Roger Legeay, ou l'histoire d'un ''mec''...
Avant de devenir directeur sportif et d'être un omniprésent dirigeant du cyclisme, il avait été un coureur offensif et attachant, qui avait l'estime de ses pairs. Portrait de Roger Legeay...
Il est de ces rares personnages qui auront eu deux vies dans le cyclisme - deux vies pleines, il va sans dire, puisque Roger Legeay a toujours mis du cœur à l'ouvrage. Coureur, il se signalait par de nombreuses échappées, en un temps où s'échapper signifiait l'aventure. Puis il troqua le damier des Peugeot pour la tenue d'un directeur sportif adjoint, promu ensuite directeur sportif, manager, président de l'Association internationale des groupes cyclistes professionnels, président de la Ligue du cyclisme professionnel, vice-président de la Fédération française de cyclisme et président de l'A.C. 2000, une instance écoutée. Bref, ' un CV long comme un jour sans vélo ', écrirait Jean-Emmanuel Ducoin1 ; ' de multiples casquettes ', renchérirait Philippe Bouvet2. Avec les conséquences que l'on sait : une mise en examen, le 29 mars 1999, pour ce qui ressemblait, aux yeux du juge Patrick Keil, à une responsabilité dans la pandémie du dopage. Tranchons l'affaire à l'aune du bon sens : à moins d'être sourd, aveugle et idiot, oui ! il était pour partie responsable, à l'égal de ses confrères de l'époque. Moyennant quoi, certains le peignirent d'une encre sombre et grinçante, pareille aux cuivres de Goya. Or, le même bon sens démontre que Roger Legeay méritait beaucoup mieux. C'était un homme travailleur, méthodique et fidèle, qui avait le louable souci de s'élever, et d'élever son sport avec lui. Dans sa première mission, il aura parfaitement réussi.
Travailleur, méthodique, mais aussi altruiste. Avec un franc-parler célèbre, Raymond Delisle l'a ainsi résumé : ' Ça, c'était un mec ! '3 Il faisait référence à l'incroyable journée du 8 juillet 1976, laquelle avait transformé le vétéran en inattendu maillot jaune : ' Au cours de l'ascension du col de Jau, j'ai rejoint Roger Legeay, échappé matinal. Il appartenait à [l'équipe Lejeune-BP], mais il était normand comme moi. Je lui ai dit : ' Tu poses pas de questions et tu roules ! Point final ! ' Hé ! bé ! il n'a pas déconné. Il a roulé car il a compris qu'à cet instant, je pouvais gagner le Tour de France. Il m'a fait gagner deux minutes. Il l'a payé très cher par la suite, car il a failli être éliminé. Mais jamais on n'a discuté d'argent. Je ne lui ai pas filé un centime. '4 Cela étant, le Legeay dont nous parlons, âgé de vingt-six ans, entrait dans ses meilleures années. Récupérant vite, il repartit à l'assaut, relayant sans relâche Michel Pollentier sur la route de Fleurance. Las ! une crevaison malencontreuse, à quelques encablures de l'arrivée, le priva d'une victoire légitime. Émue, la presse salua son beau courage avec plusieurs photos et une page en couleur dans Cyclisme Magazine. Il était sorti du rang.
On le pensait néanmoins condamné aux guerres perdues, aux places d'honneur (troisième des Quatre Jours de Dunkerque et du Tour du Limousin en 1976, deuxième du Grand Prix de Plouay et troisième du Tour de Corse en 1977) ; on l'imaginait maudit quand le printemps 1978 marqua un tournant : il apprit à gagner... Oh ! rien de spectaculaire, mais la preuve, encore une fois, que l'application finit par payer. Roger Legeay en profita pour épingler une étape au Circuit de la Sarthe, une au Tour de Romandie et une troisième au Tour du Limousin, sans oublier deux succès supplémentaires, le Grand Prix de la Côte normande et le Prix de Fougères, pour venger ses échecs passés. Parce qu'il faut le souligner : l'audace n'avait pas tué en lui l'ambition... Pour étendre son registre, il rejoignit, en 1979, l'équipe Peugeot, formation historique du cyclisme tricolore. Outre Ovion, Danguillaume, Esclassan, Kuiper, Tinazzi, il y retrouva Bernard Thévenet, le double vainqueur du Tour de France, un fuoriclasse usé prématurément par les reconstitutions hormonales du Dr Bellocq. Autre partenaire, Michel Laurent, quatrième cette année-là du Tour d'Italie. Avec sa pugnacité habituelle, Roger Legeay lui remonta les bidons et l'abrita du vent. C'était un véritable grognard.
