Félicia Ballanger, la puissance du génie
Treize finales durant, des championnats du monde 1995 aux Jeux Olympiques 2000, elle resta invaincue, devenant ainsi la Française la plus titrée du siècle. Portrait de Félicia Ballanger, la discrète sprinteuse qui avait la puissance du génie.
Les photographes l'ont immortalisée telle qu'elle filait sur les pistes, au temps de sa gloire : le dos plat, les épaules baissées, la tête haute et la bouche démesurément ouverte, tordue par l'effort. De loin, une lionne, toute de muscles et de rage ; de près, une femme qui se libère dans un cri, comme n'importe quelle parturiente. Car autant qu'une sprinteuse, Félicia Ballanger a été cette femme qui, course après course, cri après cri, fit naître le meilleur palmarès du cyclisme français. À trois reprises en effet, elle décrocha l'or olympique, sans compter qu'elle fut dix fois championne du monde en cinq ans - cinq fois en vitesse et cinq fois sur 500 mètres. Autrement dit, de 1995 à 2000, cette athlète remporta les treize finales internationales qu'elle disputa consécutivement. Une réussite absolue, qui égale Merckx et Nakano.
' Elle n'est pas seulement en passe de devenir la championne française la plus titrée de ce siècle, elle est aussi l'une des rencontres les plus passionnantes que le sport actuel puisse proposer ', prévenait Olivier Margot, le 20 septembre 2000, à la veille du tournoi de vitesse1 de Sydney. Bien entendu, le lendemain, Félicia Ballanger, ne manqua pas de boucler la boucle : ce fut sa treizième et ultime consécration, peut-être la plus belle, la plus aboutie. Pourtant, la deuxième manche de la finale lui avait échappé, la situant sur le même rang que la jeune Oksana Grichina. Fin de règne ? Ou, plutôt, peur de vaincre ? comme si son propre défi, tout à coup, l'écrasait... La réponse laissa bouche bée : refusant le surplace que voulait lui imposer sa rivale, elle bondit à cinq cents mètres de la ligne pour donner à son dernier sprint les dimensions d'un chef-d'œuvre. On n'a jamais vu mieux depuis.
Comment la Vendéenne, née à La Roche-sur-Yon le 12 juin 1971, en était-elle arrivée là ? Lorsqu'on lui posa la question, l'ancien maître des vélodromes, Daniel Morelon, devenu son entraîneur en 1990, se souvint d'abord d'une élève blessée par l'échec, aussi fragile mentalement qu'elle était forte physiquement. ' Elle commettait des erreurs tactiques stupéfiantes, comme si elle ne se rendait compte de rien ', s'étonnait-il2. De fait, modeste et réservée, la première Félicia Ballanger, souvent récompensée à l'échelon national, mit cinq longues années à trouver ses marques au niveau supérieur. En 1990 et 1991, elle termina quatrième des championnats du monde de vitesse. En 1992, battue en ' petite finale ' par Ingrid Haringa, elle échoua au pied du podium olympique. En 1994, sur l'anneau de Palerme, elle faillit en finale, devancée par la Russe Enioukhina alors que ses chronos auraient dû lui valoir un net avantage... Pourquoi ? Comment ? Elle-même l'ignorait, mais un psychologue, Gilbert Avanzini, forgea les mots pour l'aider à briser le miroir. Parce qu'il ne s'agissait que de cela : briser le miroir. Trancher ce fil intérieur qui l'empêchait d'admettre que son corps de jeune femme timide avait la puissance du génie...
La révélation eut lieu à Bogota, en 1995. Par bonheur, c'était l'année où l'Union cycliste internationale créait l'épreuve du 500 mètres, pendant du kilomètre chez les hommes. Déterminée, la Française domina pour commencer les matchs de vitesse, avant de s'adjuger, sur 500 mètres, son deuxième maillot arc-en-ciel. ' Non seulement Félicia Ballanger est repartie avec deux médailles d'or en poche, mais elle a ajouté à sa collection un autre titre, plus symbolique celui-là, de championne la plus ' sympa ' de ce mondial ', écrivit alors Guy Roger dans l'Équipe3. D'une certaine manière, l'essentiel était dit. Six saisons durant, le monstre sacré de la piste serait une chic fille !
