UNCP UNCP
L'UNCP est le syndicat professionnel des coureurs cyclistes français.
Syndicat de service et de dialogue constructif.
Créé il y a plus de 60 ans, il a pour vocation la représentation des coureurs et la défense de leurs intérêts collectifs et individuels.
contact@uncp.net . Comité Directeur . UNCP 161 Chemin du Buisson – 38110 DOLOMIEU
  • Route Pro Championnats de France Cassel 2023 - Photo Bruno Bade
  • Route Pro Photo Bruno Bade
  • Route d’Occitanie 2020 Photo Bruno Bade
  • Tro Bro Leon 2019 Photo Bruno Bade
  • Paris Camembert 2020 Photo Bruno Bade
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Régis Ovion, un aiglon, presque un aigle


Titre mondial en jeu, il battit Maertens au sprint puis domina l'Izoard dans le Tour de l'Avenir. C'était chez les amateurs, en 1971, quand on le croyait l'égal de Coppi. Puis l'aiglon replia ses ailes. Portrait de Régis Ovion...


Il fallait le voir en 1971, lorsqu'il gagnait les contre-la-montre : des épaules bien en ligne et le dos courbé tel un arc - le dos, oui ! exactement pareil à celui d'Ocana ! Or, pendant le Tour de France, l'Espagnol avait écrasé Eddy Merckx, le plus grand cycliste de l'histoire. D'où l'idée que Régis Ovion, nouveau champion du monde amateur, puis lauréat du Tour de l'Avenir, d'où l'idée que le sociétaire de l'Association Cycliste de Boulogne-Billancourt deviendrait, lui aussi, un géant de son sport. C'était au point que Jean-Michel Leulliot, journaliste réputé, n'hésitait pas à prévenir, face aux caméras de l'O.R.T.F. : ' On compare Régis Ovion soit à Merckx, soit à Coppi. '1 À ses côtés, Robert Oubron, le sélectionneur de l'équipe de France, renchérissait en pesant chaque mot. ' [C'est] le plus beau vainqueur du Tour de l'Avenir. Et l'avenir le prouvera... '2 On pourrait imaginer que l'intéressé, modestement assis dans un énorme fauteuil, buvait ces paroles d'experts. Mais la vérité est qu'il se tordait les mains, visiblement déconcerté par cette pluie d'hommages. À vingt-deux ans, c'était encore un gosse, couvé par ses parents, effacé, timide. Rien en lui n'exprimait le champion.

D'ailleurs, champion, il ne l'avait pas toujours été. Né dans une famille sans le sou, il avait débuté sur un vélo d'occasion, chez les cadets, régulièrement pointé en queue de peloton. Puis, sans crier gare, son corps l'avait propulsé sur le devant de la scène. À dix-huit ans, il avait enlevé Paris-Montereau. À dix-neuf ans, le Grand Prix de Boulogne. À vingt, il était sacré champion de France de poursuite militaire. À vingt et un ans, brisant définitivement sa coquille, il avait dominé la Route de France et le Tour de Guadeloupe. Puis il y avait eu, en 1971, sa seconde victoire dans la Route de France, sa victoire dans le championnat de France de poursuite par équipe et, le 4 septembre, son aventure au championnat du monde disputé en Suisse, à Mendrisio. On passe sur le déroulement de la course, sur l'échappée de Den Hertog, Viejo, Van Linden et Duchemin dans le final. Sous la flamme rouge, une douzaine d'hommes jouaient des coudes, dont les rapides Szurkowski et Maertens. Lucide, puissant, littéralement porté par la grâce, Régis Ovion lança le sprint à 300 mètres de la ligne. Maertens, le futur bolide des années soixante-dix, battu d'une longueur, n'eut que ses yeux pour pleurer.
Revêtu du maillot arc-en-ciel, le jeune Français survola donc un inoubliable Tour de l'Avenir, particulièrement montagneux. L'organisateur, en effet, avait programmé nombre de cols alpestres, dont le mythique Izoard, où Coppi, Bobet s'étaient illustrés. Conscient de l'enjeu, Ovion partit à l'assaut, décrochant un à un ses rivaux pour triompher en solitaire. C'est alors que la presse lui prédit une inégalable destinée. Seul problème : il avait ordre de retarder d'un an son passage chez les pros ! La Fédération française de cyclisme l'avait exigé ; elle le voyait déjà champion olympique...

