Antonin Magne, la gloire et la vertu
Il jugeait que ' la gloire n'est jamais où la vertu n'est pas '. Aussi se refusa-t-il toujours à tricher, qu'il fût coureur ou directeur sportif. Deux métiers dans lesquels il atteignit les sommets et rendit au cyclisme le meilleur des services : celui de l'exemple.
Il gouverna si bien l'équipe Mercier de 1945 à 1969, il cumula tant de succès avec Moujica, Diot, Van Steenbergen, Gauthier, Bobet, Bouvet, Impanis, Gainche, Privat et Poulidor, qu'on finirait par oublier que ce prestigieux directeur sportif a couru, lui aussi. Et quel coureur ! Oui, quel coureur a été Antonin Magne, capable à la fois de défendre son maillot jaune et de devenir, après Georges Speicher, le deuxième Français sacré champion du monde sur route. C'était en 1936, sur un circuit difficile, près de Berne. Pour forcer le destin, l'Auvergnat, alors âgé de trente-deux ans, avait démarré au cinquantième kilomètre, pariant que ses principaux adversaires, Bartali et Bini, hésiteraient à mener la poursuite. Ne tombait-il pas une pluie froide, serrée, épuisante, propice aux découragements ? D'où son souci de rester en tête coûte que coûte, d'abord relayé par une dizaine d'échappés, puis par les seuls Deloor et Hansen quand, les poches pleines, il eut brûlé le ' ravito ' ! Car Antonin Magne, athlète méthodique, intelligent, ne laissait rien au hasard... Dès que le peloton se rapprocha à moins de trois minutes, il relança brutalement l'allure, condamnant au passage Deloor et Hansen, ceux-ci victimes d'une crevaison. La fin de course, digne de ses deux premières victoires aux Nations, fut un chef-d'oeuvre d'envolée solitaire. Aldo Bini, son dauphin, franchit la ligne avec 9 mn 27 s de retard.
' Carrière irréprochable, dense, honorablement connue des historiens du cyclisme : Paris-Limoges en 1927 et 28, le Tour de France en 1931 et 34, le Grand Prix des Nations en 1934, 35 et 36, le championnat du monde en 1936 à Berne en sont les plus beaux fleurons1 ', résuma Jean-Marie Leblanc en 1981. Etablissant un autre décompte, le futur directeur du Tour de France ajouterait cette remarque : ' Dix-huit années de compétition, vingt-cinq années de direction sportive et dix années de fédéralisme : l'addition est édifiante des services rendus au cyclisme '2, avant de conclure l'un des meilleurs portraits qui soient d'Antonin Magne : ' Il y a chez ce cacique du cyclisme français quelque chose du Booz de Victor Hugo : ' cet homme marchait pur, loin des sentiers obliques '. L'avoir rencontré au bout de son âge, au jour finissant, tandis que le vent et la pluie battaient la campagne, c'était un peu prêter l'oreille aux belles et bonnes histoires morales que les grands-pères savent raconter à leurs petits-enfants. C'était aussi, et surtout, une sacrée leçon d'humanité... '3
La leçon n'a pas été vaine. Aujourd'hui encore, dans les pelotons amateurs comme dans les journaux, des voix s'élèvent pour rappeler qu'Antonin Magne avait fait imprimer, sur le papier des cycles Mercier, les douze pieds de sa propre devise : ' La gloire n'est jamais où la vertu n'est pas '. Moyennant quoi, par idéal autant que par ambition, celui qui était né dans le Cantal en 1904 chercha vite à éduquer son jeune corps. Des hivers durant, par exemple, il s'obligea à déplacer chaque matin la lourde pierre qu'il conservait au fond de son jardin - un ' acte gratuit ', mais d'une portée différente que le célèbre acte gratuit de Lafcadio, très à la mode après 1914. De la même manière, ce fils de métayers développa sa curiosité, son instinct, son bon sens, sa juste clairvoyance. C'est au point qu'il aurait pu écrire, vingt ans avant Coppi, un manuel de diététique et un manuel d'entraînement, domaines dans lesquels il était précurseur. Il aurait pu signer en outre un manuel du savoir-vivre. S'ils lisaient davantage, ses lointains successeurs, le portable à l'oreille mais les façons de charretiers, y eussent puisé d'utiles enseignements...
