Robert Chapatte, l'Esprit d'aventure
Avant de devenir un commentateur de légende à la télévision, il fut un authentique coureur, capable de briller à la fois sur les pistes et dans les cols. Portrait de Robert Chapatte, champion rare né sous le signe d’Audiard…
On sait comment Robert Chapatte, coureur, a fini : en tirant effrontément sur une cigarette ! C’était dans un vestiaire, à l’arrivée de Paris-Tours 1954. À ses côtés, Pierre Chany, son éternelle Gauloise à la main. « Tu m’en donnes une ? », lui avait demandé celui qui gardait encore l’air d’un champion[1]. Puis, de cette voix appelée bientôt à prendre l’antenne, il avait expliqué, ménageant son effet : « C’est la première que je fume depuis que je ne suis plus coureur… »[2] Manière virile, en somme, d’annoncer qu’il stoppait sa carrière. Il le faisait sans regret : le cyclisme, croyait-il, lui avait déjà tout apporté, à commencer par d’irrésistibles copains, dont Henri Surbatis… (C’est une parenthèse, mais on ne peut pas ne pas dire, ici, quel personnage était Surbatis, sprinter aussi habile pour le théâtre que pour le sport. En 1954, sur la lancée des Six-Jours, il s’était mis en tête de réussir un joli Paris-Roubaix. De fait, il se classa neuvième, après avoir copieusement « salé la soupe ». Tout à sa joie, et toujours électrique, il affirma aux journalistes, des larmes de rire dans les yeux : « D’abord, je n’ai pas vu un pavé ! Ensuite, Anquetil et Bobet : gros comme ça… »[3] Et de montrer l’épaisseur de deux doigts ! De quoi écrire un roman...)
Bref ! Robert Chapatte s’entourait de copains ahurissants qui n’imaginaient pas la vie sans cyclisme, et le cyclisme sans rire. Parmi eux, Roger Rioland, Jean Guégen et André Chassang, ses trois partenaires, en 1944, lorsqu’il devint tour à tour champion de Paris et champion de France en poursuite olympique. D’où l’idée que ce garçon, né à Neuilly-sur-Seine en 1922, allait incarner l’une des nouvelles vedettes de la piste… Mais l’intéressé, lui, ne jurait que par la route. Ses modèles ? Leducq et Speicher, anciens vainqueurs du Tour de France. Puis les trois frères Pélissier, symboles de la tradition française. Par réflexe, il aurait volontiers ajouté la figure d’Antonin Magne, autre héros de son enfance, mais, il ne pouvait se défendre de le trouver trop rigide… Non, ce qu’il espérait, du moins pour tenter sa chance chez les pros, c’était un esprit d’aventure, une dissipation formidable. Il ne se sentait pas capable de tout sacrifier pour une coupe.
Tel semblait donc l’homme recruté en 1945 par Génial-Lucifer, dans un pays où les vendeurs de boyaux se comptaient sur les doigts d’une main. Sans parler du calendrier des courses, aussi maigre que les cartes de rationnement… Faute de mieux, il chercha des contrats sur les pistes, disputant des américaines à Paris, Nice et Saint-Étienne, associé soit avec Émile Ignat, soit avec Francis Grauss. Puis, l’année suivante, en compagnie de Raymond Goussot, il remporta les Six Heures d’Alger, termina deuxième des Six Heures de Paris, puis deuxième, encore, du Prix Dupré-Lapize. Pour être honnête, rien de très exceptionnel, sauf que Robert Chapatte confirmait, à vingt-quatre ans, sa réputation de coureur facile, au style étonnamment délié. Ne le surnommait-on pas « Chapatte de velours » ? Un compliment réel, mais à double tranchant, signé par des observateurs réclamant davantage... Le jeune homme ne se déroba pas. Sur la route, il gagna le championnat d’Ile-de-France et le Grand Prix du Commerce d’Argentan. Il était lancé.
