UNCP UNCP
L'UNCP est le syndicat professionnel des coureurs cyclistes français.
Syndicat de service et de dialogue constructif.
Créé il y a plus de 60 ans, il a pour vocation la représentation des coureurs et la défense de leurs intérêts collectifs et individuels.
contact@uncp.net . Comité Directeur . UNCP 161 Chemin du Buisson – 38110 DOLOMIEU
  • Route Pro Championnats de France Cassel 2023 - Photo Bruno Bade
  • Route Pro Photo Bruno Bade
  • Route d’Occitanie 2020 Photo Bruno Bade
  • Tro Bro Leon 2019 Photo Bruno Bade
  • Paris Camembert 2020 Photo Bruno Bade
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Jean Alavoine, chapeau bas malgré tout…  

 
Il réalisa un exploit unique dans l’histoire du cyclisme : lauréat d’étapes dans le Tour, à quatorze années de distance ! Il faut dire qu’il était un coureur hors de pair, mais hélas trop méconnu. Portrait de Jean Alavoine, qu’on appelait « Gars Jean »…
 
Que savons-nous encore de lui ? Qu’il fut un coureur à panache, doté d’une formidable résistance, et qu’il remporta dix-sept étapes en onze Tours de France, la première en 1909, la dernière quatorze ans plus tard, ce qui est unique dans l’histoire du cyclisme. Pour trois fois moins, dans les années deux mille, Jean Alavoine serait devenu millionnaire ; au siècle qui était le sien, cet estimable Parisien, né par hasard à Roubaix en 1888, se contenta des miettes. Parce qu’il faut le rappeler : il eut pour adversaires, non seulement Trousselier, Petit-Breton, Faber, Lapize, Garrigou, les héros de mille neuf cents, mais aussi ceux d’après la Grande Guerre, les deux Pélissier, Henri et Francis, et Eugène Christophe, Philippe Thys, Firmin Lambot, Ottavio Bottecchia. Dans les faits, donc, une carrière exceptionnelle, close en 1925, au terme d’un ultime Tour de France très honorable, conclu en treizième position. Bref ! un cador. Que lui a-t-il manqué pour demeurer totalement dans la mémoire collective, à l’instar de ses pairs ? D’être un peu en veine, du moins sur la route… Pour le reste, le sage Alavoine se trouvait bien loti  : il était sorti vivant des tranchées ! Son frère, Henri, bon rouleur également, n’avait pas eu cette chance : tué au front, le 19 juillet 1916. Quant à Faber, Lapize, Petit-Breton, chacun sait ce qu’ils étaient advenus. Alors, la veine…
La chose était entendue : chaque jour que Dieu ferait, Jean Alavoine, un rien philosophe, s’obligerait à sourire, eût-il des regrets — pour tout dire, le regret de n’avoir pas enlevé un Tour de France, en dépit de ses phénoménales qualités. Car il fallait le voir à ses débuts, en 1909… Un prodige assurément, qui profita de son statut de néo-pro pour s’emparer du titre national devant Henri Lignon. Puis d’enchaîner au mois de juillet avec le Tour de France où il fut sélectionné dans la prestigieuse équipe Alcyon afin d’épauler ses leaders : François Faber, qui écraserait cette édition, Gustave Garrigou, qui terminerait deuxième, Paul Duboc, classé quatrième, Cyrille Van Houwaert, cinquième, Trousselier, huitième. Pour sa part, épatant les suiveurs, notre Rastignac s’imposa à deux reprises, d’abord à Toulouse, puis dans l’étape parisienne dont rêvait pourtant l’insatiable Faber. « Je reconnais que l’ami Alavoine a marché supérieurement et qu’il me fut nettement supérieur », siffla le Luxembourgeois[1]. Au tableau final, Jean Alavoine décrochait la troisième place. C’était la révélation de l’épreuve.