Coureur ou directeur sportif, Antonin Magne ne trichait pas - jamais. Au volant de la voiture Mercier, cette seconde nature lui valut de perdre plusieurs classiques et certains Tours de France. Tantôt, c'était ce renard de Van Steenbergen qui ' fourguait ' ; tantôt, c'étaient Francis Pélissier, Trialoux, Geminiani et consorts qui ' arrangeaient les bidons '. Évidemment, l'homme à la légendaire blouse blanche et au béret basque - son inamovible tenue sur les courses - fulminait, prouvant qu'il n'était dupe de rien. Mais il s'opiniâtrait, superbe et droit, son beau visage hiératique retrouvant ses éclairs d'antan, lorsqu'il bataillait crânement contre Girardengo, Binda et le jeune Guerra, contre Leducq, Speicher, Lapébie ou Vietto, contre Sylvère et Romain Maes, contre le Bartali d'avant-guerre, contre Georges Ronsse, contre Nicolas Frantz, contre Jean Aerts. Parce qu'il faut le noter : Antonin Magne défia une étonnante génération de routiers, sans doute supérieure à celle des années cinquante. D'ailleurs, avec la sereine certitude qu'apporte une vie d'expérience, il affirmait qu'Alfredo Binda surpassait Costante Girardengo, et que le preux Costante surpassait Fausto Coppi, et ' aussi Eddy Merckx ! '4 Eh bien ! puisque l'on pèse ici les mérites des uns et des autres, on veut formellement attester qu'Antonin Magne gagna, entre 1927 et 1939, des épreuves magnifiques, dont deux Tours de France, sans toucher au dopage - jamais ! Son premier maillot jaune, ce fut en 1931 ; le deuxième, en 1934. Longtemps, en 1936, il crut réussir le triplé, mais Sylvère Maes le lâcha dans les Pyrénées. ' Tu es un grand coureur. Tu es loyal, et je suis content d'être battu par toi '5, commenta-t-il devant le public parisien, en saluant son rival.
À Livry-Gargan, où il vécut, une stèle témoigne qu'il fut un personnage hors de pair.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Magne en bref
* Né le 15 février 1904 à Ytrac (Cantal). Décédé le 8 septembre 1983 à Arcachon.
* Se révèle chez les amateurs en remportant Paris-Évreux 1925 et Paris-Saint-Quentin 1926. Il passe professionnel chez Alléluia-Wolber (1927 à 1930), France-Sport (1931 à 1938), Mercier (1939). Puis devient directeur sportif de Mercier (1945-1969).
* Principales victoires : Tours de France 1931 et 1934, Champ. du monde 1936, G.P. Wolber 1927, Paris-Limoges 1927 et 1929, Circuit des Villes d'eau d'Auvergne 1929, Paris-Vichy 1929, G.P. des Nations 1934, 1935, 1936, Challenge Sedis 1934, 1936.
1 In Vélo Magazine n° 151, février 1981.
2 Ibid.
3 Ibid.
4 Ibid.
5 In Les Rires et les larmes du maillot jaune, DVD, 2003, LMLR.
Antonin Magne, la gloire et la vertu
Il jugeait que ' la gloire n'est jamais où la vertu n'est pas '. Aussi se refusa-t-il toujours à tricher, qu'il fût coureur ou directeur sportif. Deux métiers dans lesquels il atteignit les sommets et rendit au cyclisme le meilleur des services : celui de l'exemple.
Il gouverna si bien l'équipe Mercier de 1945 à 1969, il cumula tant de succès avec Moujica, Diot, Van Steenbergen, Gauthier, Bobet, Bouvet, Impanis, Gainche, Privat et Poulidor, qu'on finirait par oublier que ce prestigieux directeur sportif a couru, lui aussi. Et quel coureur ! Oui, quel coureur a été Antonin Magne, capable à la fois de défendre son maillot jaune et de devenir, après Georges Speicher, le deuxième Français sacré champion du monde sur route. C'était en 1936, sur un circuit difficile, près de Berne. Pour forcer le destin, l'Auvergnat, alors âgé de trente-deux ans, avait démarré au cinquantième kilomètre, pariant que ses principaux adversaires, Bartali et Bini, hésiteraient à mener la poursuite. Ne tombait-il pas une pluie froide, serrée, épuisante, propice aux découragements ? D'où son souci de rester en tête coûte que coûte, d'abord relayé par une dizaine d'échappés, puis par les seuls Deloor et Hansen quand, les poches pleines, il eut brûlé le ' ravito ' ! Car Antonin Magne, athlète méthodique, intelligent, ne laissait rien au hasard... Dès que le peloton se rapprocha à moins de trois minutes, il relança brutalement l'allure, condamnant au passage Deloor et Hansen, ceux-ci victimes d'une crevaison. La fin de course, digne de ses deux premières victoires aux Nations, fut un chef-d'oeuvre d'envolée solitaire. Aldo Bini, son dauphin, franchit la ligne avec 9 mn 27 s de retard.
