Pascal Simon, poussière d'étoile...
En 1983, vêtu du maillot jaune, il semblait maîtriser totalement la course. Puis une fracture de l’omoplate l’obligea à rendre les armes. Portrait du Champenois Pascal Simon, l’homme aux états de grâce…
L’image est restée célèbre : Pascal Simon hissé sur le podium du Tour de France à Fleurance, le 13 juillet 1983, mais incapable d’enfiler le maillot jaune protocolaire. Il s’appliquait pourtant, d’un geste lent et malhabile — mais, aussitôt, on ne sait quoi lui transperçait l’épaule, confirmant au grand jour l’étendue de son mal. Oui, le champion, nouvelle coqueluche du public, souffrait dans sa chair, dans son âme. Une douleur insondable, qui le rendait, au sens propre, hébété. Alors, il secouait la tête, comme pour se persuader qu’il faisait un mauvais rêve — mais, une fois encore, ce simple mouvement lui déchirait l’ensemble du dos. Le verdict, délivré par les médecins, serait sans appel : fracture de l’omoplate gauche ! « Il devra conserver son bras immobilisé durant près d’un mois », expliqua, le soir-même, Alain Vernon dans le journal télévisé[1]. Puis le visage du malheureux, allongé sur un lit, s’afficha plein écran. Une voix calme, douce, une expression modeste, des yeux embués : la France du « 20 heures » retenait son souffle, émue par cette vedette bien élevée qui s’efforçait d’y croire. « Maintenant, à moi d’avoir beaucoup de courage pour essayer de finir ce Tour de France… »[2] Car il avait déjà prévenu : il repartirait le lendemain, l’épaule tenue par une bande en caoutchouc. Il irait aussi loin que possible, pour jouer sa chance jusqu’au bout.
Il avait fait ses comptes. Ne possédait-il pas, après seulement onze étapes, 4 minutes et 22 secondes d’avance sur son dauphin, un certain Laurent Fignon ? Et plus de 5 minutes et demie sur le troisième, Jean-René Bernaudeau ? Un bonus exceptionnel, qu’il s’était magnifiquement octroyé la veille, en attaquant dans les cols d’Aspin et de Peyresourde. Derrière, Sean Kelly, le leader, était resté scotché au bitume. Et les deux vétérans, Zoetemelk et Van Impe, avaient senti le poids de l’âge, désormais décrochés par les Millar, Delgado, Fignon, Arroyo, Roche, Anderson, Madiot — et décrochés, bien sûr, par ce Pascal Simon qui multipliait les exploits ! À cet égard, on parlait volontiers du dernier Critérium du Dauphiné-Libéré qu’il avait remporté devant Greg LeMond, avant d’être rudement déclassé pour contrôle positif. Mais la manière dont il s’était distingué lors de l’ascension du Ventoux n’avait pas été sans impressionner les suiveurs : dopage ou non, ce Simon-là cachait des jambes formidables ! Pour tout dire, un athlète étourdissant qui s’était révélé de bonne heure, en triomphant dans le championnat de France réservé aux juniors. Et la suite avait démontré que, s’il n’était pas un prodige, il bénéficiait sans aucun doute du supplément de classe permettant de briller chez les pros. Ses coups de boutoirs du dimanche, en Champagne, souvent à un contre dix… Ses deux succès dans le Tour du Béarn amateur, en 1977 et 1978… Sa facilité naturelle contre-la-montre, égale à son agilité en montagne… Sans oublier cette bizarrerie informulée qui laissait, par instants, les observateurs bouche bée… Parce que l’on devinait, dans ce coureur longiligne, né en 1956 au Mesnil-Saint-Loup, des élans rares, des états de grâce… N’est-ce pas un physicien, un Écossais, Charles Thomson Rees Wilson qui, le premier, identifia les Transient Luminous Event, comprenez des éclairs lumineux visibles en haute atmosphère, au cœur des orages ? Eh bien ! c’était exactement ce que l’on pouvait ressentir quand Pascal Simon touchait au zénith ! « Au Dauphiné 1983, il n’est en rien exagéré d’écrire qu’il a atteint une sorte de perfection », devait ainsi marteler Henri Quiqueré dans les colonnes de Miroir du cyclisme[3]. Puis d’esquisser un portrait dont l’avenir attesterait la justesse : « Un regard d’enfant naïf, éperdu d’espérance et torturé par le doute. Une sorte de mélancolie désenchantée le pousse perpétuellement vers le manque d’assurance, de confiance en soi, vers une perplexité sur ce qu’il est et de ce qu’il sera… »[4]
Pourtant, quel champion il savait incarner ! Timide, discret, certes, mais suffisamment efficace pour gagner la Ronde de Montauroux dès ses débuts professionnels, en 1979, et le Tour du Haut-Var l’année suivante. Avant ce qui symboliserait la première manifestation de ses fameux états de grâce : le Tour de l’Avenir 1981, où il écrasa quinze jours durant son rival, le mythique Sergeï Soukhoroutchenkov, repoussé à 7 mn et 41 sec ! Il y eut également, en 1982, sa probante victoire d’étape dans le Tour de France, au sommet, lui aussi mythique, d’Orcières-Merlette. Bref, une succession d’étincelles pour déclencher l’incroyable orage du 11 juillet 1983… On l’a dit : plus de quatre minutes d’avance ! Une domination absolue sur le peloton et la chance de sa vie puisque le géant du cyclisme mondial, Bernard Hinault, blessé au genou, avait dû renoncer à prendre le départ. Mais la chance, hein… N’est-ce pas Pascal Simon lui-même qui déclarait, à l’amorce de cette édition particulièrement ouverte : « Le vélo n’est pas une science exacte. Les aléas y sont beaucoup trop nombreux. On risque la chute… »[5] Discours prémonitoire, annonçant la maudite cabriole, au kilomètre 46 de l’étape Bagnères-de-Luchon-Fleurance, vingt-quatre heures après sa prise de pouvoir. On connaît l’épilogue : six jours de vaines et poignantes souffrances à défendre son pécule, devenu une peau de chagrin. À bout de forces, mais le maillot jaune toujours sur le dos, il abandonna dans les Alpes. Un « grand oiseau meurtri », lirait-on dans L’Équipe[6].