Avait-il trop forcé ? Ou trop fêté sa gloire neuve ? Le sûr est qu’il connut des lendemains difficiles, courant peu et courant mal en 1910 et 1911. Mais on le retrouva en 1912, lauréat de trois étapes dans le Tour de France et cinquième à Paris. De même, en 1914, son endurance fit merveille ; il s’adjugea une nouvelle étape puis monta sur la troisième marche du podium, derrière Philippe Thys et Henri Pélissier. Combien de bouquets supplémentaires aurait-il raflés ? combien de maillots jaunes aurait-il endossés si la guerre, hélas… Mais la guerre lui vola sa jeunesse, son frère, ses copains… Quand il revint dans la course, en juillet 1919, après une victoire solennelle dans le Grand Prix de l’Armistice, son style avait changé. Moins de feu, moins de force, mais une véritable science de l’effort qui le rendait particulièrement dangereux en troisième semaine. Ne pointait-il pas, au matin de la douzième étape, sur les talons d’Eugène Christophe et de Firmin Lambot — quarante minutes de retard, une bagatelle à l’époque... C’était sans compter sur la poisse, celle du « Vieux Gaulois » et la sienne. Selon Le Dictionnaire des coureurs, le pauvre Alavoine aurait crevé quarante-six fois au cours de l’épreuve ! Pendant ce temps, Lambot, épargné, creusait les écarts…
Quel Tour, oui ! émouvant, féroce, injuste, indécis… Souvent, le gars Jean se le remémora, dressant un bilan lucide, fatalement doux-amer. Pour le meilleur, une deuxième au classement final et cinq victoires d’étape. Pour le pire, une évidence qui lui serrait le cœur : il n’était pas autant populaire que Christophe, ni autant admiré qu’Henri Pélissier. D’où, certains soirs, de courts chagrins qu’il secouait aussitôt, persuadé que son heure viendrait (déjà, il avait été une seconde fois champion de France, en 1920). Mais le Tour le fuyait ; et malgré trois succès consécutifs, à Bayonne, Luchon puis à Perpignan où il prit le maillot jaune en juillet 1922, il échoua sur le fil, de nouveau devancé par Firmin Lambot. Or, les spécialistes sont formels : il avait encore perdu sur crevaison trente-sept minutes dans la douzième étape, vingt-trois dans la treizième et seize dans la quatorzième ! Comment croire qu’il n’était pas maudit… D’autant qu’une chute terrible dans l’Izoard, l’année suivante, le contraignit à l’abandon, alors qu’il avait dominé les Pyrénées. On se souvient de la scène — celle du sommet de Peyresourde, quand il aperçut son dernier adversaire, Robert Jacquinot, effondré sur un talus : « Alors, quoi, Robert, ça va pas ? » s’inquiéta-t-il, avec sa gentillesse habituelle. Et Jacquinot de répondre, magnifique, en levant cérémonieusement sa casquette : « Ça ne va plus pour moi… Mais je te salue, gars Jean ! »[2] Malheureusement, il y aurait cette chute, huit jours après. Envoyé spécial de L’Auto, Henry Decoin se ferait le témoin de sa désillusion : « Il pleure, le « gars Jean » ! Il n’a pas de souffrance. Il pleure parce que c’est fini ! Il pleure parce que ses espoirs se sont écrasés avec lui sur la route cruelle et sans âme. »[3]
Guetté par l’âge, Jean Alavoine en resterait là, ou presque. Sans doute était-il écrit qu’il ne gagnerait jamais le Tour de France, ni Bordeaux-Paris, classique qu’il adorait. Pourtant, quel beau coureur il faisait. Robert Jacquinot avait raison : « On te salue, gars Jean ! »

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.

 
Alavoine en bref 
  • Né le 1er avril 1888 à Roubaix. Décédé accidentellement le 18 juillet 1943 à Argenteuil.
  • Professionnel de 1909 à 1925.
  • Principales victoires : Championnat de France 1909 et 1920 ; Paris-Lyon 1922, 1923 (avec Thys) ; vainqueur de dix-sept étapes dans le Tour de France (deux en 1909, trois en 1912, une en 1914, cinq en 1919, trois en 1922, trois en 1923) ; vainqueur de deux étapes dans le Tour de Belgique 1909 ; vainqueur de trois étapes dans le Tour d’Italie 1920.