Et puis, quelle femme ! Sous la toise, une athlète d'1 mètre 68 pour 70 kilos, dotée d'un tonus phénoménal et de cuisses d'airain - ' Je sais, s'amusera-t-elle, avec la musculation que l'on fait, on prend forcément des volumes. Comme on privilégie le travail des jambes, on arrive à une disproportion... Quand j'arrêterai vraiment, je ferai des efforts pour que tout cela se transforme au mieux '4. Précocement douée, du reste championne de France de vitesse chez les cadettes en 1986, puis championne du monde chez les juniors deux ans plus tard, Félicia Ballanger s'astreindra sans cesse à d'épuisantes séances de travail, jusqu'à pousser 170 kilos en squats au sommet de son art ! Bref, une volonté titanesque, à peine contrariée en 1993 par une chute terrible sur le vélodrome d'Hyères, qui la tint éloignée des compétitions plusieurs mois. Daniel Morelon se rappelle encore ' cette écharde géante longue d'un mètre cinquante et large de deux centimètres (qu'(on ne parvenait pas à lui enlever. '5 Sans doute cette chute retarda-t-elle l'épanouissement de sa protégée. En tout cas, celle-ci ne baissa jamais les bras, composant note après note le chant secret mais têtu qui l'amènerait dans la lumière douce d'un sport méconnu. Parce que Félicia Ballanger le comprit très tôt : aux yeux du public, ses victoires et ses records (elle établit sept records du monde sur 500 mètres) ne dureraient que ce que durent les roses. ' Au-delà de mon palmarès, j'aimerais qu'on retienne ma persévérance, mon travail et ma discrétion '6, expliqua-t-elle un jour. C'était en août 2000, avant les Jeux Olympiques de Sydney. Ceux de son apothéose et de ses inoubliables adieux.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Ballanger en bref
* Née le 12 juin 1971 à La Roche-sur-Yon, en Vendée.
* Se révèle à 15 ans, en remportant le championnat de France de vitesse chez les cadettes. Après sa carrière, elle a été élue vice-présidente de la Fédération française de cyclisme en 2001.
* Principales victoires : Vitesse : championnat du France 1988, 1991, 1992, 1994, 1995, 1996, 1997, 1998, 1999, 2000 ; championnat du monde 1995, 1996, 1997, 1998, 1999 ; jeux olympiques 1996, 2000. 500 mètres : championnat du France 1996, 1997, 1999, 2000 ; championnat du monde 1995, 1996, 1997, 1998, 1999 ; jeux olympiques 2000.
1 L'Équipe du 20 septembre 2000.
2 Ibid.
3 L'Équipe du 2 octobre 1995.
4 L'Équipe du 20 septembre 2000.
5 Ibid.
6 L'Humanité du 19 août 2000.
Félicia Ballanger, la puissance du génie
Treize finales durant, des championnats du monde 1995 aux Jeux Olympiques 2000, elle resta invaincue, devenant ainsi la Française la plus titrée du siècle. Portrait de Félicia Ballanger, la discrète sprinteuse qui avait la puissance du génie.
Les photographes l'ont immortalisée telle qu'elle filait sur les pistes, au temps de sa gloire : le dos plat, les épaules baissées, la tête haute et la bouche démesurément ouverte, tordue par l'effort. De loin, une lionne, toute de muscles et de rage ; de près, une femme qui se libère dans un cri, comme n'importe quelle parturiente. Car autant qu'une sprinteuse, Félicia Ballanger a été cette femme qui, course après course, cri après cri, fit naître le meilleur palmarès du cyclisme français. À trois reprises en effet, elle décrocha l'or olympique, sans compter qu'elle fut dix fois championne du monde en cinq ans - cinq fois en vitesse et cinq fois sur 500 mètres. Autrement dit, de 1995 à 2000, cette athlète remporta les treize finales internationales qu'elle disputa consécutivement. Une réussite absolue, qui égale Merckx et Nakano.
' Elle n'est pas seulement en passe de devenir la championne française la plus titrée de ce siècle, elle est aussi l'une des rencontres les plus passionnantes que le sport actuel puisse proposer ', prévenait Olivier Margot, le 20 septembre 2000, à la veille du tournoi de vitesse1 de Sydney. Bien entendu, le lendemain, Félicia Ballanger, ne manqua pas de boucler la boucle : ce fut sa treizième et ultime consécration, peut-être la plus belle, la plus aboutie. Pourtant, la deuxième manche de la finale lui avait échappé, la situant sur le même rang que la jeune Oksana Grichina. Fin de règne ? Ou, plutôt, peur de vaincre ? comme si son propre défi, tout à coup, l'écrasait... La réponse laissa bouche bée : refusant le surplace que voulait lui imposer sa rivale, elle bondit à cinq cents mètres de la ligne pour donner à son dernier sprint les dimensions d'un chef-d'œuvre. On n'a jamais vu mieux depuis.