La retraite l'invita fin 1982, après dix saisons et sept Tours de France. Qu'en avait-il retenu, tandis qu'il changeait de costume, sans changer de milieu ? L'idée assez juste que le cyclisme ressemblait à un paysan du Bas-Maine. Pour le meilleur, la fidélité native aux siens. Pour le pire, une avidité brute et un goût débile pour l'occultisme qui le faisait boire au pis de n'importe quel soigneur ! Bien entendu, Roger Legeay connaissait les coulisses. Pour avoir été coureur au siècle des amphétamines, et pour avoir vu sombrer lentement Freddy Maertens, son ancien leader chez Flandria, il se méfiait du dopage, de ses nuisances, de ses fantômes... Et dans la seconde vie qu'il emplissait, il sentit que sa respectabilité se heurterait à cette évidence : rien n'avait évolué, hormis les salaires, multipliés par trente, et la nature des produits pharmaceutiques, désormais plus élaborés, plus chers, plus violents. Dans ces conditions, quel parti prendre ? Quitter le navire, renier ses prébendes ? Ou bien tenir la barre et s'en remettre à la vague, sachant qu'en 1990, il avait remporté un superbe Tour de France par l'intermédiaire de l'Américain Greg LeMond... Cette victoire, acquise avec patience, avant l'EPO, resterait l'un de ses bonheurs principaux.
Voilà donc quel homme il était en 1998, lorsque les coureurs basculèrent dans la fosse qu'ils avaient creusée, tantôt sous les yeux, tantôt dans le dos de leurs directeurs sportifs. À cause de ses mandats officiels, Roger Legeay eut à traîner une croix qui n'était pas la sienne, mais celle d'une famille. Et puis la tempête passa, n'abandonnant sur la grève que Bruno Roussel et Richard Virenque... Ce qui n'empêche que les responsables français durcirent le ton ! Dès l'an 2000, ils exigèrent des nouvelles lois. Ils mirent en garde le peloton, jurant la fin de toute impunité. Sous le rapport de l'histoire, c'était une première, aussi importante que la découverte d'une source neuve. Roger Legeay peut regarder comme une gloire le fait d'avoir cru qu'il n'est jamais trop tard.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Roger Legeay en bref
* Né le 8 août 1949 à Beaufay.
* Professionnel chez Flandria (1973), Magiglace (1974), Jobo (1975), Lejeune (1976 à 1978), Peugeot (1979 à 1982).
* Principales victoires : G.P. de la Côte normande 1978 ; G. P. de Mauléon-Moulins 1980, 1981+ deux étapes au C. de la Sarthe, une étape au T. de Romandie et au T. du Limousin.
1 L'Humanité du 13 juillet 2004.
2 L'Équipe du 15 octobre 2008.
3 L'Équipe Magazine du 8 juillet 2006.
4 Ibid.
Roger Legeay, ou l'histoire d'un ''mec''...
Avant de devenir directeur sportif et d'être un omniprésent dirigeant du cyclisme, il avait été un coureur offensif et attachant, qui avait l'estime de ses pairs. Portrait de Roger Legeay...
Il est de ces rares personnages qui auront eu deux vies dans le cyclisme - deux vies pleines, il va sans dire, puisque Roger Legeay a toujours mis du cœur à l'ouvrage. Coureur, il se signalait par de nombreuses échappées, en un temps où s'échapper signifiait l'aventure. Puis il troqua le damier des Peugeot pour la tenue d'un directeur sportif adjoint, promu ensuite directeur sportif, manager, président de l'Association internationale des groupes cyclistes professionnels, président de la Ligue du cyclisme professionnel, vice-président de la Fédération française de cyclisme et président de l'A.C. 2000, une instance écoutée. Bref, ' un CV long comme un jour sans vélo ', écrirait Jean-Emmanuel Ducoin1 ; ' de multiples casquettes ', renchérirait Philippe Bouvet2. Avec les conséquences que l'on sait : une mise en examen, le 29 mars 1999, pour ce qui ressemblait, aux yeux du juge Patrick Keil, à une responsabilité dans la pandémie du dopage. Tranchons l'affaire à l'aune du bon sens : à moins d'être sourd, aveugle et idiot, oui ! il était pour partie responsable, à l'égal de ses confrères de l'époque. Moyennant quoi, certains le peignirent d'une encre sombre et grinçante, pareille aux cuivres de Goya. Or, le même bon sens démontre que Roger Legeay méritait beaucoup mieux. C'était un homme travailleur, méthodique et fidèle, qui avait le louable souci de s'élever, et d'élever son sport avec lui. Dans sa première mission, il aura parfaitement réussi.
