peu, l'impression indicible que Jean-René Bernaudeau s'était fourvoyé... Non pas qu'il ne fût pas doué. Mais son beau talent s'exprimait dans un climat de confiance, pareil à celui d'un Murat. En revanche, la solitude du pouvoir l'essoufflait, comme l'essoufflaient l'exercice solitaire, ' l'épreuve de vérité ', selon la formule en vigueur. Lucide, l'ancien prodige admit son erreur. Pour se relancer, il essaya la casaque Wolber en 1983, l'année où Bernard Hinault, blessé au genou, renonça au Tour de France. On crut qu'il sauterait sur l'occasion ; en fait, courant sans cesse après le retard accumulé dans les contre-la-montre, il termina sixième à Paris, à 8 mn 59 sec de Laurent Fignon. Le ressort était brisé.
' En vélo, lorsque l'on perd la foi, on perd tout ', expliquerait-il en 19873. C'était résumer son histoire et avouer des regrets... Mais chacun sait les ressources d'une foi vendéenne. La sienne le remit sur pied en 1990, quand il prit la décision de pétrir de jeunes amateurs, comme lui-même avait été pétri. Ce fut le début d'une nouvelle aventure, peut-être plus belle. On assure que Bernaudeau y fait vibrer l'esprit du Stelvio.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Bernaudeau en bref
* Né le 8/7/56 à Saint-Maurice-le-Girard.
* Professionnel chez Renault (1978 à 1980), Peugeot (1981, 1982), Wolber (1983), Système U (1984), Fagor (1985 à 1988).
Principales victoires : Paris-Bourges 1979 ; Midi-Libre 1980, 1981, 1982, 1983 ; Tour de Vendée 1980 ; Tour du Tarn 1981 ; Tour de Lorraine 1982. Lauréat de la Promotion Pernod 1978.
1 In Miroir du Cyclisme n° 250, mai 1978.
2 Pierre Chany, L'Année du cyclisme, Calmann-Lévy, 1980, p. 143.
3 In l'Équipe du 5 juillet 1993.
Bernaudeau, le prince chouan
Il fut l'un des meilleurs espoirs qu'ait connus le cyclisme français. Son chef-d'œuvre ? Une offensive légendaire sur les rampes du Stelvio, en 1980. Au temps où on le croyait capable d'égaler Hinault...
Longtemps, on crut qu'il serait pour Hinault ce que Poulidor avait été face à Anquetil : un adversaire redoutable et loyal. Sur le plan athlétique, l'idée tenait la route : avec son mètre 73 pour 65 kilos, Jean-René Bernaudeau s'apparentait, non pas aux purs grimpeurs, mais aux puncheurs des cols que le célèbre ' Poupou ' avait remis à la mode. Son arme ? L'attaque, tranchante, et même parfois lointaine, ce qui créa certains jours d'inoubliables pagailles... Mais, d'attaque en attaque, on finit par comprendre que l'intéressé aurait sa vie propre - on veut dire : une carrière estimable mais singulière, et somme toute différente de celle qu'on avait imaginée quand il choisit de s'opposer à Hinault.
Parce que cette opposition fut un choix ! Au départ, en effet, Jean-René Bernaudeau avait embrassé le professionnalisme sous la coupe de Cyrille Guimard, au sein de la formation Renault-Gitane. C'était en 1978 ; il avait vingt et un ans. Autour de lui, des troupiers (Vincendeau, Bécaas, Chaumaz), des grognards (Berland, Bossis, Chassang, Chalmel, Quilfen, Teirlinck) et un phénomène de deux ans son aîné, le dénommé Bernard Hinault. Pour mémoire, celui-ci avait épaté la saison précédente, gagnant en six mois Gand-Wevelgem, Liège-Bastogne-Liège, le Critérium du Dauphiné et le Grand Prix des Nations. On l'annonçait maintenant au Tour d'Espagne et au Tour de France, ses deux nouveaux objectifs. Dans ces conditions, Bernaudeau, jeune homme timide mais souriant, serait là pour apprendre, éventuellement pour servir. Le méthodique Guimard le gardait en réserve...