[1]In 100 ans de Tour de France, L’Équipe, 2003, p. 69.
[2] Pierre Chany, La Fabuleuse histoire du Tour de France, ODIL, 1983, p. 191.
[3]In 100 ans de Tour de France, op. cit., p. 142.

Jean Alavoine, chapeau bas malgré tout…  

 
Il réalisa un exploit unique dans l’histoire du cyclisme : lauréat d’étapes dans le Tour, à quatorze années de distance ! Il faut dire qu’il était un coureur hors de pair, mais hélas trop méconnu. Portrait de Jean Alavoine, qu’on appelait « Gars Jean »…
 
Que savons-nous encore de lui ? Qu’il fut un coureur à panache, doté d’une formidable résistance, et qu’il remporta dix-sept étapes en onze Tours de France, la première en 1909, la dernière quatorze ans plus tard, ce qui est unique dans l’histoire du cyclisme. Pour trois fois moins, dans les années deux mille, Jean Alavoine serait devenu millionnaire ; au siècle qui était le sien, cet estimable Parisien, né par hasard à Roubaix en 1888, se contenta des miettes. Parce qu’il faut le rappeler : il eut pour adversaires, non seulement Trousselier, Petit-Breton, Faber, Lapize, Garrigou, les héros de mille neuf cents, mais aussi ceux d’après la Grande Guerre, les deux Pélissier, Henri et Francis, et Eugène Christophe, Philippe Thys, Firmin Lambot, Ottavio Bottecchia. Dans les faits, donc, une carrière exceptionnelle, close en 1925, au terme d’un ultime Tour de France très honorable, conclu en treizième position. Bref ! un cador. Que lui a-t-il manqué pour demeurer totalement dans la mémoire collective, à l’instar de ses pairs ? D’être un peu en veine, du moins sur la route… Pour le reste, le sage Alavoine se trouvait bien loti  : il était sorti vivant des tranchées ! Son frère, Henri, bon rouleur également, n’avait pas eu cette chance : tué au front, le 19 juillet 1916. Quant à Faber, Lapize, Petit-Breton, chacun sait ce qu’ils étaient advenus. Alors, la veine…
La chose était entendue : chaque jour que Dieu ferait, Jean Alavoine, un rien philosophe, s’obligerait à sourire, eût-il des regrets — pour tout dire, le regret de n’avoir pas enlevé un Tour de France, en dépit de ses phénoménales qualités. Car il fallait le voir à ses débuts, en 1909… Un prodige assurément, qui profita de son statut de néo-pro pour s’emparer du titre national devant Henri Lignon. Puis d’enchaîner au mois de juillet avec le Tour de France où il fut sélectionné dans la prestigieuse équipe Alcyon afin d’épauler ses leaders : François Faber, qui écraserait cette édition, Gustave Garrigou, qui terminerait deuxième, Paul Duboc, classé quatrième, Cyrille Van Houwaert, cinquième, Trousselier, huitième. Pour sa part, épatant les suiveurs, notre Rastignac s’imposa à deux reprises, d’abord à Toulouse, puis dans l’étape parisienne dont rêvait pourtant l’insatiable Faber. « Je reconnais que l’ami Alavoine a marché supérieurement et qu’il me fut nettement supérieur », siffla le Luxembourgeois[1]. Au tableau final, Jean Alavoine décrochait la troisième place. C’était la révélation de l’épreuve.
Avait-il trop forcé ? Ou trop fêté sa gloire neuve ? Le sûr est qu’il connut des lendemains difficiles, courant peu et courant mal en 1910 et 1911. Mais on le retrouva en 1912, lauréat de trois étapes dans le Tour de France et cinquième à Paris. De même, en 1914, son endurance fit merveille ; il s’adjugea une nouvelle étape puis monta sur la troisième marche du podium, derrière Philippe Thys et Henri Pélissier. Combien de bouquets supplémentaires aurait-il raflés ? combien de maillots jaunes aurait-il endossés si la guerre, hélas… Mais