Que fit-il de cette fastidieuse saison ? Il rongea son frein, inquiet de tout devoir miser sur le rendez-vous de Munich. On connaît la suite : l'attaque imparable de Kuiper, l'amertume d'Ovion, finalement quinzième d'une course aussi physique que tactique. Néanmoins, il enchaîna avec le monde professionnel, rejoignant officiellement l'équipe Peugeot en date du 1er octobre 1972. Dire qu'il y fut magnifique est à peine assez dire : il signa cinq victoires dès ses débuts et cumula d'audacieuses places d'honneur. Son baptême du feu ? Paris-Nice 1973, qu'il termina quatrième derrière Poulidor, Zoetemelk et Merckx. Puis il confirma, finissant cinquième de Liège-Bastogne-Liège, quatrième du Dauphiné-Libéré, deuxième du championnat de France, dixième du Tour de France, septième du Tour de Lombardie. Bref ! huit mois exceptionnels, dignes des promesses qu'il avait soulevées... Dans ces conditions, comment comprendre que Régis Ovion, un aiglon, presque un aigle, replia aussitôt ses ailes, pour durablement végéter ? La question fut posée durant l'été 1974, quand il s'avéra que l'enfant-roi ne pouvait plus suivre les meilleurs. En 1975, certes, il bénéficia d'une sorte de rémission puisqu'il devint champion de France - il pleura longuement sur le podium, se croyant sauvé... Mais, ce n'était qu'un sursis. Malgré des succès sporadiques, notamment dans le Tour de Corse 1977 et Paris-Bourges 1978, jamais l'ancien prodige ne put entretenir l'illusion. Il était devenu un coureur ordinaire, soumis à Maurice De Muer, son directeur sportif, à Bernard Thévenet, son leader, à François Bellocq, le médecin des Peugeot.

Combien d'années lui fallut-il pour admettre que son heure avait passé, sans même avoir sonné ? C'est le secret de ce timide, sa blessure... Pourtant, un homme, le docteur Pierre Dumas, interrogé au temps de ses prouesses, l'avait mis en garde : ' On a de nombreux exemples, hélas, de jeunes champions pleins d'avenir qui, tout d'un coup, se sont mis à plafonner, et même à disparaître... '3 Avec ses yeux de bon élève, celui qui régnait sur le cyclisme amateur l'avait dévisagé, mais sans le croire. Il voulait tellement ressembler à Gimondi, son modèle, et faire la course en tête...

Quelle histoire, un peu douce, un peu triste... Par un curieux retour des choses, Régis Ovion y mit un beau point final en 1981, en revenant sur un Tour de l'Avenir ouvert aux professionnels. Dans le peloton trépignait la nouvelle génération, emmenée par Stephen Roche, Gilbert Glaus, Pascal Simon, Marc Madiot, Robert Millar. Arrive la cinquième étape, à Saint-Trivier-sur-Moignans. Comme poussé par ses rêves, par ses jambes d'antan, Régis Ovion sprinte et s'impose, levant ses bras vers le ciel. Pour un soir, il est redevenu grand.

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.



Régis Ovion en bref

* Né le 3 mars 1949 à Vigneux-sur-Seine.
* Champion du monde amateur et vainqueur du Tour de l'Avenir en 1971.
* Professionnel chez Peugeot (1972-1979), Puch (1980-1981), Wolber (1982).
* 21 victoires dont le  Ch. de France 1975 ; Tour de Corse 1977 ; Paris-Bourges 1978 ; une étape du Crit. national 1980 ; une étape Tour de l'Avenir 1981. Lauréat de la Promotion Pernod 1973.