A-t-on jamais vu un aigle brisé retrouver le soleil ? Ce fut la fin pour Pascal Simon, mystérieusement brûlant et fragile. Il s’escrima néanmoins, glanant un bouquet presque chaque saison : une aumône. Ou, pour mieux le dire, la poussière d’une étoile…
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Pascal Simon en bref
- Né le 27 septembre 1956 au Mesnil-Saint-Loup.
- Professionnel chez Peugeot (1979 à 1986), Z (1987), Système U (1988 et 1989), Castorama (1990 et 1991).
- Principales victoires : Ronde de Montauroux 1979 ; Tour du Haut-Var 1980 et 1986 ; Tour de l’Avenir 1981 ; 1re et 5e étapes du Clasico RCN 1982 ; 15e étape du Tour de France 1982 ; 6e étape du Critérium du Dauphiné 1983 ; Boucles de Sospel 1983 ; Tour Midi-Pyrénées 1984 ; Tour du Vaucluse 1987 ; Châteauroux-Limoges 1988 ; 3e étape du Tour du Limousin 1991.
[1] Archive INA- Antenne 2, 12 juillet 1983.
[2]Ibid.
[4]Ibid.
[5]Ibid.
[6]L’Équipe, 18 juillet 1983.
Pascal Simon, poussière d'étoile...
En 1983, vêtu du maillot jaune, il semblait maîtriser totalement la course. Puis une fracture de l’omoplate l’obligea à rendre les armes. Portrait du Champenois Pascal Simon, l’homme aux états de grâce…
L’image est restée célèbre : Pascal Simon hissé sur le podium du Tour de France à Fleurance, le 13 juillet 1983, mais incapable d’enfiler le maillot jaune protocolaire. Il s’appliquait pourtant, d’un geste lent et malhabile — mais, aussitôt, on ne sait quoi lui transperçait l’épaule, confirmant au grand jour l’étendue de son mal. Oui, le champion, nouvelle coqueluche du public, souffrait dans sa chair, dans son âme. Une douleur insondable, qui le rendait, au sens propre, hébété. Alors, il secouait la tête, comme pour se persuader qu’il faisait un mauvais rêve — mais, une fois encore, ce simple mouvement lui déchirait l’ensemble du dos. Le verdict, délivré par les médecins, serait sans appel : fracture de l’omoplate gauche ! « Il devra conserver son bras immobilisé durant près d’un mois », expliqua, le soir-même, Alain Vernon dans le journal télévisé[1]. Puis le visage du malheureux, allongé sur un lit, s’afficha plein écran. Une voix calme, douce, une expression modeste, des yeux embués : la France du « 20 heures » retenait son souffle, émue par cette vedette bien élevée qui s’efforçait d’y croire. « Maintenant, à moi d’avoir beaucoup de courage pour essayer de finir ce Tour de France… »[2] Car il avait déjà prévenu : il repartirait le lendemain, l’épaule tenue par une bande en caoutchouc. Il irait aussi loin que possible, pour jouer sa chance jusqu’au bout.