la guerre lui vola sa jeunesse, son frère, ses copains… Quand il revint dans la course, en juillet 1919, après une victoire solennelle dans le Grand Prix de l’Armistice, son style avait changé. Moins de feu, moins de force, mais une véritable science de l’effort qui le rendait particulièrement dangereux en troisième semaine. Ne pointait-il pas, au matin de la douzième étape, sur les talons d’Eugène Christophe et de Firmin Lambot — quarante minutes de retard, une bagatelle à l’époque... C’était sans compter sur la poisse, celle du « Vieux Gaulois » et la sienne. Selon Le Dictionnaire des coureurs, le pauvre Alavoine aurait crevé quarante-six fois au cours de l’épreuve ! Pendant ce temps, Lambot, épargné, creusait les écarts…
Quel Tour, oui ! émouvant, féroce, injuste, indécis… Souvent, le gars Jean se le remémora, dressant un bilan lucide, fatalement doux-amer. Pour le meilleur, une deuxième au classement final et cinq victoires d’étape. Pour le pire, une évidence qui lui serrait le cœur : il n’était pas autant populaire que Christophe, ni autant admiré qu’Henri Pélissier. D’où, certains soirs, de courts chagrins qu’il secouait aussitôt, persuadé que son heure viendrait (déjà, il avait été une seconde fois champion de France, en 1920). Mais le Tour le fuyait ; et malgré trois succès consécutifs, à Bayonne, Luchon puis à Perpignan où il prit le maillot jaune en juillet 1922, il échoua sur le fil, de nouveau devancé par Firmin Lambot. Or, les spécialistes sont formels : il avait encore perdu sur crevaison trente-sept minutes dans la douzième étape, vingt-trois dans la treizième et seize dans la quatorzième ! Comment croire qu’il n’était pas maudit… D’autant qu’une chute terrible dans l’Izoard, l’année suivante, le contraignit à l’abandon, alors qu’il avait dominé les Pyrénées. On se souvient de la scène — celle du sommet de Peyresourde, quand il aperçut son dernier adversaire, Robert Jacquinot, effondré sur un talus : « Alors, quoi, Robert, ça va pas ? » s’inquiéta-t-il, avec sa gentillesse habituelle. Et Jacquinot de répondre, magnifique, en levant cérémonieusement sa casquette : « Ça ne va plus pour moi… Mais je te salue, gars Jean ! »[2] Malheureusement, il y aurait cette chute, huit jours après. Envoyé spécial de L’Auto, Henry Decoin se ferait le témoin de sa désillusion : « Il pleure, le « gars Jean » ! Il n’a pas de souffrance. Il pleure parce que c’est fini ! Il pleure parce que ses espoirs se sont écrasés avec lui sur la route cruelle et sans âme. »[3]
Guetté par l’âge, Jean Alavoine en resterait là, ou presque. Sans doute était-il écrit qu’il ne gagnerait jamais le Tour de France, ni Bordeaux-Paris, classique qu’il adorait. Pourtant, quel beau coureur il faisait. Robert Jacquinot avait raison : « On te salue, gars Jean ! »

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.

 
Alavoine en bref 
  • Né le 1er avril 1888 à Roubaix. Décédé accidentellement le 18 juillet 1943 à Argenteuil.
  • Professionnel de 1909 à 1925.
  • Principales victoires : Championnat de France 1909 et 1920 ; Paris-Lyon 1922, 1923 (avec Thys) ; vainqueur de dix-sept étapes dans le Tour de France (deux en 1909, trois en 1912, une en 1914, cinq en 1919, trois en 1922, trois en 1923) ; vainqueur de deux étapes dans le Tour de Belgique 1909 ; vainqueur de trois étapes dans le Tour d’Italie 1920.


[1]In 100 ans de Tour de France, L’Équipe, 2003, p. 69.
[2] Pierre Chany, La Fabuleuse histoire du Tour de France, ODIL, 1983, p. 191.
[3]In 100 ans de Tour de France, op. cit., p. 142.