Lancé, oui. Si bien qu’il s’enrôla, pour trois ans, sous la bannière violine du groupe Mercier, où régnait en sage un certain Antonin Magne… Preuve que ce Chapatte-là n’était plus un gosse ; il avait mûri, au point de multiplier les performances, dont une victoire dans le Circuit des cols pyrénéens en 1949, une deuxième place dans le Grand Prix de L’Écho d’Alger 1947, une deuxième place dans le Tour de Corrèze 1948, une troisième place dans Grenoble-Turin 1947, une quatrième place dans le Critérium national 1949. Places, soit dit pour mémoire, qu’il narrait derechef avec une aisance incroyable, décrivant les différentes phases de course comme un correspondant de guerre eût raconté des combats… Toujours est-il que cet athlète intelligemment bavard décrocha, en 1949, sa sélection en équipe nationale, pour attaquer son deuxième Tour de France. Et quel Tour ! L’un des meilleurs du siècle, dominé par un mythe vivant, Fausto Coppi. Dans le peloton, on croisait également Bartali, Magni, Ockers, Van Steenbergen, Kubler, les frères Lazaridès, Robic, Bobet, Géminiani et Vietto : des champions de légendes, contre lesquels Robert Chapatte, grimpeur opiniâtre, fit mieux que se défendre, finissant seizième à Paris. Ce serait son chef d’œuvre.
On passe sur le reste, hormis sur l’édition des Six Jours de Saint-Étienne 1951 que le Parisien, revenu à la piste, disputa avec son pote Louis Caput. Édition impayable, puisque tenue, selon Jacques Augendre, pour « le plus grand bide de l’histoire du cyclisme »[4]. À un moment, il ne se trouva même qu’un seul spectateur dans l’enceinte du vélodrome ; et le fantasque Surbatis, descendant de machine, courut lui demander un autographe ! De son côté, Chapatte, déprimé par ces banquettes vides, décida de « casser la baraque »[5]. Un geste chevaleresque, un rien expiatoire, qui lui valut de terminer ligoté sur une chaise, ses adversaires refusant de s’épuiser en pure perte ! Tels étaient les pistards de ce temps, dont Jacques Augendre admirait, dans une autre formule, qu’ils fussent doués d’« une spontanéité authentique, la spontanéité d’un Audiard »[6].
De Michel Audiard à la presse, il n’y avait qu’un pas. Robert Chapatte le franchit dès 1955 en empoignant le micro pour commenter, sur les ondes de Radio Monte Carlo, les étapes du Tour de l’Ouest. C’était le début d’une nouvelle et phénoménale aventure, prolongée à la télévision, pour des millions de fidèles, jusque dans les années quatre-vingt. Teddy Chapatte, sa femme, la résumerait d’une tirade : « Il a inventé tous les mots du direct. »[7]
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Robert Chapatte en bref
- Né le 14 octobre 1921 à Neuilly-sur-Seine. Décédé le 19 janvier 1997 à Paris.
- Professionnel chez Génial-Lucifer (1945 et 1946), Mercier (1947 à 1949), Olympia-Dunlop (1950), Helyett (1951), Vanoli (1952), Rochet (1953 et 1954).
- Principales victoires : Route : Championnat d’Ile-de-France 1946 ; Grand Prix du Commerce d’Argentan 1946 ; Circuit des Pyrénées 1949 ; Grand Prix d’Esperaza 1952. Piste : Prix Goullet-Fogler 1945 (avec Ignat).
[1]Pierre Chany, l’homme aux 50 Tours de France, Éd. Cristel, 1996, p. 240.
[2]Ibid.
[3]Jacques Augendre, la mémoire du Tour de France, Éd. Cristel, 2001, p. 153
[4]Jacques Augendre, la mémoire du Tour de France, p. 61.
[5]Ibid.
[6]Ibid., p. 53.
[7]In Le Monde du 12 juillet 2003.