Travailleur, méthodique, mais aussi altruiste. Avec un franc-parler célèbre, Raymond Delisle l'a ainsi résumé : ' Ça, c'était un mec ! '3 Il faisait référence à l'incroyable journée du 8 juillet 1976, laquelle avait transformé le vétéran en inattendu maillot jaune : ' Au cours de l'ascension du col de Jau, j'ai rejoint Roger Legeay, échappé matinal. Il appartenait à [l'équipe Lejeune-BP], mais il était normand comme moi. Je lui ai dit : ' Tu poses pas de questions et tu roules ! Point final ! ' Hé ! bé ! il n'a pas déconné. Il a roulé car il a compris qu'à cet instant, je pouvais gagner le Tour de France. Il m'a fait gagner deux minutes. Il l'a payé très cher par la suite, car il a failli être éliminé. Mais jamais on n'a discuté d'argent. Je ne lui ai pas filé un centime. '4 Cela étant, le Legeay dont nous parlons, âgé de vingt-six ans, entrait dans ses meilleures années. Récupérant vite, il repartit à l'assaut, relayant sans relâche Michel Pollentier sur la route de Fleurance. Las ! une crevaison malencontreuse, à quelques encablures de l'arrivée, le priva d'une victoire légitime. Émue, la presse salua son beau courage avec plusieurs photos et une page en couleur dans Cyclisme Magazine. Il était sorti du rang.
On le pensait néanmoins condamné aux guerres perdues, aux places d'honneur (troisième des Quatre Jours de Dunkerque et du Tour du Limousin en 1976, deuxième du Grand Prix de Plouay et troisième du Tour de Corse en 1977) ; on l'imaginait maudit quand le printemps 1978 marqua un tournant : il apprit à gagner... Oh ! rien de spectaculaire, mais la preuve, encore une fois, que l'application finit par payer. Roger Legeay en profita pour épingler une étape au Circuit de la Sarthe, une au Tour de Romandie et une troisième au Tour du Limousin, sans oublier deux succès supplémentaires, le Grand Prix de la Côte normande et le Prix de Fougères, pour venger ses échecs passés. Parce qu'il faut le souligner : l'audace n'avait pas tué en lui l'ambition... Pour étendre son registre, il rejoignit, en 1979, l'équipe Peugeot, formation historique du cyclisme tricolore. Outre Ovion, Danguillaume, Esclassan, Kuiper, Tinazzi, il y retrouva Bernard Thévenet, le double vainqueur du Tour de France, un fuoriclasse usé prématurément par les reconstitutions hormonales du Dr Bellocq. Autre partenaire, Michel Laurent, quatrième cette année-là du Tour d'Italie. Avec sa pugnacité habituelle, Roger Legeay lui remonta les bidons et l'abrita du vent. C'était un véritable grognard.
La retraite l'invita fin 1982, après dix saisons et sept Tours de France. Qu'en avait-il retenu, tandis qu'il changeait de costume, sans changer de milieu ? L'idée assez juste que le cyclisme ressemblait à un paysan du Bas-Maine. Pour le meilleur, la fidélité native aux siens. Pour le pire, une avidité brute et un goût débile pour l'occultisme qui le faisait boire au pis de n'importe quel soigneur ! Bien entendu, Roger Legeay connaissait les coulisses. Pour avoir été coureur au siècle des amphétamines, et pour avoir vu sombrer lentement Freddy Maertens, son ancien leader chez Flandria, il se méfiait du dopage, de ses nuisances, de ses fantômes... Et dans la seconde vie qu'il emplissait, il sentit que sa respectabilité se heurterait à cette évidence : rien n'avait évolué, hormis les salaires, multipliés par trente, et la nature des produits pharmaceutiques, désormais plus élaborés, plus chers, plus violents. Dans ces conditions, quel parti prendre ? Quitter le navire, renier ses prébendes ? Ou bien tenir la barre et s'en remettre à la vague, sachant qu'en 1990, il avait remporté un superbe Tour de France par l'intermédiaire de l'Américain Greg LeMond... Cette victoire, acquise avec patience, avant l'EPO, resterait l'un de ses bonheurs principaux.
Voilà donc quel homme il était en 1998, lorsque les coureurs basculèrent dans la fosse qu'ils avaient creusée, tantôt sous les yeux, tantôt dans le dos de leurs directeurs sportifs. À cause de ses mandats officiels, Roger Legeay eut à traîner une croix qui n'était pas la sienne, mais celle d'une famille. Et puis la tempête passa, n'abandonnant sur la grève que Bruno Roussel et Richard Virenque... Ce qui n'empêche que les responsables français durcirent le ton ! Dès l'an 2000, ils exigèrent des nouvelles lois. Ils mirent en garde le peloton, jurant la fin de toute impunité. Sous le rapport de l'histoire, c'était une première, aussi importante que la découverte d'une source neuve. Roger Legeay peut regarder comme une gloire le fait d'avoir cru qu'il n'est jamais trop tard.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Roger Legeay en bref
* Né le 8 août 1949 à Beaufay.
* Professionnel chez Flandria (1973), Magiglace (1974), Jobo (1975), Lejeune (1976 à 1978), Peugeot (1979 à 1982).
* Principales victoires : G.P. de la Côte normande 1978 ; G. P. de Mauléon-Moulins 1980, 1981+ deux étapes au C. de la Sarthe, une étape au T. de Romandie et au T. du Limousin.
1 L'Humanité du 13 juillet 2004.
2 L'Équipe du 15 octobre 2008.
3 L'Équipe Magazine du 8 juillet 2006.
4 Ibid.
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