 


1 Archives INA. ORTF du 26 septembre 1971.
2 Ibid.
3 Archives INA. Les Coulisses de l'exploit. ORTF du 15 décembre 1971.

Régis Ovion, un aiglon, presque un aigle


Titre mondial en jeu, il battit Maertens au sprint puis domina l'Izoard dans le Tour de l'Avenir. C'était chez les amateurs, en 1971, quand on le croyait l'égal de Coppi. Puis l'aiglon replia ses ailes. Portrait de Régis Ovion...


Il fallait le voir en 1971, lorsqu'il gagnait les contre-la-montre : des épaules bien en ligne et le dos courbé tel un arc - le dos, oui ! exactement pareil à celui d'Ocana ! Or, pendant le Tour de France, l'Espagnol avait écrasé Eddy Merckx, le plus grand cycliste de l'histoire. D'où l'idée que Régis Ovion, nouveau champion du monde amateur, puis lauréat du Tour de l'Avenir, d'où l'idée que le sociétaire de l'Association Cycliste de Boulogne-Billancourt deviendrait, lui aussi, un géant de son sport. C'était au point que Jean-Michel Leulliot, journaliste réputé, n'hésitait pas à prévenir, face aux caméras de l'O.R.T.F. : ' On compare Régis Ovion soit à Merckx, soit à Coppi. '1 À ses côtés, Robert Oubron, le sélectionneur de l'équipe de France, renchérissait en pesant chaque mot. ' [C'est] le plus beau vainqueur du Tour de l'Avenir. Et l'avenir le prouvera... '2 On pourrait imaginer que l'intéressé, modestement assis dans un énorme fauteuil, buvait ces paroles d'experts. Mais la vérité est qu'il se tordait les mains, visiblement déconcerté par cette pluie d'hommages. À vingt-deux ans, c'était encore un gosse, couvé par ses parents, effacé, timide. Rien en lui n'exprimait le champion.

D'ailleurs, champion, il ne l'avait pas toujours été. Né dans une famille sans le sou, il avait débuté sur un vélo d'occasion, chez les cadets, régulièrement pointé en queue de peloton. Puis, sans crier gare, son corps l'avait propulsé sur le devant de la scène. À dix-huit ans, il avait enlevé Paris-Montereau. À dix-neuf ans, le Grand Prix de Boulogne. À vingt, il était sacré champion de France de poursuite militaire. À vingt et un ans, brisant définitivement sa coquille, il avait dominé la Route de France et le Tour de Guadeloupe. Puis il y avait eu, en 1971, sa seconde victoire dans la Route de France, sa victoire dans le championnat de France de poursuite par équipe et, le 4 septembre, son aventure au championnat du monde disputé en Suisse, à Mendrisio. On passe sur le déroulement de la course, sur l'échappée de Den Hertog, Viejo, Van Linden et Duchemin dans le final. Sous la flamme rouge, une douzaine d'hommes jouaient des coudes, dont les rapides Szurkowski et Maertens. Lucide, puissant, littéralement porté par la grâce, Régis Ovion lança le sprint à 300 mètres de la ligne. Maertens, le futur bolide des années soixante-dix, battu d'une longueur, n'eut que ses yeux pour pleurer.
Revêtu du maillot arc-en-ciel, le jeune Français survola donc un inoubliable Tour de l'Avenir, particulièrement montagneux. L'organisateur, en effet, avait programmé nombre de cols alpestres, dont le mythique Izoard, où Coppi, Bobet s'étaient illustrés. Conscient de l'enjeu, Ovion partit à l'assaut, décrochant un à un ses rivaux pour triompher en solitaire. C'est alors que la presse lui prédit une inégalable destinée. Seul problème : il avait ordre de retarder d'un an son passage chez les pros ! La Fédération française de cyclisme l'avait exigé ; elle le voyait déjà champion olympique...