Mais le timide avait du sang ! Il piaffait, ni plus ni moins comme Hinault en 1975, lorsqu'il avait découvert les courses pros... C'était si vrai que, dès la première étape du Tour de Corse, on vit Bernaudeau lâcher les meilleurs. Coup de maître ? Non, un coup de semonce puisque Gilbert Duclos-Lassalle lui souffla la victoire. Mais le pli était pris, et notre gaillard repartit à l'assaut, d'abord dans Paris-Nice, puis dans Paris-Vimoutiers où seul Joop Zoetemelk le priva du succès. ' C'est de la bonne graine de champion, commenta Cyrille Guimard, assez abasourdi. Après le Tour d'Espagne, nous ferons le point... '1
Le point ? Il fut vite fait. À San Sebastian, au terme des dix-neuf étapes de cette Vuelta, Jean-René Bernaudeau montait sur le podium, à 3 mn 47 sec de Bernard Hinault et à moins d'une minute de José Pesarrodona, le plus régulier des autochtones. Autrement dit, la recrue avait presque égalé l'inégalable Breton, semant ainsi le trouble chez les observateurs... Équipier, lui ? Plutôt un leader, déjà... Et puis, quelle bonne mine ! Quel sourire ! De même qu'elle s'était jadis éprise de Raymond Poulidor, la France adora ce fils de paysans, aîné d'une famille de dix enfants, qui mettait tout son cœur dans l'ouvrage, quitte à finir... deuxième - deuxième du championnat de France amateur en 1976 et en 1977, puis, sur sa lancée de la Vuelta, deuxième encore, derrière Hinault, du championnat de France disputé à Sarrebourg ! Quoi qu'il en fût, c'était une confirmation. La Vendée avait retrouvé un chef.
1979 et 1980, vécues dans les pas de Bernard Hinault, lui permirent de maintenir le flambeau. Pour preuve, le maillot jaune du Tour de France, qu'il endossa au soir du 28 juin, après une fantastique offensive pyrénéenne. On devine son bonheur : maillot jaune à vingt-trois ans (il les fêterait sur le Tour, le 8 juillet), alors que Poulidor avait échoué sa carrière durant... Mais, il était écrit que ce prince chouan avait le feu sacré. Dans chaque bosse il fusait, remportant Paris-Bourges, un premier Midi-Libre et son Tour de Vendée. Sans omettre, bien sûr, son exploit majeur, le 5 juin 1980, à deux jours de l'arrivée finale d'un Tour d'Italie qu'on pensait perdu pour Hinault. Mais c'était compter pour rien Guimard, le génial stratège de ces années-là. Visant l'ascension mythique du Stelvio - ' Le Stelvio, vous avez entendu parler : 27 kilomètres de lacets, certains passages offrant des pentes à 16%, 2 757 mètres d'altitude en son sommet ', rappela Pierre Chany2 -, il envoya Bernaudeau à l'avant, puis réclama le contre d'Hinault. On eut alors le spectacle inénarrable des deux Français écrasant l'Italie tout entière, puis celui d'un Bernaudeau ivre de joie, franchissant le ligne en vainqueur. Dans sa roue, un géant breton, au regard complice...
Complice, oui. Mais pour combien de temps ? Car la presse exigeait un duel digne du bras de fer Anquetil-Poulidor... Séduit, le Vendéen quitta Guimard et Hinault pour l'équipe Peugeot, et pour de gros appointements, en 1981. Résultat ? Deux triomphes dans le Midi-Libre, un Grand Prix de Monaco, un Tour du Tarn, un Tour de Lorraine - et, peu à peu, l'impression indicible que Jean-René Bernaudeau s'était fourvoyé... Non pas qu'il ne fût pas doué. Mais son beau talent s'exprimait dans un climat de confiance, pareil à celui d'un Murat. En revanche, la solitude du pouvoir l'essoufflait, comme l'essoufflaient l'exercice solitaire, ' l'épreuve de vérité ', selon la formule en vigueur. Lucide, l'ancien prodige admit son erreur. Pour se relancer, il essaya la casaque Wolber en 1983, l'année où Bernard Hinault, blessé au genou, renonça au Tour de France. On crut qu'il sauterait sur l'occasion ; en fait, courant sans cesse après le retard accumulé dans les contre-la-montre, il termina sixième à Paris, à 8 mn 59 sec de Laurent Fignon. Le ressort était brisé.
' En vélo, lorsque l'on perd la foi, on perd tout ', expliquerait-il en 19873. C'était résumer son histoire et avouer des regrets... Mais chacun sait les ressources d'une foi vendéenne. La sienne le remit sur pied en 1990, quand il prit la décision de pétrir de jeunes amateurs, comme lui-même avait été pétri. Ce fut le début d'une nouvelle aventure, peut-être plus belle. On assure que Bernaudeau y fait vibrer l'esprit du Stelvio.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Bernaudeau en bref
* Né le 8/7/56 à Saint-Maurice-le-Girard.
* Professionnel chez Renault (1978 à 1980), Peugeot (1981, 1982), Wolber (1983), Système U (1984), Fagor (1985 à 1988).
Principales victoires : Paris-Bourges 1979 ; Midi-Libre 1980, 1981, 1982, 1983 ; Tour de Vendée 1980 ; Tour du Tarn 1981 ; Tour de Lorraine 1982. Lauréat de la Promotion Pernod 1978.
1 In Miroir du Cyclisme n° 250, mai 1978.
2 Pierre Chany, L'Année du cyclisme, Calmann-Lévy, 1980, p. 143.
3 In l'Équipe du 5 juillet 1993.
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