Robert Chapatte, l'Esprit d'aventure
Avant de devenir un commentateur de légende à la télévision, il fut un authentique coureur, capable de briller à la fois sur les pistes et dans les cols. Portrait de Robert Chapatte, champion rare né sous le signe d’Audiard…
On sait comment Robert Chapatte, coureur, a fini : en tirant effrontément sur une cigarette ! C’était dans un vestiaire, à l’arrivée de Paris-Tours 1954. À ses côtés, Pierre Chany, son éternelle Gauloise à la main. « Tu m’en donnes une ? », lui avait demandé celui qui gardait encore l’air d’un champion[1]. Puis, de cette voix appelée bientôt à prendre l’antenne, il avait expliqué, ménageant son effet : « C’est la première que je fume depuis que je ne suis plus coureur… »[2] Manière virile, en somme, d’annoncer qu’il stoppait sa carrière. Il le faisait sans regret : le cyclisme, croyait-il, lui avait déjà tout apporté, à commencer par d’irrésistibles copains, dont Henri Surbatis… (C’est une parenthèse, mais on ne peut pas ne pas dire, ici, quel personnage était Surbatis, sprinter aussi habile pour le théâtre que pour le sport. En 1954, sur la lancée des Six-Jours, il s’était mis en tête de réussir un joli Paris-Roubaix. De fait, il se classa neuvième, après avoir copieusement « salé la soupe ». Tout à sa joie, et toujours électrique, il affirma aux journalistes, des larmes de rire dans les yeux : « D’abord, je n’ai pas vu un pavé ! Ensuite, Anquetil et Bobet : gros comme ça… »[3] Et de montrer l’épaisseur de deux doigts ! De quoi écrire un roman...)
Bref ! Robert Chapatte s’entourait de copains ahurissants qui n’imaginaient pas la vie sans cyclisme, et le cyclisme sans rire. Parmi eux, Roger Rioland, Jean Guégen et André Chassang, ses trois partenaires, en 1944, lorsqu’il devint tour à tour champion de Paris et champion de France en poursuite olympique. D’où l’idée que ce garçon, né à Neuilly-sur-Seine en 1922, allait incarner l’une des nouvelles vedettes de la piste… Mais l’intéressé, lui, ne jurait que par la route. Ses modèles ? Leducq et Speicher, anciens vainqueurs du Tour de France. Puis les trois frères Pélissier, symboles de la tradition française. Par réflexe, il aurait volontiers ajouté la figure d’Antonin Magne, autre héros de son enfance, mais, il ne pouvait se défendre de le trouver trop rigide… Non, ce qu’il espérait, du moins pour tenter sa chance chez les pros, c’était un esprit d’aventure, une dissipation formidable. Il ne se sentait pas capable de tout sacrifier pour une coupe.
Tel semblait donc l’homme recruté en 1945 par Génial-Lucifer, dans un pays où les vendeurs de boyaux se comptaient sur les doigts d’une main. Sans parler du calendrier des courses, aussi maigre que les cartes de rationnement… Faute de mieux, il chercha des contrats sur les pistes, disputant des américaines à Paris, Nice et Saint-Étienne, associé soit avec Émile Ignat, soit avec Francis Grauss. Puis, l’année suivante, en compagnie de Raymond Goussot, il remporta les Six Heures d’Alger, termina deuxième des Six Heures de Paris, puis deuxième, encore, du Prix Dupré-Lapize. Pour être honnête, rien de très exceptionnel, sauf que Robert Chapatte confirmait, à vingt-quatre ans, sa réputation de coureur facile, au style étonnamment délié. Ne le surnommait-on pas « Chapatte de velours » ? Un compliment réel, mais à double tranchant, signé par des observateurs réclamant davantage... Le jeune homme ne se déroba pas. Sur la route, il gagna le championnat d’Ile-de-France et le Grand Prix du Commerce d’Argentan. Il était lancé.