Que fit-il de cette fastidieuse saison ? Il rongea son frein, inquiet de tout devoir miser sur le rendez-vous de Munich. On connaît la suite : l'attaque imparable de Kuiper, l'amertume d'Ovion, finalement quinzième d'une course aussi physique que tactique. Néanmoins, il enchaîna avec le monde professionnel, rejoignant officiellement l'équipe Peugeot en date du 1er octobre 1972. Dire qu'il y fut magnifique est à peine assez dire : il signa cinq victoires dès ses débuts et cumula d'audacieuses places d'honneur. Son baptême du feu ? Paris-Nice 1973, qu'il termina quatrième derrière Poulidor, Zoetemelk et Merckx. Puis il confirma, finissant cinquième de Liège-Bastogne-Liège, quatrième du Dauphiné-Libéré, deuxième du championnat de France, dixième du Tour de France, septième du Tour de Lombardie. Bref ! huit mois exceptionnels, dignes des promesses qu'il avait soulevées... Dans ces conditions, comment comprendre que Régis Ovion, un aiglon, presque un aigle, replia aussitôt ses ailes, pour durablement végéter ? La question fut posée durant l'été 1974, quand il s'avéra que l'enfant-roi ne pouvait plus suivre les meilleurs. En 1975, certes, il bénéficia d'une sorte de rémission puisqu'il devint champion de France - il pleura longuement sur le podium, se croyant sauvé... Mais, ce n'était qu'un sursis. Malgré des succès sporadiques, notamment dans le Tour de Corse 1977 et Paris-Bourges 1978, jamais l'ancien prodige ne put entretenir l'illusion. Il était devenu un coureur ordinaire, soumis à Maurice De Muer, son directeur sportif, à Bernard Thévenet, son leader, à François Bellocq, le médecin des Peugeot.

Combien d'années lui fallut-il pour admettre que son heure avait passé, sans même avoir sonné ? C'est le secret de ce timide, sa blessure... Pourtant, un homme, le docteur Pierre Dumas, interrogé au temps de ses prouesses, l'avait mis en garde : ' On a de nombreux exemples, hélas, de jeunes champions pleins d'avenir qui, tout d'un coup, se sont mis à plafonner, et même à disparaître... '3 Avec ses yeux de bon élève, celui qui régnait sur le cyclisme amateur l'avait dévisagé, mais sans le croire. Il voulait tellement ressembler à Gimondi, son modèle, et faire la course en tête...

Quelle histoire, un peu douce, un peu triste... Par un curieux retour des choses, Régis Ovion y mit un beau point final en 1981, en revenant sur un Tour de l'Avenir ouvert aux professionnels. Dans le peloton trépignait la nouvelle génération, emmenée par Stephen Roche, Gilbert Glaus, Pascal Simon, Marc Madiot, Robert Millar. Arrive la cinquième étape, à Saint-Trivier-sur-Moignans. Comme poussé par ses rêves, par ses jambes d'antan, Régis Ovion sprinte et s'impose, levant ses bras vers le ciel. Pour un soir, il est redevenu grand.

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.



Régis Ovion en bref

* Né le 3 mars 1949 à Vigneux-sur-Seine.
* Champion du monde amateur et vainqueur du Tour de l'Avenir en 1971.
* Professionnel chez Peugeot (1972-1979), Puch (1980-1981), Wolber (1982).
* 21 victoires dont le  Ch. de France 1975 ; Tour de Corse 1977 ; Paris-Bourges 1978 ; une étape du Crit. national 1980 ; une étape Tour de l'Avenir 1981. Lauréat de la Promotion Pernod 1973.

 


1 Archives INA. ORTF du 26 septembre 1971.
2 Ibid.
3 Archives INA. Les Coulisses de l'exploit. ORTF du 15 décembre 1971.