Comment la Vendéenne, née à La Roche-sur-Yon le 12 juin 1971, en était-elle arrivée là ? Lorsqu'on lui posa la question, l'ancien maître des vélodromes, Daniel Morelon, devenu son entraîneur en 1990, se souvint d'abord d'une élève blessée par l'échec, aussi fragile mentalement qu'elle était forte physiquement. ' Elle commettait des erreurs tactiques stupéfiantes, comme si elle ne se rendait compte de rien ', s'étonnait-il2. De fait, modeste et réservée, la première Félicia Ballanger, souvent récompensée à l'échelon national, mit cinq longues années à trouver ses marques au niveau supérieur. En 1990 et 1991, elle termina quatrième des championnats du monde de vitesse. En 1992, battue en ' petite finale ' par Ingrid Haringa, elle échoua au pied du podium olympique. En 1994, sur l'anneau de Palerme, elle faillit en finale, devancée par la Russe Enioukhina alors que ses chronos auraient dû lui valoir un net avantage... Pourquoi ? Comment ? Elle-même l'ignorait, mais un psychologue, Gilbert Avanzini, forgea les mots pour l'aider à briser le miroir. Parce qu'il ne s'agissait que de cela : briser le miroir. Trancher ce fil intérieur qui l'empêchait d'admettre que son corps de jeune femme timide avait la puissance du génie...
La révélation eut lieu à Bogota, en 1995. Par bonheur, c'était l'année où l'Union cycliste internationale créait l'épreuve du 500 mètres, pendant du kilomètre chez les hommes. Déterminée, la Française domina pour commencer les matchs de vitesse, avant de s'adjuger, sur 500 mètres, son deuxième maillot arc-en-ciel. ' Non seulement Félicia Ballanger est repartie avec deux médailles d'or en poche, mais elle a ajouté à sa collection un autre titre, plus symbolique celui-là, de championne la plus ' sympa ' de ce mondial ', écrivit alors Guy Roger dans l'Équipe3. D'une certaine manière, l'essentiel était dit. Six saisons durant, le monstre sacré de la piste serait une chic fille !
Et puis, quelle femme ! Sous la toise, une athlète d'1 mètre 68 pour 70 kilos, dotée d'un tonus phénoménal et de cuisses d'airain - ' Je sais, s'amusera-t-elle, avec la musculation que l'on fait, on prend forcément des volumes. Comme on privilégie le travail des jambes, on arrive à une disproportion... Quand j'arrêterai vraiment, je ferai des efforts pour que tout cela se transforme au mieux '4. Précocement douée, du reste championne de France de vitesse chez les cadettes en 1986, puis championne du monde chez les juniors deux ans plus tard, Félicia Ballanger s'astreindra sans cesse à d'épuisantes séances de travail, jusqu'à pousser 170 kilos en squats au sommet de son art ! Bref, une volonté titanesque, à peine contrariée en 1993 par une chute terrible sur le vélodrome d'Hyères, qui la tint éloignée des compétitions plusieurs mois. Daniel Morelon se rappelle encore ' cette écharde géante longue d'un mètre cinquante et large de deux centimètres (qu'(on ne parvenait pas à lui enlever. '5 Sans doute cette chute retarda-t-elle l'épanouissement de sa protégée. En tout cas, celle-ci ne baissa jamais les bras, composant note après note le chant secret mais têtu qui l'amènerait dans la lumière douce d'un sport méconnu. Parce que Félicia Ballanger le comprit très tôt : aux yeux du public, ses victoires et ses records (elle établit sept records du monde sur 500 mètres) ne dureraient que ce que durent les roses. ' Au-delà de mon palmarès, j'aimerais qu'on retienne ma persévérance, mon travail et ma discrétion '6, expliqua-t-elle un jour. C'était en août 2000, avant les Jeux Olympiques de Sydney. Ceux de son apothéose et de ses inoubliables adieux.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Ballanger en bref
* Née le 12 juin 1971 à La Roche-sur-Yon, en Vendée.
* Se révèle à 15 ans, en remportant le championnat de France de vitesse chez les cadettes. Après sa carrière, elle a été élue vice-présidente de la Fédération française de cyclisme en 2001.
* Principales victoires : Vitesse : championnat du France 1988, 1991, 1992, 1994, 1995, 1996, 1997, 1998, 1999, 2000 ; championnat du monde 1995, 1996, 1997, 1998, 1999 ; jeux olympiques 1996, 2000. 500 mètres : championnat du France 1996, 1997, 1999, 2000 ; championnat du monde 1995, 1996, 1997, 1998, 1999 ; jeux olympiques 2000.
1 L'Équipe du 20 septembre 2000.
2 Ibid.
3 L'Équipe du 2 octobre 1995.
4 L'Équipe du 20 septembre 2000.
5 Ibid.
6 L'Humanité du 19 août 2000.
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