Lancé, oui. Si bien qu’il s’enrôla, pour trois ans, sous la bannière violine du groupe Mercier, où régnait en sage un certain Antonin Magne… Preuve que ce Chapatte-là n’était plus un gosse ; il avait mûri, au point de multiplier les performances, dont une victoire dans le Circuit des cols pyrénéens en 1949, une deuxième place dans le Grand Prix de L’Écho d’Alger 1947, une deuxième place dans le Tour de Corrèze 1948, une troisième place dans Grenoble-Turin 1947, une quatrième place dans le Critérium national 1949. Places, soit dit pour mémoire, qu’il narrait derechef avec une aisance incroyable, décrivant les différentes phases de course comme un correspondant de guerre eût raconté des combats… Toujours est-il que cet athlète intelligemment bavard décrocha, en 1949, sa sélection en équipe nationale, pour attaquer son deuxième Tour de France. Et quel Tour ! L’un des meilleurs du siècle, dominé par un mythe vivant, Fausto Coppi. Dans le peloton, on croisait également Bartali, Magni, Ockers, Van Steenbergen, Kubler, les frères Lazaridès, Robic, Bobet, Géminiani et Vietto : des champions de légendes, contre lesquels Robert Chapatte, grimpeur opiniâtre, fit mieux que se défendre, finissant seizième à Paris. Ce serait son chef d’œuvre.
On passe sur le reste, hormis sur l’édition des Six Jours de Saint-Étienne 1951 que le Parisien, revenu à la piste, disputa avec son pote Louis Caput. Édition impayable, puisque tenue, selon Jacques Augendre, pour « le plus grand bide de l’histoire du cyclisme »[4]. À un moment, il ne se trouva même qu’un seul spectateur dans l’enceinte du vélodrome ; et le fantasque Surbatis, descendant de machine, courut lui demander un autographe ! De son côté, Chapatte, déprimé par ces banquettes vides, décida de « casser la baraque »[5]. Un geste chevaleresque, un rien expiatoire, qui lui valut de terminer ligoté sur une chaise, ses adversaires refusant de s’épuiser en pure perte ! Tels étaient les pistards de ce temps, dont Jacques Augendre admirait, dans une autre formule, qu’ils fussent doués d’« une spontanéité authentique, la spontanéité d’un Audiard »[6].
De Michel Audiard à la presse, il n’y avait qu’un pas. Robert Chapatte le franchit dès 1955 en empoignant le micro pour commenter, sur les ondes de Radio Monte Carlo, les étapes du Tour de l’Ouest. C’était le début d’une nouvelle et phénoménale aventure, prolongée à la télévision, pour des millions de fidèles, jusque dans les années quatre-vingt. Teddy Chapatte, sa femme, la résumerait d’une tirade : « Il a inventé tous les mots du direct. »[7]
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
Robert Chapatte en bref
- Né le 14 octobre 1921 à Neuilly-sur-Seine. Décédé le 19 janvier 1997 à Paris.
- Professionnel chez Génial-Lucifer (1945 et 1946), Mercier (1947 à 1949), Olympia-Dunlop (1950), Helyett (1951), Vanoli (1952), Rochet (1953 et 1954).
- Principales victoires : Route : Championnat d’Ile-de-France 1946 ; Grand Prix du Commerce d’Argentan 1946 ; Circuit des Pyrénées 1949 ; Grand Prix d’Esperaza 1952. Piste : Prix Goullet-Fogler 1945 (avec Ignat).
[1]Pierre Chany, l’homme aux 50 Tours de France, Éd. Cristel, 1996, p. 240.
[2]Ibid.
[3]Jacques Augendre, la mémoire du Tour de France, Éd. Cristel, 2001, p. 153
[4]Jacques Augendre, la mémoire du Tour de France, p. 61.
[5]Ibid.
[6]Ibid., p. 53.
[7]In Le Monde du 12 juillet 2003.
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