' Carrière irréprochable, dense, honorablement connue des historiens du cyclisme : Paris-Limoges en 1927 et 28, le Tour de France en 1931 et 34, le Grand Prix des Nations en 1934, 35 et 36, le championnat du monde en 1936 à Berne en sont les plus beaux fleurons1 ', résuma Jean-Marie Leblanc en 1981. Etablissant un autre décompte, le futur directeur du Tour de France ajouterait cette remarque : ' Dix-huit années de compétition, vingt-cinq années de direction sportive et dix années de fédéralisme : l'addition est édifiante des services rendus au cyclisme '2, avant de conclure l'un des meilleurs portraits qui soient d'Antonin Magne : ' Il y a chez ce cacique du cyclisme français quelque chose du Booz de Victor Hugo : ' cet homme marchait pur, loin des sentiers obliques '. L'avoir rencontré au bout de son âge, au jour finissant, tandis que le vent et la pluie battaient la campagne, c'était un peu prêter l'oreille aux belles et bonnes histoires morales que les grands-pères savent raconter à leurs petits-enfants. C'était aussi, et surtout, une sacrée leçon d'humanité... '3
La leçon n'a pas été vaine. Aujourd'hui encore, dans les pelotons amateurs comme dans les journaux, des voix s'élèvent pour rappeler qu'Antonin Magne avait fait imprimer, sur le papier des cycles Mercier, les douze pieds de sa propre devise : ' La gloire n'est jamais où la vertu n'est pas '. Moyennant quoi, par idéal autant que par ambition, celui qui était né dans le Cantal en 1904 chercha vite à éduquer son jeune corps. Des hivers durant, par exemple, il s'obligea à déplacer chaque matin la lourde pierre qu'il conservait au fond de son jardin - un ' acte gratuit ', mais d'une portée différente que le célèbre acte gratuit de Lafcadio, très à la mode après 1914. De la même manière, ce fils de métayers développa sa curiosité, son instinct, son bon sens, sa juste clairvoyance. C'est au point qu'il aurait pu écrire, vingt ans avant Coppi, un manuel de diététique et un manuel d'entraînement, domaines dans lesquels il était précurseur. Il aurait pu signer en outre un manuel du savoir-vivre. S'ils lisaient davantage, ses lointains successeurs, le portable à l'oreille mais les façons de charretiers, y eussent puisé d'utiles enseignements...
Coureur ou directeur sportif, Antonin Magne ne trichait pas - jamais. Au volant de la voiture Mercier, cette seconde nature lui valut de perdre plusieurs classiques et certains Tours de France. Tantôt, c'était ce renard de Van Steenbergen qui ' fourguait ' ; tantôt, c'étaient Francis Pélissier, Trialoux, Geminiani et consorts qui ' arrangeaient les bidons '. Évidemment, l'homme à la légendaire blouse blanche et au béret basque - son inamovible tenue sur les courses - fulminait, prouvant qu'il n'était dupe de rien. Mais il s'opiniâtrait, superbe et droit, son beau visage hiératique retrouvant ses éclairs d'antan, lorsqu'il bataillait crânement contre Girardengo, Binda et le jeune Guerra, contre Leducq, Speicher, Lapébie ou Vietto, contre Sylvère et Romain Maes, contre le Bartali d'avant-guerre, contre Georges Ronsse, contre Nicolas Frantz, contre Jean Aerts. Parce qu'il faut le noter : Antonin Magne défia une étonnante génération de routiers, sans doute supérieure à celle des années cinquante. D'ailleurs, avec la sereine certitude qu'apporte une vie d'expérience, il affirmait qu'Alfredo Binda surpassait Costante Girardengo, et que le preux Costante surpassait Fausto Coppi, et ' aussi Eddy Merckx ! '4 Eh bien ! puisque l'on pèse ici les mérites des uns et des autres, on veut formellement attester qu'Antonin Magne gagna, entre 1927 et 1939, des épreuves magnifiques, dont deux Tours de France, sans toucher au dopage - jamais ! Son premier maillot jaune, ce fut en 1931 ; le deuxième, en 1934. Longtemps, en 1936, il crut réussir le triplé, mais Sylvère Maes le lâcha dans les Pyrénées. ' Tu es un grand coureur. Tu es loyal, et je suis content d'être battu par toi '5, commenta-t-il devant le public parisien, en saluant son rival.
À Livry-Gargan, où il vécut, une stèle témoigne qu'il fut un personnage hors de pair.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Magne en bref
* Né le 15 février 1904 à Ytrac (Cantal). Décédé le 8 septembre 1983 à Arcachon.
* Se révèle chez les amateurs en remportant Paris-Évreux 1925 et Paris-Saint-Quentin 1926. Il passe professionnel chez Alléluia-Wolber (1927 à 1930), France-Sport (1931 à 1938), Mercier (1939). Puis devient directeur sportif de Mercier (1945-1969).
* Principales victoires : Tours de France 1931 et 1934, Champ. du monde 1936, G.P. Wolber 1927, Paris-Limoges 1927 et 1929, Circuit des Villes d'eau d'Auvergne 1929, Paris-Vichy 1929, G.P. des Nations 1934, 1935, 1936, Challenge Sedis 1934, 1936.
1 In Vélo Magazine n° 151, février 1981.
2 Ibid.
3 Ibid.
4 Ibid.
5 In Les Rires et les larmes du maillot jaune, DVD, 2003, LMLR.
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