Il avait fait ses comptes. Ne possédait-il pas, après seulement onze étapes, 4 minutes et 22 secondes d’avance sur son dauphin, un certain Laurent Fignon ? Et plus de 5 minutes et demie sur le troisième, Jean-René Bernaudeau ? Un bonus exceptionnel, qu’il s’était magnifiquement octroyé la veille, en attaquant dans les cols d’Aspin et de Peyresourde. Derrière, Sean Kelly, le leader, était resté scotché au bitume. Et les deux vétérans, Zoetemelk et Van Impe, avaient senti le poids de l’âge, désormais décrochés par les Millar, Delgado, Fignon, Arroyo, Roche, Anderson, Madiot — et décrochés, bien sûr, par ce Pascal Simon qui multipliait les exploits ! À cet égard, on parlait volontiers du dernier Critérium du Dauphiné-Libéré qu’il avait remporté devant Greg LeMond, avant d’être rudement déclassé pour contrôle positif. Mais la manière dont il s’était distingué lors de l’ascension du Ventoux n’avait pas été sans impressionner les suiveurs : dopage ou non, ce Simon-là cachait des jambes formidables ! Pour tout dire, un athlète étourdissant qui s’était révélé de bonne heure, en triomphant dans le championnat de France réservé aux juniors. Et la suite avait démontré que, s’il n’était pas un prodige, il bénéficiait sans aucun doute du supplément de classe permettant de briller chez les pros. Ses coups de boutoirs du dimanche, en Champagne, souvent à un contre dix… Ses deux succès dans le Tour du Béarn amateur, en 1977 et 1978… Sa facilité naturelle contre-la-montre, égale à son agilité en montagne… Sans oublier cette bizarrerie informulée qui laissait, par instants, les observateurs bouche bée… Parce que l’on devinait, dans ce coureur longiligne, né en 1956 au Mesnil-Saint-Loup, des élans rares, des états de grâce… N’est-ce pas un physicien, un Écossais, Charles Thomson Rees Wilson qui, le premier, identifia les Transient Luminous Event, comprenez des éclairs lumineux visibles en haute atmosphère, au cœur des orages ? Eh bien ! c’était exactement ce que l’on pouvait ressentir quand Pascal Simon touchait au zénith ! « Au Dauphiné 1983, il n’est en rien exagéré d’écrire qu’il a atteint une sorte de perfection », devait ainsi marteler Henri Quiqueré dans les colonnes de Miroir du cyclisme[3]. Puis d’esquisser un portrait dont l’avenir attesterait la justesse : « Un regard d’enfant naïf, éperdu d’espérance et torturé par le doute. Une sorte de mélancolie désenchantée le pousse perpétuellement vers le manque d’assurance, de confiance en soi, vers une perplexité sur ce qu’il est et de ce qu’il sera… »[4]
Pourtant, quel champion il savait incarner ! Timide, discret, certes, mais suffisamment efficace pour gagner la Ronde de Montauroux dès ses débuts professionnels, en 1979, et le Tour du Haut-Var l’année suivante. Avant ce qui symboliserait la première manifestation de ses fameux états de grâce : le Tour de l’Avenir 1981, où il écrasa quinze jours durant son rival, le mythique Sergeï Soukhoroutchenkov, repoussé à 7 mn et 41 sec ! Il y eut également, en 1982, sa probante victoire d’étape dans le Tour de France, au sommet, lui aussi mythique, d’Orcières-Merlette. Bref, une succession d’étincelles pour déclencher l’incroyable orage du 11 juillet 1983… On l’a dit : plus de quatre minutes d’avance ! Une domination absolue sur le peloton et la chance de sa vie puisque le géant du cyclisme mondial, Bernard Hinault, blessé au genou, avait dû renoncer à prendre le départ. Mais la chance, hein… N’est-ce pas Pascal Simon lui-même qui déclarait, à l’amorce de cette édition particulièrement ouverte : « Le vélo n’est pas une science exacte. Les aléas y sont beaucoup trop nombreux. On risque la chute… »[5] Discours prémonitoire, annonçant la maudite cabriole, au kilomètre 46 de l’étape Bagnères-de-Luchon-Fleurance, vingt-quatre heures après sa prise de pouvoir. On connaît l’épilogue : six jours de vaines et poignantes souffrances à défendre son pécule, devenu une peau de chagrin. À bout de forces, mais le maillot jaune toujours sur le dos, il abandonna dans les Alpes. Un « grand oiseau meurtri », lirait-on dans L’Équipe[6].
A-t-on jamais vu un aigle brisé retrouver le soleil ? Ce fut la fin pour Pascal Simon, mystérieusement brûlant et fragile. Il s’escrima néanmoins, glanant un bouquet presque chaque saison : une aumône. Ou, pour mieux le dire, la poussière d’une étoile…
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Pascal Simon en bref
- Né le 27 septembre 1956 au Mesnil-Saint-Loup.
- Professionnel chez Peugeot (1979 à 1986), Z (1987), Système U (1988 et 1989), Castorama (1990 et 1991).
- Principales victoires : Ronde de Montauroux 1979 ; Tour du Haut-Var 1980 et 1986 ; Tour de l’Avenir 1981 ; 1re et 5e étapes du Clasico RCN 1982 ; 15e étape du Tour de France 1982 ; 6e étape du Critérium du Dauphiné 1983 ; Boucles de Sospel 1983 ; Tour Midi-Pyrénées 1984 ; Tour du Vaucluse 1987 ; Châteauroux-Limoges 1988 ; 3e étape du Tour du Limousin 1991.
[1] Archive INA- Antenne 2, 12 juillet 1983.
[2]Ibid.
[4]Ibid.
[5]Ibid.
[6]L’Équipe, 18 juillet 1983.
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